Présidentielle US : vers un scénario chaotique le soir de l’élection ? – Le Parisien

Ceux qui ont aimé l’élection présidentielle américaine de 2000, où le match Bush-Gore se dénoua sur tapis vert plus d’un mois après le vote, devraient adorer le cru 2020 Trump-Biden. Le scénario risque d’être encore plus chaotique, et les chances de connaître le vainqueur dès le soir du mardi 3 novembre semblent quasi-nulles. Ou alors il faudrait un raz de marée électoral en faveur de l’un ou l’autre des candidats.

Mission a priori impossible pour le président républicain sortant, que les récents sondages placent environ 10 points derrière son rival démocrate. Mais peu probable aussi pour Joe Biden : le manque de fiabilité des sondages américains – en 2016, ils donnèrent jusqu’au bout Hillary Clinton aisément victorieuse – joint à la complexité du système électoral où le nombre d’Etats gagnés compte plus que celui des voix empochées au niveau national (il y a quatre ans, Clinton totalisait quelque 3 millions de voix de plus que Trump), incite à la prudence.

Cette fois, d’autres facteurs viennent compliquer encore le jeu, faisant craindre un suspens électoral qui s’éterniserait. Ils sont liés, d’une part, à la pandémie de Covid-19 qui continue de faire des ravages aux Etats-Unis, d’autre part au comportement du président le plus déroutant qu’ait connu le pays. La peur de la contagion dans les bureaux de vote – dont certains sont déjà ouverts pour le vote par anticipation – incite un nombre considérable d’électeurs, sans commune mesure avec les précédents scrutins, à voter par correspondance (interdit en France, la sincérité de ce vote n’étant pas garantie). Cinq millions d’Américains auraient d’ores et déjà envoyé leur bulletin. Le principe est simple : chaque électeur, expatriés compris, reçoit de l’Etat où il est inscrit (Californie, Iowa, Massachusetts…) son bulletin, dont il coche les cases avant de le réexpédier.

Un dépouillement qui devrait durer

Seulement, chaque Etat a ses règles, et certains autorisent un tel envoi par la poste jusqu’au jour officiel du scrutin, le mardi 3 novembre. Le temps de dépouiller, il sera impossible d’y proclamer le résultat dans la foulée du vote. D’autant qu’un juge du Michigan – dont la décision pourrait être reprise dans d’autres Etats – vient d’accorder, compte tenu de la désorganisation due au Covid et aux carences du système postal fédéral, de larges délais pour l’acheminement des enveloppes, retardant d’autant le dépouillement. « Or, plus longtemps ces opérations dureront, plus cela laissera au camp trumpiste le loisir de contester la validité de l’élection, multipliant les contentieux », redoute Joe Smallhoover, membre du Comité national démocrate et ex-président de l’antenne du parti en France. On peut tout à fait imaginer, avec ce système, un Trump se proclamant vainqueur à la sortie des urnes, puis donné battu au fur et à mesure du dépouillement des bulletins par correspondance. En effet, les démocrates sont davantage prêts à voter par correspondance que les républicains (69 % contre 19 % selon certains sondages).

La menace du président milliardaire de s’accrocher à son fauteuil, refusant de reconnaître une défaite qui ne serait due à ses yeux qu’à la « triche » est à prendre au sérieux. « C’est très dangereux de sa part de jeter la suspicion sur l’élection, cela peut avoir de graves conséquences », avertissait dans Le Parisien John Bolton, ancien bras droit de Trump à la sécurité nationale, « viré » l’année dernière. Conséquences fâcheuses? Dans ce pays à cran, divisé comme jamais et comptant plus d’armes en circulation que d’habitants, tout paraît possible. Donald Trump ne campe-t-il pas sur son refus de désavouer une bonne fois les suprémacistes blancs, ces milices racistes ultraviolentes?

Le résultat entre les mains de la Chambre des représentants ?

En attendant, à Washington, un drôle de scénario circule, confie le juriste Smallhoover. L’élection serait tranchée, au final, par le Congrès (Parlement) et non par les électeurs ! Comment cela ? Rappelons que les Américains n’élisent pas directement leur président, mais des grands électeurs (538 au total), affiliés eux-mêmes à l’un ou l’autre camp. « Or, en cas de contentieux indébrouillables, de refus par certaines autorités fédérées de prendre en compte le vote postal, il pourrait s’avérer impossible de dégager clairement 270 grands électeurs pour Trump ou Biden », expose Joe Smallhoover.

La Chambre des représentants (chambre basse, l’équivalent de notre Assemblée nationale) élirait alors le président. Cela s’est produit une unique fois, en… 1800, pour l’élection de Thomas Jefferson. En pratique, les députés de chacun des 50 Etats se rassemblent entre eux et élisent le président, chaque Etat représentant une voix – la Californie avec ses 53 représentants pèse le même poids que l’Alaska ou le Wyoming qui n’en ont qu’un seul. Selon les calculs de spécialistes, même si les démocrates sont majoritaires à la Chambre, ce jeu du vote Etat par Etat favoriserait les républicains et les projections donneraient Trump vainqueur par 26 voix contre 24… Certes, il ne s’agit que d’un scénario improbable. Mais cette élection américaine n’a-t-elle pas déjà dépassé les fictions politiques les plus osées ?

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