Procès du 13-Novembre : « Ce soir-là, dans ma maison, vingt et une personnes sont mortes assassinées » – Le Monde

Témoignage des rescapés du bar La Belle Équipe, au procès des attentats du 13 novembre, à Paris, le 1er octobre.

Jusque-là, la fusillade de La Belle Equipe n’était qu’une scène d’attentat figée par des croquis, des schémas, des contours de silhouettes tracées sur le sol et vingt-deux secondes d’images filmées par un téléphone portable. Jeudi 30 septembre et vendredi 1er octobre, elle s’est incarnée dans les visages et les mots des rescapés. Ils ont conduit la cour d’assises au cœur du bonheur d’avant, de la terreur pendant, et de la douleur dans laquelle ils survivent depuis six ans.

Vendredi 13 novembre 2015, Grégory Reibenberg, le propriétaire de La Belle Equipe, s’affairait entre les tables avec Nicolas, le serveur. Chloé et Ambre étaient venues en renfort, comme souvent. La terrasse était bondée, l’intérieur aussi. La directrice du restaurant, Hodda Saadi, fêtait ses 35 ans, entourée de son frère Khaled, de sa sœur Halima et de ses meilleurs amis. La belle équipe de La Belle Equipe au grand complet.

« Ce soir-là, dans ma maison, vingt et une personnes sont mortes assassinées. Dix faisaient partie de ma vie depuis des années. Nos ennemis ne se sont pas trompés de cible », dit Grégory Reibenberg. C’est lui qui a fermé les yeux de sa compagne Djamila Houd. Son dernier mot a été le prénom de leur fille de 8 ans.

« Des visages de cire, du sang partout »

Baptiste était en train de commander trois coupes de champagne à l’intérieur quand les rafales de kalachnikov ont tué ses meilleurs amis. Parmi eux, Romain Feuillade, qui avait 31 ans et suivait une école de théâtre. « Je suis resté peut-être vingt minutes à côté de lui, à le fixer. Pour ne pas l’oublier. » Après, dit-il, « tous les enterrements étaient au même moment. il a fallu choisir ».

Ambre était derrière le bar au moment où elle a cru entendre « des coups de pétards ». Elle sort sur la terrasse quelques minutes plus tard. « Je ne comprends pas ce que je vois. Je les connaissais tous et je ne les reconnaissais pas. » Camille était l’une des invitées de Hodda Saadi. Elle n’a pas accompagné Hyacinthe, Marie-Aimée et son mari Thierry lorsqu’ils sont sortis fumer une cigarette. Tous trois ont été tués. Elle se souvient « des corps enchevêtrés, des visages de cire, du sang partout. La seule que j’ai reconnue, c’était Hodda, dans les bras de son frère, le visage tourné vers le ciel. Ils étaient tous ma famille de cœur, on se connaissait depuis des années. Hyacinthe, Marie-Aimée, Thierry, Hodda, Halima, Justine, Romain, Ludo, Michelli, je dois vivre pour eux. Pourquoi c’est pas moi qui suis morte ? »

Le 13 novembre 2015, Jessica rayonnait au milieu des « Charonnards », le surnom de la bande de copains qu’elle avait réunis pour ses 24 ans. Le quartier Charonne est l’épicentre de leurs jeunes vies. « Notre pays », plaisantent-ils. Roman, le compagnon de Jessica depuis le lycée, Julie, Nathan, Marko, Ida, Thomas, Sébastien, Eva, Meline, Victor, Julien étaient déjà arrivés. Une dizaine d’autres était attendue. Personne, dans la tribu, n’aurait manqué l’anniversaire de « Jess ». Juste après 21 h 30, Julie est repartie quelques minutes car elle cherchait une meilleure place pour garer sa voiture. Quand elle revient, la fusillade a eu lieu. Victor a été tué. Eva, Meline, Ida, Jessica sont grièvement blessées. Dans le restaurant grec où elle a été transportée en attendant d’être évacuée à la Salpêtrière, Jessica croise le regard complètement perdu d’un pompier. A Roman, elle murmure : « Je ne veux pas mourir dans un kebab s’il te plaît ! »

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