Procès du vol Rio-Paris : y a-t-il moins de crashs d’avions aujourd’hui que par le passé ? – Edition du soir O – L’édition du soir

Par Juliette BROSSAULT

Treize ans après l’accident du vol Rio-Paris, qui avait fait 228 morts, le procès de la pire catastrophe de l’histoire d’Air France s’ouvre ce lundi. Même si les lourds bilans humains de ces accidents tragiques marquent les esprits, l’avion est aujourd’hui le moyen de transport le plus sûr, grâce aux technologies et à la stricte régulation dans les pays occidentaux. Et depuis cinquante ans, le nombre de crashs aériens diminue.

Treize ans après, le procès du crash Rio-Paris qui avait fait 228 morts en 2009 s’est ouvert, ce lundi 10 octobre 2022 devant le tribunal correctionnel de Paris. Les catastrophes aériennes marquent chaque fois les esprits en raison de leur lourd bilan humain. Pourtant, le nombre d’accidents mortels impliquant des avions de ligne ne fait que diminuer depuis cinquante ans. En 2021, les appareils français n’en ont enregistré aucun. Dans le monde, il y a eu trois accidents aériens mortels en 2021, qui ont tué 81 personnes. Un chiffre inférieur à la moyenne des dix dernières années, mais qui doit toutefois être replacé dans un contexte de moindre trafic : en raison de la pandémie de Covid-19, le trafic aérien n’était qu’à 57 % de son niveau de 2019 d’après le Bureau d’enquêtes et d’analyse pour la sécurité de l’aviation civile (BEA).

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Amélioration de la sécurité aérienne

Depuis le début des vols commerciaux en 1914, l’aéronautique n’a fait que s’améliorer, et par conséquent le nombre d’accidents a progressivement diminué. « Avant-guerre, on perdait 5 % de nos pilotes tous les ans, déplore Geoffroy Bouvet, président de l’Association des professionnels navigants de l’aviation (Apna) et ancien commandant de bord d’un Boeing 777 à Air France. Jean Mermoz [aviateur français disparu dans l’océan Atlantique en 1936] disait que pour nous, l’accident c’était de mourir dans notre lit… »

Puis, les générations d’avions se sont succédé. Toutes plus sûres les unes que les autres. Avec la quatrième et dernière génération d’avions à réaction commerciaux, entrée en service en 1988 avec l’Airbus A320, un réel pas a été franchi. Notamment grâce à la technologie de commandes de vol électriques qui protègent contre les accidents de perte de contrôle en vol. Cela a permis une baisse de 89 % de ce type d’accidents, selon des statistiques du constructeur européen Airbus, jugé à partir de ce lundi pour homicides involontaires dans le cadre du procès du crash Rio-Paris.

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Le vol Air France AF 447 reliant Rio à Paris s’est abîmé au milieu de l’océan Atlantique dans la nuit du 31 mai au 1er juin 2009. (Infographie : Ouest-France)

« Les incidents ont réellement baissé ces trente dernières années », affirme Vincent Gilles, vice-président du Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL). En 2021, il y a eu vingt fois moins d’accidents par million de vols qu’en 1993. « Compte tenu du trafic aérien actuel, si on était resté au niveau des années 1960, ça serait un accident toutes les semaines », souligne Guillaume Gestas, président du SNPL et commandant de bord d’un Airbus A350.

Toutefois, cette sécurité n’est pas homogène à travers le globe. Il y a davantage d’accidents dans les zones où le système de contrôle est moins développé – les pays émergents notamment.

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Le moyen de transport le plus sûr

Outre les contrôles, cette plus grande sécurité est en partie due à la technologie. « Les avions transmettent des centaines de données à la seconde et permettent aux services de maintenance d’anticiper les pannes », détaille Geoffroy Bouvet. Certains pilotes, comme Guillaume Gestas, en activité depuis plus de vingt ans, se souviennent du temps où une courbe météo leur était communiquée via un fax avant le vol… Désormais, elle leur est communiquée en temps réel : ils peuvent adapter leur trajectoire en fonction des informations reçues.

« La technologie nous aide beaucoup », reconnaît-il, mais il souligne l’importance du « facteur humain » qui a été pris en compte à partir des années 1990-2000. « Il a été admis que le « savoir-être » dans l’équipage est aussi important que l’habileté physique à piloter. »

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L’innovation a fait de l’avion le moyen de transport le plus sûr, avant le train. Autrement dit, en termes de probabilités, il faudrait prendre l’avion tous les jours durant 461 ans avant d’être impliqué dans un accident causant au moins un décès, et il faudrait en moyenne voyager par avion chaque jour durant 20 932 ans pour subir un accident fatal à 100 % des personnes à bord, détaille l’Association du transport aérien international (Iata) dans un communiqué de 2021.

Mais la formation des pilotes doit également accompagner l’innovation, pour que celle-ci soit synonyme de sécurité. « Plus la technologie évolue, plus il faut que les pilotes soient formés », souligne Geoffroy Bouvet, président de l’Apna. Il reprend l’exemple de la mise en service de l’Airbus A320 en 1988 avec l’instauration des commandes de vol électrique : « Juste après sa mise en service, il y a eu un pic d’accidents car les pilotes n’étaient pas formés à cette évolution… »

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La complexité de l’automatique

Les avions sont aussi devenus de plus en plus automatisés. Et donc de plus en plus complexes. « Il y a des comportements inattendus ou inexpliqués des automatismes », affirme Vincent Gilles, également commandant de bord d’un Boeing 777 à Air France. Pour étayer son propos, il cite une étude de la FAA (Federal Aviation Administration) datant de 2013 : des comportements inattendus ou inexpliqués des automatismes interviennent dans « 46 % des accidents et dans 60 % des incidents graves », dit-il. « Pour aller vers plus de sécurité, je pense que c’est une erreur de penser que l’automatique va supplanter l’humain. Il faut qu’il soit au service du jugement humain. Il faut un équilibre entre les deux. »

En cas de bugs des systèmes automatiques, le pilote doit être capable de suppléer la machine. De comprendre le problème à résoudre. De gérer l’imprévisible. Un pilote doit toujours anticiper, toujours avoir un plan B.

« Quand on part en vol, on a toujours une réserve de carburant au cas où il se passe quelque chose, on garde à l’esprit que notre trajectoire peut être déviée à tout moment », rappelle Guillaume Gestas, président du SNPL.

Des fleurs, laissées par les parents d’une victime australienne du crash en 2014 de l’avion MH17 de Malaysia Airlines dans la région de Donetsk en Ukraine, accident dans lequel étaient mortes les 298 personnes à bord. (Photo : BULENT KILIC / AFP)

Le pilote est formé à avoir des réflexes. Mais ces réflexes qui ont été mis à mal par la pandémie de Covid-19 et l’arrêt de l’activité aérienne. Manque de personnel, diminution du respect des procédures, fatigue, dégradation des équipements et des infrastructures liées au report des travaux, perte de compétences et de connaissances après une absence prolongée… « Un vol c’est comme une partition de musique […] et là les rouages étaient rouillés, nous devenions fébriles sur certains points », confie Guillaume Gestas.

De quoi inquiéter certains professionnels lors de la reprise du trafic à l’été 2022 : ils craignaient une recrudescence des accidents. « C’était l’ensemble de la chaîne qui avait perdu ses habitudes, mais maintenant on sent que le système a retrouvé son équilibre », rassure Geoffroy Bouvet.

Une amélioration permanente

La diminution du nombre d’accidents au fil des ans est aussi liée à la remontée d’informations qui prime dans le milieu. Chaque pilote qui rencontre un problème doit le notifier, afin que le problème qu’il soit identifié et résolu. « On ne peut pas nous sanctionner, sinon le risque c’est que l’on cache des choses, déclare Guillaume Gestas. Malgré tout, on n’attend pas d’avoir un accident pour en tirer des enseignements. »

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Les accidents sont aussi moteurs de changement. En réaction au décrochage du vol Rio-Paris en 2009 au milieu de l’Atlantique, la technologie des avions a été modifiée : le nombre de sondes permettant de mesurer la vitesse est passé de trois à cinq pour davantage de fiabilité ; Airbus et Boeing ont tous deux revu leurs procédures de décrochage ; et l’agence de l’Union européenne pour la sécurité aérienne (EASA) a mis en place une obligation d’entraînement tous les six mois.

Malgré cette politique de l’amélioration permanente, la perte de contrôle en vol, la sortie de piste et la collision avec le relief restent les causes les plus courantes des accidents depuis une vingtaine d’années. Les accidents mortels se produisent majoritairement lors de l’approche et l’atterrissage, d’après les statistiques d’Airbus.

Reste à voir si les innovations futures permettront de pallier les quelques failles restantes : « Nous avons eu un gain énorme et très rapide en soixante ans, maintenant l’évolution va être plus longue car elle sera plus liée aux compétences humaines qu’au progrès technique », conclut Geoffroy Bouvet, président de l’APNA.

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