Russie : la Cour suprême dissout l’ONG Mémorial, pilier de la défense des libertés – FRANCE 24

Gardienne de la mémoire du Goulag et pièce maîtresse de la défense de l’État de droit, l’ONG Mémorial va être liquidée, a ordonné mardi la Cour suprême russe. Une décision qui vient couronner une année d’intense répression contre de nombreux acteurs de la société civile en Russie.

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C’est un nouveau recul pour les libertés publiques en Russie. La Cour suprême a ordonné, mardi 28 décembre, la dissolution de l’ONG Mémorial, pièce maîtresse de la défense de la lutte contre les répressions dans la Russie contemporaine et gardienne de la mémoire des victimes du Goulag.

Cette décision intervient en conclusion d’une année marquée par la répression croissante des personnes, ONG et médias perçus comme des critiques du président Vladimir Poutine, au pouvoir depuis bientôt 22 ans.

La juge Alla Nazarova a dit “accéder à la demande du Parquet de dissoudre Mémorial International, ses antennes régionales et autres composantes”.

En cause, le non-respect d’obligations découlant de son statut d'”agent de l’étranger”. Ce label, qui rappelle celui d'”ennemi du peuple” de l’URSS stalinienne, désigne des organisations considérées comme agissant contre les intérêts russes et recevant des fonds étrangers.

“C’est une décision malfaisante, injuste et très nuisible pour notre pays”, a réagi l’avocate de la défense, Maria Eïsmont.

Après le verdict, lu rapidement d’une voix monocorde, plusieurs personnes ont crié “Honte ! Honte !” dans la salle d’audience. Les avocats se sont ensuite exprimés devant le tribunal, déclarant qu’ils allaient faire appel. L’ONG a dit par ailleurs qu’elle allait trouver des “moyens légaux” pour poursuivre ses activités.

Puis des policiers ont poussé les soutiens de l’ONG et les journalistes à quitter les abords du bâtiment. Au moins six personnes ont été interpellées, avant et après le verdict, selon des journalistes de l’AFP.

“Je me sens vraiment mal”, a dit Anna Vialkina, designer de 29 ans, les larmes aux yeux. “Comme je suis descendante de victimes des répressions, j’ai vécu tout ça très intensément”, a-t-elle ajouté.

“C’est une tragédie pour la société civile, c’était la seule association qui aidait les gens à connaître le sort de leurs proches” victimes des répressions, a abondé Léonid Bakhnov, un écrivain de 73 ans.

Une “terrible perte”, selon Paris

Mémorial, dont le rôle et la rigueur sont reconnus en Occident, enquête depuis plus de trente ans sur les purges soviétiques et recense les répressions contemporaines, notamment celles du régime de Vladimir Poutine.

“Un pouvoir qui a peur de la mémoire n’atteindra jamais de maturité démocratique”, a souligné sur Twitter le Mémorial du camp d’extermination nazi d’Auschwitz, tandis que l’ONG Amnesty International a dénoncé une “insulte” faite à la mémoire des victimes des camps soviétiques.

De son côté, le Conseil de l’Europe a regretté une “nouvelle dévastatrice pour la société civile”, tandis que la France a déploré une “terrible perte pour le peuple russe”.

>> À voir : “Russie : l’impossible mémoire des répressions soviétiques”

Début novembre, le Parquet avait demandé la dissolution de Mémorial, l’accusant d’avoir enfreint “systématiquement” les obligations administratives liées à son statut d'”agent de l’étranger”.

Devant la cour, le procureur Alexeï Jafiarov a accusé mardi l’ONG de “créer une image mensongère de l’URSS en tant qu’État terroriste”, de “salir la mémoire” de la Seconde Guerre mondiale et de chercher à “réhabiliter des criminels nazis”.

Dans un autre dossier, le Parquet exige la dissolution de son Centre de défense des droits humains, accusé d’apologie “du terrorisme et de l’extrémisme”, en plus de violations de la loi sur les “agents de l’étranger”. Dans cette affaire, une audience est prévue mercredi devant un tribunal de Moscou.

Deux visions de l’histoire russe

Mémorial est l’une des dernières victimes de la longue liste d’ONG, d’opposants et de médias tombés sous le coup de poursuites ces derniers mois.

En début d’année, les autorités ont incarcéré pour deux ans et demi l’opposant numéro un du Kremlin, Alexeï Navalny, puis interdit en juin son organisation pour “extrémisme”. Plusieurs de ses partisans ont encore été arrêtés mardi.

Des dizaines de personnes, des ONG défendant les droits humains ou des minorités sexuelles et des médias indépendants ont été reconnus “agent de l’étranger” ou accusés d’extrémisme.

Les ennuis de Mémorial illustrent l’affrontement entre deux visions de l’histoire russe, trente ans après la dislocation de l’Union soviétique, qualifiée par Vladimir Poutine de “plus grande catastrophe géopolitique” du XXe siècle.

Fondée au crépuscule de l’URSS par des dissidents, dont le prix Nobel de la paix Andreï Sakharov, Mémorial avait pour mission de mettre en lumière les millions de victimes des crimes soviétiques.

Pour ses défenseurs, elle subit désormais la promotion de plus en plus accentuée par le Kremlin d’une vision de l’Histoire glorifiant la puissance de l’URSS et minimisant les dérives du stalinisme.

Pour ses activités, Mémorial subit de longue date des pressions et a déjà payé un lourd tribut. En 2009, sa responsable en Tchétchénie, Natalia Estemirova, avait été kidnappée puis exécutée.

L’un de ses historiens, Iouri Dmitriev, a été condamné lundi à 15 ans de prison pour une affaire “d’agression sexuelle” dénoncée comme un coup monté destiné à le punir pour ses recherches sur la terreur soviétique.

Avec AFP

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