Procès du drame de Millas : « Le bus est devant, l’impact est imminent », l’« impuissance » des conducteurs du TER – 20 Minutes

Au tribunal correctionnel de Marseille,

La scène n’a duré qu’une poignée de secondes. Mais le souvenir est encore vivace, et le traumatisme saillant. Quelques secondes durant lesquelles Thierry et Marilyne ont vu le TER qu’ils conduisaient rouler dangereusement vers le car scolaire qui traversait le passage à niveau de Millas, ce 14 décembre 2017. C’est la première fois que les deux cheminots travaillent ensemble, ce jour-là. Marilyne, stagiaire, a commencé sa formation quelques mois auparavant, et le train qu’elle conduit sous la surveillance de Thierry s’approche du petit village des Pyrénées-Orientales avec un peu de retard. « J’aperçois ce bus sur la droite et je le vois pousser cette barrière de manière très lente, se souvient Thierry à la barre du tribunal correctionnel de Marseille. Je pensais qu’il s’était arrêté trop près de la barrière et qu’en relâchant le frein, il l’a poussée. » Le bus avance bel et bien sur les rails. Marilyne actionne le freinage d’urgence et le klaxon. « J’espérais qu’il accélère pour dégager la voie », confie Marilyne.

Lancé à 75 km/h, le train fonce sur le car scolaire, qui transporte 23 collégiens. « A ce moment-là, elle ou moi, on est impuissant, soupire Thierry. Les freins se mettent en action et on est obligé d’attendre. Je reste dedans à regarder. Marilyne est toujours en train de siffler. Je relève les yeux et le bus est devant moi. Ce mur de métal est devant moi. L’impact est imminent. On a crié en même temps, mais pas la même chose. »

« Un décor de guerre »

Le drame se noue. Six enfants perdront la vie dans cette collision. A la barre, le ton de Thierry est monocorde et rapide. « Dès l’arrêt du train, j’étais impressionné par les odeurs de chaleur et les odeurs en général. J’étais abasourdi par le choc. » S’ensuit une scène apocalyptique. « Un décor de guerre », dit même Thierry à la barre, entre deux sanglots. « Il y avait des débris partout, du verre », souffle Marilyne. Tous deux espèrent que le car qu’ils viennent de percuter est vide de tout passager. « Je me suis mis en protection, estime Thierry. J’étais persuadé qu’il y avait personne dans le bus. Mais j’ai vu un téléphone portable dans le couloir. Et je savais que ce n’était pas le mien. Et je savais que ce n’était pas le téléphone portable de Marilyne. »

La conductrice s’en sort avec des bleus aux jambes et des bouts de verre aux bras. « La blessure est plus morale ? », demande son avocat. « Carrément », souffle la quadragénaire, suivie depuis ce jour-là par un psychologue. « Les débuts étaient compliqués pour tout. Mes enfants ne voulaient plus que je fasse ce métier. Il n’y a pas un Noël depuis qui s’est passé correctement pour moi. Je ne fête plus Noël comme avant, depuis cet accident. Mon plus grand avait l’âge de ces enfants et c’est horrible. »

« On n’oublie jamais rien. On vit avec »

« Je suis resté en accident du travail près de trois mois, raconte Thierry. C’est quand même un moment à surmonter assez compliqué. Ce n’est pas la conduite que j’appréhendais. C’est les autres. Même en voiture, j’avais peur. » Depuis, chaque 14 décembre, les deux conducteurs, aujourd’hui très liés, se retrouvent. « Je ne travaillerai plus un 14 décembre, explique Marilyne. Je pose un jour de congé et avec Thierry, on va déposer des fleurs au passage à niveau. On ne se mélange pas aux familles, mais ça nous paraît normal. »

Et d’ajouter : « Le choc, il a été violent aussi pour nous. Pas autant que pour les familles. Mais la souffrance, on l’a en nous aussi. On n’oublie jamais rien. On vit avec. » Une souffrance également liée, selon elle, aux mises en cause dont les deux conducteurs ont fait l’objet, dans les médias et par la défense, qui a tenté de nouveau ce mercredi d’ébranler leurs certitudes.

« Les gens font l’amalgame, estime Marilyne. Je suis conductrice de train. J’étais sur ma voie. Le bus ne devait pas se trouver sur ma voie. Nous, on n’a rien demandé. Même s’il avait accéléré, au final, ça aurait été la queue du bus. Et s’il avait reculé, ça aurait été la tête. » En effet, malgré l’émotion, à la barre, les deux conducteurs tiennent un même discours. « Je suis formelle, lance Marilyne. La barrière était fermée. » Des propos qui viennent allonger la liste de plus en plus fournie de témoins qui affirment la même chose à la barre. De quoi mettre à mal la défense, qui clame depuis le début de l’enquête que le passage à niveau était ouvert. Derrière les deux cheminots, la conductrice du car demeure interdite, sortant de temps à autre un mouchoir.

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