Réforme des retraites : dans les coulisses des ultimes arbitrages à l’Elysée – Le Parisien

Sous les boiseries Louis XV du salon Vert qui jouxte le bureau du président, au premier étage de l’Elysée, un buffet campagnard a été dressé pour sustenter la quinzaine de convives convoqués à 19h30. Dimanche soir, autour de la grande table ovale, qui abrita un temps le Conseil des ministres : Edouard Philippe et les piliers du gouvernement, d’Agnès Buzyn (Santé) et Jean-Paul Delevoye (Retraites) à Jean-Michel Blanquer (Education), Christophe Castaner (Intérieur), Gérald Darmanin (Budget) et Bruno Le Maire (Economie). Ainsi que les conseillers en chef de l’Elysée et Matignon, Alexis Kohler et Benoît Ribadeau-Dumas. « Ceux qui sont allés à la mine sur les retraites », vante un participant.

En préambule, le président a pris soin de préciser à ses invités : ce qui se dit dans cette pièce a vocation à y rester! Il ne s’agissait rien de moins, en effet, que d’aider les deux têtes de l’exécutif à trancher à l’heure des ultimes arbitrages sur la périlleuse réforme des retraites, sur laquelle se joue la fin du quinquennat. « Je vous ai réunis pour écouter tout le monde », a d’ailleurs commencé le chef de l’Etat, la voix calme et posée, avant de céder la parole au Premier ministre et à chacun des ministres, à tour de rôle. Pas de langue de bois.

Chacun a ainsi pu dire ce qu’il avait sur le cœur, mettant sur la table ses craintes et désaccords stratégiques, majeurs. A l’image de Bruno Le Maire, qui a lancé un cri d’alarme : « Il faut rester ferme sur les principes de la réforme, mais souple sur les modalités d’application et le calendrier », a prévenu celui qui garde en mémoire l’époque où il était directeur de cabinet de Dominique de Villepin à Matignon, avec le fameux Contrat première embauche (CPE) qu’ils avaient tenté de passer en force en 2006. Une catastrophe.

Encore marqué par cet épisode, le ministre de l’Économie a donc plaidé pour que des mesures comptables touchant à l’âge de départ en retraite – casus belli pour la CFDT- soient déconnectées du cœur de la réforme, à savoir le régime universel par points.

Pour Le Maire, mieux vaut inclure ces mesures d’âge dans le projet de loi de finances pour 2021, qui sera débattu dans un an au Parlement, plutôt que dans le PLF 2020, en cours d’examen. « Introduire des mesures d’équilibre entre Noël et le jour de l’An, ça n’aurait aucun sens ! », abonde un conseiller ministériel. Et le locataire de Bercy – que certains accusent « de se faire bien voir du président » – de souligner que les 800 000 manifestants de jeudi dernier sont à prendre très au sérieux.

«Plus on s’éloigne de Paris, moins c’est tendu»

Un avis que nuance Édouard Philippe, qui a eu ces mots révélateurs de son état d’esprit : « Moi, j’ai un théorème. Plus on s’éloigne de Paris, moins c’est tendu ». Voire. Prudence, a tempéré Élisabeth Borne, ministre de tutelle des Transports, pour qui des mesures d’âge pourraient aussi venir brouiller le message et fragiliser la réforme dite systémique. Elle qui a dirigé la RATP et la stratégie de la SNCF a eu un mot pour les agents concernés par les régimes spéciaux.

« Il faut se rendre compte de ce que l’extinction progressive de ces régimes veut dire pour eux », a-t-elle insisté, partisane d’une période de transition raisonnable entre les deux systèmes. D’ailleurs, selon nos informations, l’exécutif envisage de décaler de dix ans l’entrée dans le nouveau système des salariés bénéficiaires des régimes spéciaux. « Si les salariés du privé étaient concernés à partir de la génération 1973, ce serait 1983 pour eux », indique une source.

Un discours capital ce mercredi

« De toute façon, je ne déciderai pas aujourd’hui, a clos le président, très sphynx, après deux heures de cette intense séance. Mais je vous dirai bientôt… ». « Le Premier ministre est celui qui a la ligne la plus raide. Quant au président… il est très ambigu », résume un participant pour décrire l’état d’esprit actuel des deux hommes. « Ils ont envie de fermeté. Le Premier ministre, c’est dans sa nature. Et le président, c’est dans son intérêt », décrypte un habitué du Palais.

Ce mardi, Emmanuel Macron s’entretiendra une dernière fois avec Edouard Philippe pour caler le discours capital que le Premier ministre doit prononcer mercredi midi devant le Cese (Conseil économique, social et environnemental). Il y dévoilera l’architecture de la réforme et les gestes censés apaiser la colère. « Il ne faut pas que ce soit décevant, sinon… », frémit l’un des participants au dîner de dimanche, qui craint le pire.

Les chefs de la majorité auront la primeur des annonces mardi soir à l’Elysée : François Bayrou, Marielle de Sarnez et Patrick Mignola (MoDem), Richard Ferrand, le président de l’Assemblée, Stanislas Guerini et Stéphane Travert (LREM), sont conviés à un nouveau dîner, ainsi que Darmanin et Le Maire. Une rencontre qui devait initialement avoir lieu lundi midi. Avant d’être reportée… par crainte des fuites.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *