Qui sont les millions de réfugiés afghans, en France et dans le monde ? – Le Monde

Le retrait définitif, dans la nuit du 30 au 31 août, des forces américaines chargées de sécuriser l’aéroport de Kaboul met un terme aux évacuations de ressortissants étrangers et de civils afghans fuyant le régime taliban. Les opérations françaises qui ont pris fin jeudi ont permis d’envoyer 2 600 Afghans vers la France. Une résolution entérinant les « engagements » des talibans à permettre le départ de ceux qui le souhaitent a été adoptée lundi par le Conseil de sécurité des Nations unies à New York.

Lire la synthèse : « Nous sommes une nation trop longtemps en guerre » : Joe Biden assume et justifie le retrait américain d’Afghanistan

En réponse à la crainte d’une nouvelle vague migratoire, Emmanuel Macron a estimé, dimanche sur LCI et TF1, que la situation ne serait pas similaire à 2015, lorsque la guerre civile en Syrie avait créé une crise migratoire poussant plus d’un million de réfugiés vers l’Union européenne. Le président a notamment rappelé qu’« il y a déjà eu de très forts mouvements » de migrants afghans au fil des ans. Même si aucun exode massif n’est constaté, l’Organisation des Nations unies s’attend, « dans le scénario le plus pessimiste », à un demi-million de réfugiés afghans en 2021, pour la plupart dans les pays limitrophes.

L’Afghanistan est déjà en proie à une instabilité politique depuis plusieurs décennies, et si les réfugiés afghans sont nombreux, seule une minorité arrive en Europe et en France.

  • Des millions de réfugiés depuis les années 1980

Avec près de 2,6 millions de réfugiés dans le monde en 2020 (et plus de 238 000 demandes d’asile déposées dans l’année), les Afghans représentent la troisième nationalité la plus nombreuse sous la protection du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), programme de l’ONU chargé de les protéger et de veiller à l’application de la convention de Genève. La communauté afghane représente 11 % de l’ensemble des réfugiés dans le monde, après les Syriens (6,7 millions dans le monde) et les Vénézuéliens (4 millions).

Le nombre de réfugiés afghans dans le monde a progressivement augmenté au cours des années 1980, pour atteindre un pic à plus de 6,3 millions de personnes bénéficiaires de l’asile en 1990 et 1991, au moment de la guerre civile consécutive au retrait des troupes soviétiques du pays. Il a ensuite baissé depuis le milieu des années 1990, pour se maintenir depuis les années 2000 à un niveau compris entre deux et trois millions.

  • Moins de 13 % des réfugiés afghans arrivent en Europe

Comme cela arrive fréquemment lors de crises migratoires, ce sont en premier lieu les pays voisins qui accueillent les populations fuyant leur pays pour des raisons politiques. Ainsi, 55,4 % des réfugiés afghans se trouvaient au Pakistan en 2020 (soit 1,4 million) et 30,1 % en Iran (780 000).

L’ensemble des pays européens n’accueillent que 12,8 % des Afghans sous protection du HCR. Pour sa part, les Etats-Unis n’ont accueilli, en 2020, que 0,1 % de ce total (1 592 réfugiés et 796 demandes en attente).

  • L’Allemagne, premier pays d’accueil de l’UE

Avec près de 148 000 réfugiés afghans sur son sol en 2020, l’Allemagne constitue de loin le premier pays d’accueil de la communauté afghane en asile en Europe, soit un niveau près de cinq fois plus élevé que celui de la France (31 546 réfugiés afghans accueillis en 2020 selon les chiffres du HCR).

L’Allemagne constitue, en outre, le pays concentrant le plus de demandes d’asile en Europe, avec 35 390 demandes en 2020, suivie de la Grèce (19 785) puis de la France (17 520). En France, tout comme en Grèce, les Afghans représentent la première communauté de demandeurs d’asile.

Pour François Gemenne, chercheur à l’université de Liège, et coordinateur du projet de recherche européen Magyc (gouvernance des migrations et crises d’asile), « la crise migratoire qui s’amorce pourrait ressembler à celle de 2015, à la différence près qu’elle pourrait concerner moins de personnes. Sur le plan politique, l’Europe est tout aussi mal préparée qu’en 2014-2015, voire pire, puisque le Royaume-Uni a quitté l’UE et que la question du contrôle de l’immigration était une pierre angulaire du Brexit ».

