Présidentielle en Tunisie : un second tour inédit entre deux candidats que tout sépare – Le Parisien

Sept millions de Tunisiens sont appelés ce dimanche aux urnes pour ce second tour de l’élection présidentielle anticipée à la suite du décès de Béji Caïd Essebsi. Pour les électeurs, c’est le troisième vote en un mois, après les législatives de dimanche dernier, ce qui peut faire craindre un désintérêt et une forte abstention.

Tout aura été étonnant dans cette campagne. D’abord les qualifiés du second tour, pour le moins atypiques. Kaïs Saïed, 60 ans, professeur de droit constitutionnel, qui se revendique lui-même conservateur, n’a jamais exercé le pouvoir. On dit même qu’il a voté pour la première fois de sa vie lors du premier tour (où il est arrivé en tête avec 18,4 %).

Cet érudit qui cite volontiers Rousseau doit sa popularité à sa promesse de remettre la vox populi directe au cœur de la gouvernance. Le mandat révocable est une mesure centrale dans son discours. Depuis près d’un an et demi, il va à la rencontre de cette jeunesse des cafés, qui désespère du chômage et ne voit aucun avenir pour elle en Tunisie. Une campagne de terrain efficace – il est en tête des intentions de vote –, sans grands moyens, ni structure. Car il rejette toute alliance avec les partis, maintenant farouchement son indépendance. Bien que certains voient dans son ombre la main d’Ennahda, le parti islamo-conservateur de Rached Ghannouchi, arrivé en tête aux législatives du 6 octobre avec 52 sièges.

Nabil Karoui libéré à la surprise générale

Son adversaire, Nabil Karoui, 56 ans, homme d’affaires et publiciste, a longtemps été favori dans les sondages, mais il n’a pas pu vraiment faire campagne. Depuis août, il était en détention préventive pour évasion fiscale. Cela ne l’a pas empêché d’obtenir 15,5 % au premier tour. Il a finalement été libéré mercredi, à la surprise générale.

Sa vocation pour la présidence lui serait venue par les activités de sa structure caritative, créée à la mort de son fils. Il est surnommé « le candidat des pâtes » par ses détracteurs, en référence à l’émission de télévision diffusée sur sa propre chaîne, Nessma, qui l’a mis sur orbite pour cette échéance. Au cours de la campagne, ses équipes distribuaient nourriture et biens de première nécessités. Il en a tiré l’axe principal de son programme : éradiquer la pauvreté. Son parti créé au mois de juin, Qalb Tounès, « Au Cœur de la Tunisie », a obtenu 38 députés dimanche dernier.

Mais si Karoui n’a jamais été en première ligne, il a joué un rôle clé dans les coulisses du nouveau régime. Proche du président Essebsi, il a dessiné l’architecture de son parti, Nidaa Tounes, « l’Appel de la Tunisie », qui a depuis explosé en multiples factions. Difficile donc de ne pas voir en lui un homme du système, même s’il s’en est affranchi.

L’un cite de Gaulle, l’autre Netflix

Un débat télévisé, vendredi soir, a bien montré que tout sépare les deux candidats. L’un, Saïed, est aussi raide qu’il semble âgé et érudit, usant d’un arabe littéraire incompris de nombreux téléspectateurs. L’autre, Karoui, parle avec rondeur un tunisien hésitant, plus à l’aide avec l’anglais des affaires. Le premier cite de Gaulle, quand le second parle cyber-sécurité, Netflix et Gafa.

Les finalistes de ce second tour, en tous points inédit, ont en commun de concentrer l’envie de dégagisme institutionnel des Tunisiens. Jamais élus avant, on ne connaît pas le profil de leur électorat respectif. Et le paramètre abstentionniste vient compliquer la donne. Les résultats provisoires sont attendus en milieu de semaine prochaine, mais nul doute qu’un ou plusieurs recours viendront retarder la proclamation définitive du vainqueur. Alors qu’on entend déjà monter la rumeur de l’invalidation pour l’absence d’équité pendant la campagne.

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