Royaume-Uni : les élections anticipées, ultime espoir d’une sortie de crise ? – L’Express

Les députés britanniques ont rejeté mercredi la proposition d’élections anticipées du Premier ministre, mais un nouveau vote aura lieu lundi.

Décidément, Boris Johnson prend plus de coups qu’un punching ball. Les députés britanniques ont rejeté mercredi 4 septembre la proposition du Premier ministre britannique d’organiser des élections anticipées, une tentative de mettre fin à la crise politique qui secoue le Royaume-Uni, à quelques semaines de sa sortie supposée de l’Union européenne.  

LIRE AUSSI >> Royaume-Uni : le frère de Boris Johnson annonce sa démission du gouvernement 

Pourtant, le voeu du dirigeant conservateur, qui a annoncé ce jeudi qu’il soumettrait de nouveau sa motion lundi, est loin d’être enterré. Face aux Premiers ministres successifs, le Parlement actuel a en effet échoué à trouver une solution au Brexit, refusant d’adopter à trois reprises l’accord trouvé entre négociateurs britanniques et européens en novembre 2018. Mais l’arrivée d’une majorité au sein de la Chambre permettrait sans doute de trouver une sortie de crise, qu’il s’agisse d’un “no-deal” ou d’un report dans l’espoir de négocier un nouvel accord. 

Un nouveau vote dès lundi

Les travaillistes – qui se sont abstenus mercredi soir – pourraient donner à Boris Johnson la majorité dont il a besoin pour l’organisation d’un tel scrutin lundi, lors du nouveau vote. D’ici là, le Labour veut s’assurer qu’une sortie sans accord soit définitivement écartée. Les députés ont voté dans cette optique mercredi une proposition de loi obligeant Boris Johnson à demander un délai supplémentaire à l’UE si aucun accord n’est trouvé d’ici le 19 octobre, après le Conseil européen des 17 et 18 octobre.  

LIRE AUSSI >> Royaume-Uni : après le vote du Parlement, quel avenir pour le Brexit ? 

Le texte est désormais examiné par la Chambre des Lords, qui pourrait l’adopter dès ce vendredi. La proposition de loi devrait encore recevoir l’assentiment royal, possiblement lundi, dernière étape nécessaire pour son entrée en vigueur, détaille auprès de L’Express Emmanuelle Saulnier-Cassia, professeure de droit public et spécialiste du Brexit. 

Pour tenter de faire fléchir le Labour, qu’il a vertement critiqué pour son obstruction, le Premier ministre a d’ailleurs accepté jeudi matin de ne pas ralentir l’examen de la proposition de loi anti-“no deal” à la Chambre des Lords. “Boris Johnson n’a plus aucun intérêt à essayer de la bloquer, décrypte Aurélien Antoine, professeur de droit public et président de l’Observatoire du Brexit. En suspendant le Parlement [à partir du 9 septembre], il a tenté d”assurer la possibilité d’un Brexit sans accord. Mais il a mal mesuré la capacité de réaction de l’opposition. Désormais, il veut se débarrasser de cette proposition de loi pour se focaliser sur des élections qu’il a envisagées et préparées.”  

“Tous les partis ont intérêt” à la tenue d’élections

“Tous les partis ont intérêt à ce qu’il y ait des élections anticipées”, assure en effet Emmanuelle Saulnier-Cassia. En dépit des sondages, qui le placent à 25% des intentions de vote, 10 points derrière le parti conservateur et 9 points devant les libéraux démocrates, le Labour espère gagner. Pour ce dernier, “des élections peuvent être l’occasion d’attirer les électeurs conservateurs, opposés à un Brexit sans accord”, note la professeure de droit public. De son côté, le parti du Brexit de Nigel Farage pourrait au contraire “attirer ceux qui veulent à tout prix un Brexit au 31 octobre et constatent que Boris Johnson est empêché”.  

LIRE AUSSI >> Brexit: pourquoi un “no-deal” paralyserait l’Europe 

En cas de victoire aux législatives, “BoJo”, qui a perdu sa majorité mardi, verrait sa position confortée lors des dernières négociations avec Bruxelles avant le Brexit. Cela lui permettrait, si cela était nécessaire, d’imposer un “no deal” sans que l’opposition puisse le bloquer. Les intentions de vote lui sont d’ailleurs favorables, et le Premier ministre l’a bien compris. “Sans attendre l’annonce de la tenue du scrutin, Boris Johnson est déjà entré en campagne”, souligne Aurélien Antoine, de l’Observatoire du Brexit. Afin de convaincre les électeurs, le leader conservateur rappelle qu’il est le seul à vouloir délivrer le Brexit quoi qu’il en coûte le 31 octobre. “C’est la seule certitude qui existe aujourd’hui, et une certitude suscite beaucoup de conviction chez les électeurs”, souligne le professeur de droit public. 

“Depuis son accession au poste de Premier ministre, Boris [Johnson] a promis d’investir davantage dans notre NHS [la Sécurité sociale britannique], d’intensifier la présence policière dans nos rues pour lutter contre les crimes violents et de financer davantage nos écoles afin de garantir à chaque enfant une excellente éducation, où qu’il habite. (…) Mais pour ce faire, nous devons obtenir le Brexit”, a aussi estimé devant les journalistes un porte-parole de Downing Street, jeudi matin, alors qu’une campagne sur les réseaux sociaux rappelant ces thèmes chers à l’opinion a été lancée par le parti conservateur. 

Pour maximiser ses chances en cas de scrutin, Boris Johnson n’hésite pas non plus à se présenter comme la seule alternative à Jeremy Corbyn. La popularité du patron des travaillistes est entamée, y compris dans ses propres rangs, en raison de son manque d’européisme et de ses atermoiements sur le Brexit. 

Un scrutin, oui mais quand ?

Alors que des élections anticipées apparaissent de plus en plus comme la seule option possible, leur capacité à résoudre la crise n’est pourtant pas garantie. “Si on se fie aux sondages, le parti conservateur renforcerait sa position au Parlement. Mais les sondages n’ont pas toujours de rapport avec les résultats réels, et un ‘hung Parliament’ [sans majorité] est un scénario possible”, souligne encore Emmanuelle Saulnier-Cassia. Et de rappeler que le scrutin uninominal majoritaire à un tour en vigueur au Royaume-Uni [le candidat qui remporte le plus de voix au premier tour l’emporte] favorise les grands partis, et donc le “bipartisme sclérosé”. En clair : il est fort possible “que l’on revienne à une situation semblable à celle d’aujourd’hui”. 

LIRE AUSSI >> Tony Blair : “Une nouvelle élection ne résoudrait pas le Brexit” 

Sans compter qu’une question de taille demeure : la date du scrutin. Boris Johnson souhaite que les élections aient lieu le 15 octobre, ce qui lui laisserait les mains libres pour le Brexit. Mais le Labour, inquiet que cela lui permette de réaliser le “no deal”, plaide pour un scrutin en novembre, après que le pays a obtenu de Bruxelles un énième report du divorce en janvier. Le pari de Boris Johnson lundi est donc loin d’être gagné. Comme le conclut la BBC : “Le Premier ministre peut encore obtenir ce qu’il veut. Mais pour le moment, n’inscrivez dans votre agenda la date d’un scrutin au 15 octobre qu’au crayon à papier.” 

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *