Procès de la «démembreuse» de Toulouse : «Je me suis dit, il faut que tu la découpes» – Le Parisien
« Maryline Planche rentre chez elle. Elle ne s’attend pas à ce que vous soyez là. Et vous dites qu’elle va s’asseoir à la table du salon prendre un verre et une bouteille ? Sur le palier, elle hurle : Au secours ! De quoi a-t-elle peur ? Le voisin vous voit l’attraper par les cheveux sur le palier. Elle est en culotte. À quel moment s’est-elle déshabillée ? S’est-elle enfuie en vous voyant ? »
Tandis que les photos de la reconstitution de la scène de crime défilent sur les écrans de la cour d’assises de Haute-Garonne, le président Michel Huyette presse l’accusée de questions. A chaque image, avec une infinie patience, il la confronte aux multiples versions qu’elle a livrées de cette journée du 12 mai 2016 à Toulouse. Il décortique ses déclarations ; lui fait préciser ou répéter…
Chignon roux en bataille, Sophie Masala répond avec de longs soupirs, hors d’haleine. Dans le box, un mouchoir serré entre les doigts, cette femme de 55 ans a l’allure d’une fillette prise en faute. Elle se contredit sans cesse; bafouille et s’enfonce. La salle, comble, bruisse de murmures de désapprobation. Au premier rang, sa sœur et ses deux grands enfants se crispent sur leurs chaises.
«Il faut que j’admette que j’ai tué Maryline»
Puis surgit un revirement, qui semble un élan de sincérité. Le plus important se produit ce jeudi, après la pause déjeuner. L’accusée, la voix moins chevrotante, avoue soudain que non, elle n’a pas frappé Maryline à coups de bouteille « par réflexe de défense » comme elle l’a affirmé auparavant. « Je n’ai pas menti, j’ai brodé », défend-elle avant de corriger son récit.
« On a eu une empoignade. J’ai pris la bouteille. J’ai tapé. Maryline est tombée sur moi. Je n’arrivais pas à me dégager. J’ai continué à taper. Il faut que j’admette que j’ai tué Maryline. » Donc elle ne vous agresse pas ? insiste le président. « Non, c’est la colère qui m’a fait porter les coups. » Pourquoi avoir encore menti ? A quoi sert votre thérapie en prison ? Sophie Masala pleure : « C’est dur… Je traîne ça tous les jours… On se sent sale. Honteuse. Le regard que ces gens (NDLR : la famille de Maryline) portent sur moi… Je suis un monstre, voilà ! »
Ainsi a navigué quatre jours durant, tel un bateau ivre de faux-semblants, le procès de celle que l’on a surnommée « la démembreuse du canal du Midi ». Car au meurtre de Maryline Planche, 53 ans, employée comme elle à l’antenne toulousaine de l’Agefiph, une structure pour l’emploi des handicapés, a succédé cet acte sordide : Sophie Masala a découpé le corps de sa collègue avant d’en disséminer les morceaux le long de ce cours d’eau qui traverse la Ville rose. Elle a jeté bras et jambes, abandonné le tronc dans une valise, mais gardé la tête, qu’elle a enterrée près de son balcon.
Elle se prostitue avec l’accord de son époux
Avant d’en venir à ces gestes macabres, la cour a longuement tenté de comprendre l’origine du conflit entre ces deux femmes. Ou plutôt de l’animosité croissante qu’a très vite éprouvée Sophie, embauchée fin 2015, à l’encontre de sa consœur Maryline – « une obsession haineuse », estime l’accusation.
Rien dans le profil de cette « conseillère prestation », déficiente visuelle à la vie secrète, et qui souffrait comme elle « d’un management par le stress » au bureau, n’en laisse entrevoir la raison. A l’analyse un peu courte des experts psys, pour qui Maryline aurait incarné aux yeux de Sophie l’image d’une mère défaillante et menteuse, les avocats des parties civiles, Mes Laurent Boguet et Georges Catala, proposent un scénario plus terre à terre -puisé dans un passé plus récent et suggérant « la reproduction de certains comportements. »
En 2010, Sophie Masala, virée de la fac de médecine de Montpellier (Hérault), où son époux travaille comme gardien, est condamnée pour « vols, contrefaçons de chèques et abus de confiance ». Surendettée, « incapable » de dire à son mari qu’elle n’arrive plus à gérer le budget familial, elle explique avoir ainsi voulu « trouver de l’argent ».
A l’époque déjà, elle invente des mobiles fantaisistes. « Le mensonge, c’est plus facile », dit-elle. Un temps, pour rembourser, elle se prostitue avec l’accord de son époux -qui empoche les gains. Puis elle rebondit, passe son bac à 47 ans ; décroche un BTS ; cet emploi à l’Agefiph et ce CDI à Toulouse.
«Il fallait un bouc émissaire !»
A-t-elle pris en grippe Maryline parce qu’elle aurait fait « obstacle » à son ambition ? Ou qu’elle ne parvenait pas à s’insérer dans ce nouveau poste ? Et ces cinq tickets-restaurants, qu’elle vole quinze jours avant le crime ? Elle risque de perdre encore son travail. Ne se rend-elle pas chez Maryline, qu’elle accuse d’apporter des dossiers Agefiph chez elle, pour la faire chanter ? Et non pour reprendre les clés qu’elle affirme lui avoir confiées ? « Qui êtes-vous Sophie Masala ? » gronde Me Catala.
Le président relit certaines de ses déclarations. « Il fallait qu’elle paye la souffrance que je ressentais » Ou : « ça m’a fait du bien de taper ». « Pourquoi cette colère ? Cette haine si forte ? » interroge-t-il. « Je n’avais pas de haine, je n’étais pas partie pour la taper », assure Sophie Masala.
Elle sanglote : « C’était un trop-plein d’une vie familiale pas terrible, un trop-plein au travail, une accumulation. Il fallait que ça sorte. Oui, il fallait un bouc émissaire ! J’avais l’impression d’être un sac de 300 kg de cochonneries et que tout se vide d’un coup. »
Elle change d’avis devant le rayon bricolage
Cinq jours après la mort de Maryline, le 17 mai 2016, Sophie Masala se rend dans un supermarché. « Je voulais la sortir de l’appartement. Je cherchais un grand sac à roulettes. J’ai pas trouvé. » Devant le rayon bricolage, elle change d’avis. « Je me suis dit : Il faut que tu la découpes. J’ai choisi une scie au hasard. »
Ses achats faits, elle revient chez Maryline, déplace le corps du lit au salon. « Je suis restée un moment à la regarder. J’ai fumé une cigarette. Je me suis dit : C’est foutu, tu ne peux pas revenir en arrière. J’ai recouvert le corps d’une couverture. J’ai fait ce que je voulais faire. » Elle crie presque, en répétant : « C’est pas moi qui fais ça ! C’est mes mains qui tenaient ! »
Le président lui demande pourquoi elle a gardé seulement la tête de sa victime avant de l’enfouir près de son balcon. Sophie Masala répond : « C’est la partie que je pouvais transporter le plus facilement. C’était son âme. Il fallait que Maryline soit là, à côté de moi. » Le verdict est attendu ce vendredi.