Procès du 13-Novembre: ce qu’est la perpétuité incompressible requise contre Salah Abdeslam – Le HuffPost

Benoît Peyrucq / AFP
Jugé pour son rôle dans les attentats perpétrés le 13 novembre 2015 à Paris et Saint-Denis, Salah Abdeslam a vu la perpétuité incompressible être requise contre lui. Une condamnation rarissime en France, encore jamais prononcée pour des faits de terrorisme (dessin d’audience réalisé en septembre 2021, lors des premiers jours du procès).

JUSTICE – “Votre verdict pourra au moins assurer aux vivants que c’est, ici, la justice et le droit qui ont le dernier mot.” C’est par ces mots que Camille Hennetier, l’une des trois avocats généraux au procès des attentats du 13 novembre 2015, a demandé le 10 juin dernier à la Cour d’assises spéciale de Paris de prononcer des peines exemplaires contre les accusés. 

Parmi les condamnations requises (le verdict est attendu dans la semaine), le parquet a demandé la prison à perpétuité pour tous ceux qui l’encouraient dans ce procès historique. À commencer par Salah Abdeslam, le seul des accusés à être considéré comme un “coauteur” des attentats de Paris et Saint-Denis, et à ce titre exposé à une peine rarissime: la perpétuité incompressible, jamais prononcée pour des faits de terrorisme depuis qu’elle a été créée en 1994

Les avocats généraux ont estimé que les faits reprochés au seul survivant des commandos ayant frappé le stade de France, les terrasses parisiennes et le Bataclan -un homme qui a louvoyé entre excuses, dénégations de toute responsabilité et appartenance assumée à l’organisation terroriste État islamique- étaient d’une “exceptionnelle gravité” justifiant une sanction “en adéquation avec cette gravité”.

Mais qu’est-ce donc que cette “perpétuité réelle” requise contre Salah Abdeslam, et pour laquelle un verdict doit être rendu mercredi 29 juin? Le HuffPost a demandé l’éclairage de deux pénalistes: maîtres Juliette Chapelle, avocate au barreau de Paris, et Marion Ménage, du barreau de Pontoise. 

Prison, sûreté et perpétuité

Pour commencer, il convient d’expliquer comment fonctionnent les condamnations à des peines de prison dans le droit français. En l’occurrence, précise Juliette Chapelle, “l’idée du législateur est que l’être humain évolue, et qu’au bout d’un moment, durant une peine de prison, il doit être possible d’aménager sa détention pour lui permettre de revenir progressivement à la liberté”. Cela peut passer par une suspension de la peine, des permissions de sortie, une liberté conditionnée à un bon comportement hors de prison… 

En général, des périodes de sûreté sont donc prononcées en plus de la peine en soi. Il s’agit d’une durée durant laquelle la personne condamnée ne pourra pas demander d’aménagement, en général la moitié de la durée de la peine. “Et si c’est une peine à perpétuité, alors la période de sûreté est de 18 ans et peut monter à 22”, explique Marion Ménage. Au terme de ce délai, les détenus peuvent devant à un juge d’application des peines d’envisager un aménagement.

C’est là qu’intervient le concept de perpétuité réelle, ou “incompressible”, qui existe “pour les peines les plus graves et qui est très limitée par le législateur”, insiste Juliette Chapelle. Contrairement à la période de sûreté qui est limitée dans le temps, la perpétuité incompressible rend cette peine de sûreté illimitée. Pour autant, in fine, un aménagement reste possible. “Au bout de trente ans de détention que le condamné pourra demander au tribunal de l’application des peines de revenir sur cette impossibilité de formuler la moindre demande”, décrit Marion Ménage. 

Rien avant 30 ans

“Mais cela ne veut pas dire qu’au bout de 30 ans, les personnes sortent”, prévient Juliette Chapelle. “Le juge d’application des peines peut ne jamais donner droit à la demande d’aménagement et la personne restera en prison jusqu’à sa mort.” Car une fois la demande formulée, il reste encore un processus avant que celle-ci soit approuvée. 

Marion Ménage liste: “l’avis d’une commission composée de cinq magistrats de la Cour de cassation”, des “gages sérieux de réadaptation sociale” donnés par le détenu qui formule la demande, une expertise psychiatrique réalisée par un collège d’experts pour évaluer la dangerosité du condamné… Et elle ajoute que “le tribunal s’assure également que sa décision n’est pas susceptible de causer un trouble grave à l’ordre public et recueille l’avis des victimes”. Ce point pourrait se révéler particulièrement délicat dans le cas du 13-Novembre. 

Un dispositif bardé de garde-fous donc, mais motivé par cette idée que “l’être humain peut changer”, comme le résume Juliette Chapelle. Et c’est d’ailleurs ce qu’a estimé la Cour européenne des Droits de l’Homme en 2014, considérant que cette possibilité d’une demande d’aménagement après 30 ans de détention constituait malgré tout un espoir de libération du détenu. Sans cette perspective, pour l’avocate, la France aurait sans doute été condamnée. 

Quatre personnes condamnées, dont Fourniret

Par le passé, cette perpétuité incompressible n’a été prononcée qu’à quatre reprises, à chaque fois pour des meurtres d’enfants précédés de viol ou d’acte de torture ou barbarie. Y ont été condamnés “Pierre Bodein dit ‘Pierrot le fou’ en 2007, Michel Fourniret en 2008, Nicolas Blondiau en 2013 et Yannick Luende Bothelo en 2016”, détaille Marion Ménage. Jamais donc pour des faits de terrorisme, ce qui pourrait créer un élargissement du champ d’application de cette peine si Salah Abdeslam y était condamné, précise Juliette Chapelle. 

Camille Hennetier et les avocats généraux du procès du 13-Novembre ont longuement justifié leurs réquisitions. Notamment en évoquant une réinsertion qui semble impossible, au égard à “cette idéologie mortifère” qui a motivé les attaques terroristes de 2015. “Je ne crois pas qu’un retour en arrière soit possible, pas pour le moment en tout cas”, a déclaré la magistrate.

Et cela en s’appuyant sur une citation de Voltaire: “Lorsque le fanatisme a gangrené un cerveau, la maladie est presque incurable. Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, et qui, en conséquence, est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant?” Elle ajoutait: “Nous sommes sans illusions sur ce que représente ce temps carcéral. Mais c’est la seule réponse sociale acceptable pour protéger la société.” Avançant également la “minimisation des faits” par Salah Abdeslam et se disant convaincu qu’il n’était aucunement un simple chauffeur ou un invité de dernière minute non averti du projet terroriste du commando, le parquet a donc requis la perpétuité réelle. Charge désormais au tribunal de se prononcer.  

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