Procès du 13-Novembre: comment les victimes se sont préparées à témoigner – BFMTV

La cour d’assises spéciale va entendre pendant cinq semaines le récit des rescapés et des familles des victimes des attentats. Pour beaucoup, la décision de témoigner a été difficile à prendre.

Venir témoigner ou non? Pour dire quoi? Dans quel but? Depuis plusieurs semaines, les rescapés et les familles des victimes des attentats du 13-Novembre s’interrogent sur leur place dans ce procès et sur le poids de leur récit. Plus de 300 d’entre elles ont finalement fait le choix de s’exprimer, à partir de ce mardi, devant la cour d’assises spéciale qui juge 14 accusés des attaques qui ont fait 130 morts en 2015.

Me Gérard Chemla prépare ses clients depuis le mois de juin. Sur les 140 parties civiles qu’il représente, seule une quinzaine a fait le choix de venir témoigner devant la cour d’assises. “Je ne les ai pas incités à témoigner”, explique l’avocat à BFMTV.com, détaillant les “recommandations” qu’il a faites aux victimes et familles de victimes pour prendre leur décision.

“Je leur ai dit de faire ce qu’ils avaient envie de faire et qu’ils ne sont obligés à rien”, détaille-t-il. “Je leur ai laissé un grand libre arbitre.”

“S’élever avec un propos humain”

Pendant 5 semaines, pendant 23 journées d’audience, la cour écoutera les histoires de ces survivants des attaques, de ces témoins directs, ou de ces proches endeuillés. De nombreuses familles ont choisi de venir témoigner ensemble. “Pour beaucoup, il s’agit d’une sorte de dernier au revoir”, poursuit Me Gérard Chemla. “Ils le doivent à leur proche, ils ne peuvent pas ne pas le faire.”

Certains regrettent toutefois de ne pouvoir regarder les accusés dans les yeux – ces derniers sont installés dans le box un peu en retrait par rapport à la personne qui témoigne. La difficulté de cet exercice va être de ne pas s’emporter.

“On s’élèvera en ayant un propos humain”, prévient Me Chemla.

La cour a prévu de laisser les parties civiles s’exprimer pendant 15 minutes chacunes, mais difficile d’imaginer le président leur demander de se dépêcher de conclure leur intervention.

Pour faire face à cette peur de l’oubli, les avocats conseillent souvent d’écrire un texte avant de témoigner afin de “s’approprier leur récit”. “Ce n’est pas un examen, ils ne peuvent pas avoir bon ou faux, l’important ce ne sera pas les mots mais les émotions”, estime Me Chemla.

“Il ne faut surtout pas qu’ils se brident”, abonde Me Hervé Gerbi. “Ce sera la seule opportunité de toute leur vie de pouvoir dire aux accusés ce qu’ils ont fait.”

“Sortir de la culpabilité du survivant”

L’avocat grenoblois accompagne depuis quelques semaines un couple, rescapé de la Belle équipe. Leur amie, chez qui ils passaient ce week-end de novembre 2015, est morte dans leur bras. Ils n’ont décidé que très récemment à témoigner mais leur avocat avait anticipé.

“Nous avons travaillé en amont”, explique Me Gerbi. “Nous y sommes allés par étape. Je lisais avec leur accord le procès-verbal d’arrivée des policiers à la Belle équipe, la retranscription d’une vidéo de l’attaque, je leur ai montré la photo de la salle d’audience…” Lui aussi a conseillé à ses clients d’avoir un plan en tête.

“Ils le font pour la mémoire de leur amie, pour pouvoir se décharger et sortir du poids de la culpabilité du survivant qu’ils portent depuis six ans”, confie Me Gerbi, qui se voit comme un “libérateur ou un accompagnateur de la parole”.

La difficulté rencontrée par des nombreuses parties civiles a été de trouver un “intérêt” à leur histoire, à leur récit. “Certains avaient le sentiment de ne rien avoir vécu de particulier ou ils se disent ‘mon histoire n’a pas d’intérêt'”, explique Me Gérard Chemla.

“Beaucoup estiment qu’ils n’ont rien à ajouter à ce qui va être déjà dit”, complète Me Daphné Pugliesi, avocate de parties civiles, qui elle aussi a laissé ses clients “très libres de la manière de gérer les choses”. D’autres ont eu “peur d’être submergés à l’audience, comme si c’était quelque chose de honteux”, ajoute Me Chemla.

“Porter le message de ceux qui n’ont pas la force”

C’est pour révéler cette souffrance de ceux qui n’osent pas parler qu’Arthur Dénouveaux a accepté de venir témoigner. Le président de l’association de victimes Life for Paris viendra pour “raconter son vécu de survivant”. “Mais aussi et surtout celui de président d’une association qui, à ce titre, a parlé à des centaines de victimes. Je parlerai de notre chemin collectif et j’essaierai aussi de porter les messages de ceux qui auraient aimé témoigner mais n’en ont pas eu la force.”

Maureen Roussel, la fondatrice de l’association, viendra elle aussi déposer devant la cour d’assises.

“Son témoignage peut apporter quelque chose sur la manière dont s’est organisée la société civile pour porter secours aux victimes”, estime Me Daphné Pugliesi. La rescapée du Bataclan est la seule de ses clients à avoir pris la décision de témoigner.

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Le début du procès, les premières paroles des accusés ou encore les témoignages détaillés des policiers venus raconter les scènes des attaques ont fait évoluer les choses. “Nous avons surtout conseillé à nos adhérents de garder l’esprit ouvert, de s’écouter et de s’autoriser à décider assez tardivement”, conclut Arthur Dénouveaux. “Et je note que beaucoup d’entre eux se décident ces derniers jours à aller témoigner.”

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