Royaume-Uni : deux ans après, le Brexit est-il responsable des mouvements sociaux qui secouent le pays ? – franceinfo

L’inflation britannique a frôlé les 11% en octobre, poussant les travailleurs à manifester pour réclamer une hausse de salaires.

Il y a deux ans pile, le Royaume-Uni et l’Union européenne entérinaient leur divorce. Depuis, les voyants de l’économie britannique ont viré au rouge. Le produit intérieur brut a reculé de 0,2% au troisième trimestre 2022 et l’inflation s’est établie à 10,7% sur un an en novembre (elle s’était hissée à 11,1% en octobre, du jamais-vu depuis 1981). Chemins de fer, services de santé, courrier… Des grèves paralysent plusieurs secteurs depuis des mois, pour réclamer une hausse des salaires en réponse à cette crise. Si la guerre en Ukraine est en partie responsable de l’augmentation des prix, et donc de la mobilisation, à quel point le Brexit a-t-il joué dans le déclenchement de ces mouvements sociaux inédits ? 

“Il n’y a pas eu les retombées attendues du Brexit”, résume d’emblée Thibaud Harrois, maître de conférence en civilisation britannique à la Sorbonne nouvelle. C’est particulièrement le cas dans le secteur de la santé. “Lors de sa campagne pro-Brexit, l’ancien Premier ministre Boris Johnson avait promis de réinvestir les soi-disant 350 millions d’euros envoyés chaque semaine à Bruxelles dans le système de santé britannique, rappelle le spécialiste. Mais depuis, il n’y a jamais eu d’investissements massifs.”

Résultat, infirmiers et infirmières ont planté leur piquet de grève les 15 et 20 décembre, pour obtenir une hausse de leurs revenus. Une mobilisation inédite en 106 ans d’existence de leur syndicat, le Royal College of Nursing (RCN). Les ambulanciers ont également débrayé le 21 décembre, portant les mêmes revendications. En réaction, le gouvernement conservateur a fermé la porte à toute discussion et jugé les demandes d’augmentation “inabordables”. Une enveloppe de 3,8 milliards d’euros supplémentaires a toutefois été allouée au National Health Service (NHS), la Sécurité sociale britannique, pour 2023 et 2024.

Le bus "Vote Leave" de l'ancien Premier ministre britannique Boris Johnson pendant la campagne pour le Brexit à Christchurch, dans le Dorset (Angleterre), le 23 juin 2016. (MATT CARDY / GETTY IMAGES EUROPE)

Cela n’empêche pas les professionnels britanniques de la santé de tirer la sonnette d’alarme sur la dégradation de leurs conditions de travail, qui a atteint un point d’orgue pendant la crise sanitaire. Ils dénoncent une pénurie de soignants, en partie causée par le Brexit. Une étude du think tank Nuffield Trust (en anglais), commandée par The Guardian, estime, via des projections, que plusieurs milliers de médecins vivant dans l’Espace économique européen (EEE) ont pu renoncer à s’installer au Royaume-Uni entre 2016 et 2021. Par ailleurs, le registre du Nursing and Midwifery Council, qui répertorie le nombre d’infirmières travaillant au Royaume-Uni, montre que le pays a accueilli plus de 9 000 infirmières et infirmiers venus de l’EEE en 2015-2016. Par la suite, après le référendum, le nombre des nouveaux arrivants n’a plus atteint que quelques centaines, comme l’illustre dans un graphique le site Statista (contenu en anglais).

“Les soignants doivent faire beaucoup d’heures supplémentaires pour compenser le manque de personnel, sans augmentation de salaires qui suit.”

Thibaud Harrois, maître de conférence à la Sorbonne nouvelle

à franceinfo

Mais ces grèves s’étendent bien au-delà du secteur de la santé. La poste britannique et les cheminots du réseau Network Rail se sont joint au mouvement de contestation en fin d’année. Touchés de plein fouet par la hausse du coût de la vie, tous demandent des revalorisations salariales. Et le Brexit est, là encore, mis en cause. “Beaucoup de facteurs entrent en jeu”, comme la flambée des prix énergétiques depuis l’invasion russe en Ukraine, mais “l’augmentation des barrières” réglementaires et administratives dans les échanges avec l’UE contribue à l’envolée des prix, souligne une étude du Centre d’étude des performances économiques de la London School of Economics (en anglais). La sortie du Royaume-Uni de l’Union a ainsi entraîné une hausse des prix alimentaires de 6%, rapporte le document.

L’inflation est commune à tous les pays occidentaux, ébranlés par la crise énergétique liée à la guerre en Ukraine. Mais contrairement à ses voisins, “le Royaume-Uni ne bénéficie plus du mécanisme de protection européen”, précise Thibaud Harrois. Fin décembre, les 27 ont par exemple approuvé un mécanisme permettant de plafonner les prix de gros du gaz dès qu’ils dépasseront 180 euros/MWh pendant trois jours consécutifs.

Si les éléments sont réunis pour voir émerger des mouvements sociaux, la contestation dure depuis près de 15 ans au Royaume-Uni, analyse Marc Lenormand, maître de conférences en études anglophones à l’Université Paul-Valéry de Montpellier. “Après la crise financière de 2008, les salaires ont fortement chuté dans le privé et dans le public du fait de politiques d’austérité budgétaire menées par les partis conservateurs”, détaille-t-il.

Selon le syndicat des infirmiers, ces mesures se sont traduites par une baisse de leur pouvoir d’achat de 20%, rappelait l’AFP mi-décembre. Les travailleurs mobilisés revendiquent donc une augmentation des salaires d’un peu plus de 19%. “Dans les années 2010, on parlait beaucoup de l’identité nationale et de la sortie britannique de l’UE, explique Marc Lenormand. Maintenant qu’elle ne se pose plus, on revient à la question sociale et au rôle que l’Etat doit jouer dans l’économie.”

De son côté, le nouveau Premier ministre britannique, Rishi Sunak, semble suivre la ligne conservatrice adoptée dans les années 80 par Margareth Thatcher, qui s’était montrée ferme face aux grévistes en 1978-1979. “Cette stratégie a pu marcher dans le passé, mais là, la vague de grèves est étonnamment populaire auprès de la population britannique”, prévient Marc Lenormand. Selon un sondage YouGov (contenu en anglais) publié le 20 décembre, deux tiers des Britanniques interrogés soutiennent les grèves des infirmières, 63 % celle des ambulanciers. 

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