Procès du 13-Novembre, jour 27 : au Bataclan, ‘les combles c’était le purgatoire, en-dessous c’était l’enfer’ – France Inter
De nouveaux survivants du Bataclan ont témoigné à la barre ce lundi, au 27e jour du procès des attentats du 13 novembre 2015. Des spectateurs qui se trouvaient au balcon de la salle de concert lorsque l’attaque a débuté. La plupart se sont réfugiés dans les combles ou sur le toit.
Ce soir-là, ils étaient fatigués. Comme Danièle ou Émilie qui voulait “faire sa mémé”. Comme Franck, aussi, qui était “crevé” et “hésitait à y aller”. “Puis je me dis, bon j’y vais.” Alors, ils choisissent le balcon du Bataclan, ce 13 novembre 2015, pour assister au concert. Jérôme parce que, sur le côté droit, “la vue était spectaculaire”. Charles “pour changer”. A l’étage de cette ancienne salle de cinéma, il y a aussi “ce petit garçon et sa maman”, “avec un casque vert fluo pour le protéger du son” que remarquent de nombreux spectateurs du balcon.
Là, tous profitent de “cette ambiance énorme, une véritable osmose entre le groupe et les spectateurs”. Jusqu’à ce que “tout bascule”. “Les premières rafales arrivent avec une odeur, l’odeur de la poudre”, raconte Nicolas. “Ça se transforme en odeur acre, irrespirable, ça vous prend le nez. Ensuite, mon cerveau entre en mode survie : on se baisse, on rampe, on se tire de là.” “Je comprends vite que nous étions dans la merde”, poursuit Jérôme à la barre. “Je deviens une bête, un animal qui ne pense à rien d’autre que de se sauver, sauver sa vie.” Tous se mettent à ramper, rejoignent les uns une loge, les autres un cagibi.
Casser le faux plafond, grimper dans les combles
Dans la loge où se retrouvent Émilie et Nicolas, “nous sommes des dizaines.” Quelqu’un bloque la porte avec un canapé. Juste à côté d’Émilie, “le petit garçon, si petit que j’ai peur qu’il manque d’air. Je le prends dans mes bras et le rassure comme je peux avec sa maman qui a réussi à le rejoindre.” Nicolas, lui, a bien vu qu’Émilie était en panique, jusqu’à qu’elle prenne en charge ce petit garçon. “Elle pense l’aider, mais moi je pense que c’est lui qui l’a aidée en lui donnant une mission”, explique-t-il à la barre.
Pendant ce temps-là, dans la loge, certaines personnes sont parvenues à casser le faux plafond et commencent à grimper dans les combles. Mais Émilie, de forte corpulence, ne parvient pas à se hisser. Une fois, deux fois. “Mais il n’y a aucune impatience, que des encouragements”, raconte Nicolas. “Il y a de l’humanité dans cette loge, de l’entraide.”
Cette humanité contrastait avec ce qu’on entendait en bas.
Même sentiment dans le cagibi où se sont réfugiés Danièle et Nicolas, en rampant depuis le balcon. “Les gens étaient calmes.” Les uns après les autres, ils grimpent sur le toit, via un vasistas en hauteur. “On fait monter les femmes d’abord, puis les autres. J’ai compté 23 personnes”, explique Franck. “Et pendant tout ce temps-là, les tirs ne s’arrêtaient pas.”
“Une femme est entrée, elle nous a dit qu’elle était enceinte, on l’a laissée passer. Puis son mari, on l’a laissé passer aussi. Cette humanité contrastait avec ce qu’on entendait en bas”, se souvient Danièle. Tous finissent par atteindre le toit du Bataclan. De là, Danièle et Nicolas se réfugient, par les fenêtres, dans l’appartement d’un jeune homme. “On était une trentaine, on avait éteint les lumières, tout le monde chuchotait“, explique Danièle. D’autres, comme Thomas, Sylvie ou Franck parviennent à entrer dans un bureau.
Garder le silence, à tout prix
Émilie, Nicolas et Jérôme sont parvenus à se réfugier dans les combles “dans l’obscurité et dans la laine de verre qui vous donne envie de tousser”. Tout en tentant de garder le silence à tout prix. Tout en entendant le drame qui se déroule en-dessous : “Les combles, c’est le purgatoire. En dessous, c’est l’enfer”, lance Nicolas. “Et ce qu’on entend est horrible : des hurlements, des râles d’agonie.” Jérôme perçoit cet homme qui hurle de douleur “et une femme qui prend sa défense. Elle criait : laissez-le tranquille, il est blessé ; puis des coups de feu.” Jérôme suppose aujourd’hui “qu’ils leur étaient destinés”. Car les cris se sont tus.
Puis, c’est la libération. L’arrivée des hommes du Raid et de la BRI. Mais aussi le moment de redescendre. “Quelqu’un a demandé aux policiers ce qu’il s’était passé en bas”, raconte Émilie, “on nous a répondu que Charlie n’est rien à côté”. Une échelle d’abord : “Nous ne savions pas si les restes de chair humaine sur les barreaux appartenaient à un de nos agresseurs ou à une victime”, raconte Jérôme.
Je suis morte là bas, au Bataclan.
Six ans après, dans la tête de Nicolas, il y a toujours ces visions de “tas de corps enchevêtrés”. Pour lui, “la seule comparaison possible, c’est avec les images des documentaires sur les camps de concentration”. Émilie et Nicolas rentrent ensuite chez eux en voiture, “dans notre campagne normande”. Ils retrouvent leur fils de trois ans. Mais “les jours suivants, du réveil à l’endormissement, jusque dans nos rêves, le Bataclan est omniprésent. Je suis morte là-bas, au Bataclan”, raconte Émilie en larmes.
“Aucune vengeance”
Six ans après, Émilie est “toujours dans l’incapacité de travailler”. “Je me sens incapable de tout. Je n’arrive plus à aimer mes enfants et mon mari comme je le faisais auparavant. Je suis hermétique, ne ressens plus rien de profond et refuse leur affection.”
Pour Olivier et Virginie, l’après, ce sont les doutes sur cet enfant qu’ils désiraient avant. Et puis l’arrivée il y a trois ans et demi de leur fils “que j’ai emmené devant le Bataclan pour commencer à lui expliquer”, raconte Olivier. Et “voyez, messieurs les accusés, même un enfant de trois ans et demi, fait la différence entre le bien et le mal”.
Ces accusés pour lesquels Nicolas “ne souhaite aucune vengeance”. Il poursuit : “Vouloir la vengeance serait commencer à leur ressembler un peu. Je ne souhaite pas non plus réparation. C’est impossible de réparer ce qu’ils ont fait. Je ne vous demande que justice : jugez-les équitablement. Et qu’on oublie leurs noms.”