Pour ce spécialiste des migrations, l’organisation de l’accueil est indispensable : « Il ne faut pas laisser les Afghans se jeter sur les routes de l’asile, mais [il faut] mettre en place un système de réinstallation à visée humanitaire qui permette aux Afghans souhaitant fuir le régime de le faire par des voies légales et sécurisées. Des pays se sont déjà portés candidats, comme le Canada ou le Royaume-Uni notamment, qui ont annoncé être prêts à accueillir un certain quota de réfugiés. »

  • Les réfugiés afghans de plus en plus nombreux en France

En France, c’est l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) qui s’occupe de l’instruction des demandes d’asile et de l’attribution du statut de réfugié ou de bénéficiaires de la protection subsidiaire (accordée aux personnes ne pouvant bénéficier du statut de réfugié mais qui risquent de subir des atteintes graves dans leur pays : peine de mort, torture, traitements inhumains, violence généralisée résultant d’une situation de conflit armé, etc.).

L’Ofpra comptait 41 174 ressortissants afghans sous sa protection (réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire) au 30 juin 2021, et 8 000 demandes sont en instance de traitement. C’est la première communauté en France, devant les Syriens (35 327) et les Sri-Lankais (33 675). Le nombre de demandes de la part des Afghans a décuplé récemment, à la faveur de la crise migratoire (616 premières demandes en 2014, 6 087 en 2016), et ils constituent la première communauté en nombre de demandes de protection déposées et de protection accordées.

Pour Gérard Sadik, responsable national à la Cimade, association de solidarité aux migrants, ces chiffres s’expliquent par la politique menée par l’Ofpra, à Calais notamment, pour convaincre les Afghans de demander l’asile en France, ce qu’ils faisaient peu jusque-là, préférant poursuivre leur route vers le Royaume-Uni.

  • En grande majorité des hommes, jeunes et arrivés seuls

La communauté des réfugiés afghans en France est très jeune et très masculine, avec un ratio hommes-femmes extrêmement déséquilibré : 12,5 % de femmes et une moyenne d’âge de l’ensemble de 27,2 ans. Comme l’explique au Monde Gérard Sadik, la migration jusqu’en Europe se fait principalement par la route et est le fait « de jeunes majoritairement non diplômés qui ont travaillé au gré des opportunités s’offrant à eux dans les pays traversés ». Il rappelle aussi que ces jeunes hommes sont « particulièrement fragiles, en raison des situations traumatiques rencontrées dans leur pays d’origine ou en migration, et à cause d’une forte précarité économique » et qu’ils « rentrent peu dans les dispositifs d’accueil des demandeurs d’asile et s’installent dans les campements de migrants fréquemment évacués, en Ile-de-France par exemple ».

  • L’enjeu du regroupement familial

Les procédures de réunion ou de regroupement familiale constituent « un enjeu majeur pour cette communauté, d’autant plus dans la période à venir, poursuit Gérard Sadik. Fin 2020, seuls 556 titres de séjour ont été délivrés pour ce motif. Les procédures sont kafkaïennes et il sera probablement impossible aux candidats au rapprochement familial de se rendre aux consulats français en cas de fermeture hermétique des frontières par les talibans. »

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Les Afghans de France, une communauté grandissante et fragmentée

Le chercheur François Gemenne évoque enfin la crainte que l’asile soit désormais réservé « aux Afghans les mieux connectés, les plus riches, qui ont pu quitter rapidement le pays alors que ceux qui restent risquent de se retrouver dans une prison à ciel ouvert ». Il émet l’hypothèse que ceux qui souhaitent fuir mais qui n’en ont pas les moyens tout de suite ne soient plus considérés, dans les mois qui viennent, comme candidats à l’asile mais comme migrants économiques, ce qui réduit leurs chances de voir leur demande acceptée dans les pays d’accueil.

Notre sélection d’articles sur l’Afghanistan

Retrouvez nos articles concernant la situation en Afghanistan dans notre rubrique.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *