Procès de Julian Assange : la publication complète des câbles américains en 2011 au cœur des débats – Le Monde

Des manifestants soutenant Julian Assange, devant le tribunal de Belmarsh où a lieu l’audience sur son extradition, au sud de Londres, le 25 février.

Des manifestants soutenant Julian Assange, devant le tribunal de Belmarsh où a lieu l’audience sur son extradition, au sud de Londres, le 25 février. Matt Dunham / AP

C’est l’un des arguments-clés avancés par les Etats-Unis pour réclamer l’extradition de Julian Assange. Selon le département d’Etat américain, le fondateur de WikiLeaks aurait, en publiant des versions non censurées de 250 000 câbles diplomatiques en 2011, outrepassé ses prérogatives journalistiques en révélant ainsi l’identité et mis en péril la vie d’individus ayant fourni des informations à l’armée ou à la diplomatie américaine.

La chronologie de cette publication a été longuement évoquée, mardi 25 février, lors de la deuxième journée d’audience consacrée à la procédure d’extradition contre M. Assange, à Londres. Cette dernière s’était ouverte sur la dénonciation, par ses avocats, des conditions de détention de l’intéressé dans la prison de haute sécurité de Belmarsh.

Lire sur le sujet : « Menotté onze fois », « mis à nu deux fois » : les avocats de Julian Assange dénoncent ses conditions de détention

Une première version expurgée en 2010

Pour Mark Summers, l’avocat de Julian Assange, « il est faux d’affirmer que M. Assange a consciemment mis la vie de gens en danger. Et les Etats-Unis le savent », a-t-il expliqué à l’audience :

« Les Etats-Unis savent qu’en réalité, Assange et WikiLeaks ont noué un partenariat avec une série de médias grand public pour comprendre et gérer de manière responsable ce matériau. »

La publication de ces câbles diplomatiques s’est en effet déroulée en deux temps. Fin 2010, en collaboration avec WikiLeaks, cinq médias (dont Le Monde, avec le New York Times, le Guardian, Der Spiegel et El Pais) avaient commencé à publier des articles documentés par les câbles diplomatiques en question – des « télégrammes » échangés entre des ambassades et le département américain.

Une petite partie des documents avait également été publiée en ligne, dans des versions allégées : ils n’affichaient alors pas les noms et informations pouvant mettre en danger les sources du département d’Etat américain.

« Ce processus [avec les rédactions] était destiné à identifier les caviardages nécessaires avant la publication d’un câble », a noté M. Summers à l’audience. « Le gouvernement américain et le département d’Etat étaient impliqués ; ils ont suggéré des caviardages. Il y avait un accord avec les médias partenaires ayant accès aux câbles. Ce dernier prévoyait qu’ils notifient WikiLeaks en cas de contenus problématiques et WikiLeaks a agi en conséquence. Le département d’Etat a participé au processus de caviardage », notamment en donnant à un journaliste allemand des numéros de câbles diplomatiques jugés particulièrement sensibles.

Des versions complètes ensuite publiées

Mais en 2011, la situation se complique. Dans un livre publié par deux journalistes du Guardian qui ont travaillé sur ces câbles diplomatiques, qui vient d’être publié, les auteurs donnent le mot de passe qui leur a permis de déchiffrer l’archive complète des documents qui leur avait été transmise par WikiLeaks. Le Guardian expliquera par la suite qu’on l’avait informé que ce mot de passe était temporaire. Mais à l’époque, une copie de cette archive complète circule sur Internet, dans des espaces en ligne cachés mais accessibles avec un peu d’astuce, sans que l’on sache, encore aujourd’hui, qui l’a mise en ligne et dans quelles conditions.

« Un des médias partenaires de WikiLeaks a publié un livre qui a permis au monde entier d’accéder au matériau non caviardé »

« Tout le monde sait qu’un des médias partenaires de WikiLeaks a publié un livre en février 2011, qui a permis au monde entier d’accéder au matériau non caviardé, qui a d’abord circulé sur des sites Internet, et pas sur le site de WikiLeaks. Aucun n’a été poursuivi, alors que certains sont basés aux Etats-Unis. L’idée que M. Assange a délibérément mis en danger des vies en publiant une base de données non caviardée est évidemment inexacte », a défendu M. Summers, dont la stratégie principale semble être de chercher à démontrer que la demande d’extradition est motivée par des raisons politiques, et non juridiques, un des arguments capables de conduire la juge à refuser l’extradition.

Six mois après la publication du livre, en août 2011, « le journal allemand Die Freitag rapporte qu’il a découvert le mot de passe et a désormais accès à une archive », a relaté Mark Summers. « Alors qu’il annonce au monde qu’il dispose de la clé, M. Assange est au téléphone, ainsi que Sarah Harrison, qui travaille pour WikiLeaks, avec la Maison Blanche. Il téléphone aussi à la ligne d’urgence du département d’Etat pour les avertir de ce qu’il pourrait se passer. Ils évoquent “une urgence imminente”, expliquent qu’ils ont des informations selon lesquelles les câbles vont être publiés, mais pas par eux », a rappelé aussi M. Summers : la scène, filmée par la documentariste Laura Poitras, figure en ouverture de son film Risk, consacré à Julian Assange.

Partenariat « innovant »

Quatre jours plus tard, le Spiegel confirme qu’une copie de l’archive et du mot de passe sont facilement accessibles en ligne, grâce à un fichier Torrent. « On les trouve sur de nombreux sites, notamment sur Cryptome, un site basé aux Etats-Unis, qui est en fait le premier à faire ce que l’acte d’accusation accuse Assange d’avoir fait. Le 1er septembre, le site The Pirate Bay annonce au monde qu’il poste l’archive de WikiLeaks, complète, sans rédaction et déchiffrée. » Le même jour, WikiLeaks commencera à publier ces mêmes câbles diplomatiques non expurgés sur son site.

Pour M. Summers, le déroulé de l’épisode du « Cablegate » montre que, contrairement à ce qu’affirment les Etats-Unis, WikiLeaks a agi en acteur responsable. Le partenariat avec les rédactions a été « mis en place par WikiLeaks, ses procédures ont été conçues par WikiLeaks et mises en œuvre par WikiLeaks. C’était extrêmement innovant en matière de journalisme », a-t-il dit, estimant que « la demande d’extradition a visiblement et consciemment déformé les faits ».

Lire l’éditorial du « Monde » : « Julian Assange ne doit pas être extradé aux Etats-Unis »

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