Présidentielle au Brésil : alors que les bureaux de vote ont ouvert, on vous explique les enjeux de cette élec – franceinfo

Le Brésil va-t-il tourner la page du populisme ? Les Brésiliens et Brésiliennes sont attendus aux urnes, dimanche 2 octobre, pour élire leur nouveau président. Les bureaux de vote ont ouvert à 8 heures (13 heures, heure de Paris). Onze candidats sont en lice, dont le sortant Jair Bolsonaro, qui espère obtenir un nouveau mandat de quatre ans. Le candidat d’extrême droite fait face à une figure emblématique de la gauche, qui a effectué son grand retour en politique : l’ex-chef de l’Etat Lula da Silva.

Le très populaire candidat de la gauche a toutes ses chances, surtout après le mandat de Jair Bolsonaro jugé catastrophique. Mais les élections sont-elles jouées d’avance ? Franceinfo fait le point sur cette élection présidentielle qui s’annonce mouvementée.

Qui sont les candidats en lice ?

Le Brésil doit départager 11 candidats lors du premier tour de l’élection présidentielle. Seuls quatre d’entre eux réunissent plus de 1% des intentions de vote dans les sondages, parmi lesquels Jair Bolsonaro, le président sortant ultra-conservateur, connu pour ses déclarations polémiques et violentes, et élu par surprise en 2018, ainsi que Luiz Inácio Lula da Silva, plus connu sous le nom de Lula. Président du Brésil de 2003 à 2010, l’homme de gauche du Parti des travailleurs (PT) est plébiscité par une partie de l’électorat pour avoir sorti une grande partie de la population de la pauvreté. Il avait été incarcéré pour corruption en 2018, avant d’être blanchi par la justice. Les deux hommes, aux projets politiques radicalement opposés, devraient, sauf immense surprise, se qualifier pour le second tour, d’après les enquêtes d’opinion. Lula est crédité d’environ 47% des intentions de vote et Jair Bolsonaro de 33%.

Ciro Gomes, ancien ministre de Lula et représentant du Parti démocratique travailliste (PDT), est lui aussi dans la course mais, pour l’instant, il ne semble pas avoir réussi à supplanter son mentor, plafonnant à 8% dans les sondages. “Il n’a jamais réussi à récupérer la base de Lula, son espace politique est très réduit”, explique Frédéric Louault, codirecteur du Centre d’étude des Amériques à l’université libre de Bruxelles. Simone Tebet, du Mouvement démocratique brésilien (MDB), est quant à elle créditée de 4% des intentions de vote.

Qui sont les favoris ?

Sauf surprise de dernière minute, comme en 2018, Lula est le grand favori de cette élection. Largement en tête dans les sondages, il tient sa popularité du souvenir qu’il a laissé à ses concitoyens, d’après Juliano Cortinhas, professeur de relations internationales à l’université de Brasilia. “Beaucoup se souviennent de son ancien gouvernement, qui a réduit les inégalités et donné des opportunités aux Brésiliens. Il a déjà un bilan sur lequel il peut se reposer”, avance-t-il.

Pour Frédéric Louault, l’élection n’est pas jouée pour autant : “Comme on l’a vu en 2018, il peut encore y avoir des surprises. Jair Bolsonaro était sorti de nulle part. Il est en train de remonter un peu, d’autant que Lula n’est pas aussi véhément que lors des campagnes précédentes, il est éteint”. Juliano Cortinhas se montre plus confiant sur la capacité de l’homme de gauche à l’emporter lors du second tour prévu le 30 octobre. “Même si Lula a perdu un peu de terrain dans les sondages, je pense que le vote utile lui sera très bénéfique”, prévoit-il. 

Comment le retour de Lula est-il perçu après ses déboires judiciaires ?

Une grande partie de la population accueille favorablement la candidature de Lula, en témoigne son avance dans les enquêtes d’opinion. “Lula a laissé un souvenir de décennie dorée aux Brésiliens. Sa successeure, Dilma Roussef, est blâmée pour la crise économique qui a suivi ses mandats”, souligne Frédéric Louault.

Une partie de l’électorat rejette cependant violemment Lula, notamment à cause des nombreuses affaires de corruption qui ont touché son parti. “Le rejet du PT est devenu très violent au moment de la destitution de Dilma Roussef, note Frédéric Louault. Ça s’est traduit par un front anti-Lula et, de fil en aiguille, Jair Bolsonaro a instrumentalisé cette opposition à la gauche en la simplifiant à l’extrême et de façon très violente”. Résultat : la société brésilienne est coupée en deux, “à l’image des oppositions footballistiques du pays”.

Pourquoi Bolsonaro est-il aussi haut dans les sondages malgré son bilan ?

Cette popularité n’est pas une surprise, tant sa base radicalisée évangéliste continue de le soutenir”, explique Carolina Botelho, politologue et chercheuse au laboratoire d’études électorales de Rio. “Sa base est très attachée à sa réélection et est prête à tout, y compris à ne pas respecter la démocratie, abonde Frédéric Louault. Tout cela est porté par des divisions idéologiques très fortes, notamment des visions de la famille opposées”.

Pourtant, le bilan du président ultra-conservateur est jugé “catastrophique” par de nombreux observateurs. En croisade contre “l’idéologie de gauche”, Jair Bolsonaro a piloté “un mandat de destruction de ce qui avait été construit depuis le retour de la démocratie”, estime auprès de l’AFP Gaspard Estrada, spécialiste de l’Amérique latine à Sciences Po. L‘action de Jair Bolsonaro a notamment eu pour conséquence une forte augmentation la déforestation de l’Amazonie. Sa gestion de la pandémie de Covid-19, maladie qu’il avait qualifiée de “grippette”, s’est traduite par plus de 680 000 morts et une embolie complète du système de santé.

En matière économique, le politologue Frédéric Louault souligne “l’incohérence” du mandat de Jair Bolsonaro, passé “d’un Etat néolibéral” à “un Etat redistributeur pendant la pandémie”. Une politique qui a “accru les inégalités au Brésil, en récession depuis dix ans, et rendu les Brésiliens plus pauvres qu’il y a cinq ans”, ajoute-t-il.

Sur quels thèmes cette campagne électorale se focalise-t-elle ?

Les débats portent essentiellement sur la vie quotidienne des Brésiliens. “Tout tourne autour de l’état de l’économie, de l’inflation, du chômage et du nombre de morts pendant la pandémie de Covid-19”, explique la politologue Carolina Botelho. “La santé économique du Brésil s’est beaucoup dégradée ces dix dernières années et la situation ne s’est pas améliorée malgré les promesses de Jair Bolsonaro lors de son élection en 2018″, ajoute Frédéric Louault. Un bilan qui pousse le président sortant à surtout mener campagne contre la gauche, invectivant ses adversaires jusqu’à l’extrême.

Le respect de la démocratie est aussi au cœur des débats, après quatre années où Jair Bolsonaro n’a eu de cesse d’attaquer les différents contre-pouvoirs brésiliens. Lula en a même fait l’un des axes de sa campagne “avec la question de la réconciliation des Brésiliens entre eux”, précise Frédéric Louault.

Quel est le mode de scrutin ?

Comme en France, le président du Brésil est élu au scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Si un candidat réunit la majorité absolue des votes au premier tour, il est élu. Si personne ne dépasse 50% des suffrages, les deux prétendants arrivés en tête s’affrontent au second tour. Celui qui réunit le plus de voix est élu pour quatre ans.

Pour les départager, les Brésiliens votent par voie électronique. Un système électoral décrié depuis des années par Jair Bolsonaro, qui martèle qu’il permet de truquer les résultats. Lors des élections de 2018 déjà, qu’il a remporté avec 55% des voix, le candidat d’extrême droite avait dénoncé des “fraudes” sans avancer de preuves, assurant qu’il aurait pu être élu dès le premier tour.

L’ONG Freedom House, qui évalue le niveau de démocratie des pays, assure pourtant que “des recherches ont montré que l’adoption du système de vote électronique en 1996, supervisé par le Tribunal supérieur électoral (TSE), réduit considérablement la fraude électorale”. Elle considère le Brésil comme un pays “libre”, lui attribuant la note de 73/100. “Le système électoral brésilien est très sécurisé”, confirme le spécialiste des relations internationales Juliano Cortinhas.

Jair Bolsonaro pourrait-il refuser de reconnaître une éventuelle défaite ?

La question a été posée plusieurs fois au président sortant par des journalistes, sans obtenir de réponse claire. Comme l’explique le média américain Bloomberg, Jair Bolsonaro a expliqué en août qu’il respecterait les résultats “si les élections (sont) propres et transparentes”. “Il y a quelques mois, il a même dit qu’il ne voyait que trois issues possibles aux élections : être réélu, emprisonné ou tué. Ce qui montre que la défaite ne fait pas partie de son vocabulaire”, analyse Frédéric Louault, qui pointe un risque de “déligitimisation des élections”.

Une possibilité qui inquiète les observateurs. “J’ai peur que cela pousse ses supporters violents dans les rues. Des émeutes pourraient durer des jours ou des semaines, l’armée pourrait même être obligée d’intervenir, redoute Juliano Cortinhas. Un scénario qui pourrait se produire même si Jair Bolsonaro reconnaissait une potentielle défaite, juge Frédéric Louault, qui craint un scénario similaire à l‘assaut du Capitole par des soutiens de Donald Trump aux Etats-Unis le 6 janvier 2021.

Que faut-il attendre des élections législatives qui auront lieu en même temps ?

Plusieurs élections se tiennent le 2 octobre. Le Brésil doit ainsi renouveler un tiers de ses sénateurs et l’ensemble de ses députés. La prochaine législature pourrait d’ailleurs être aussi morcelée que la précédente, aucun parti n’étant majoritaire.

“Cela va donner une chambre des députés très éclatée et ça pourrait tout bloquer. C’est un problème pour Lula, car même s’il a de l’expérience et sait naviguer entre les différentes institutions, il risque de décevoir les gens et de ne pas pouvoir tout faire.”

Frédéric Louault, politologue

à franceinfo

Reste à connaître le profil des nouveaux élus. Fait notable, un nombre record de candidats aborigènes sont en lice, selon le Guardian. Les partis traditionnels arriveront-ils à reprendre du terrain ? “Probablement pas”, juge Frédéric Louault, qui s’interroge sur la capacité des soutiens de Jair Bolsonaro, souvent des novices en politique, d’être réélus. “Je pense que nous aurons moins d’élus anti-démocratie cette fois”, estime Carolina Botelho.

Je n’ai pas eu le temps de tout lire, pouvez-vous me faire un résumé ?

Les Brésiliens sont appelés aux urnes le 2 octobre pour le premier tour de l’élection présidentielle. Onze candidats sont en lice, mais seuls deux d’entre eux sont en capacité de se qualifier pour le second tour, selon les enquêtes d’opinion : Lula, l’ancien président de gauche, et Jair Bolsonaro, le président sortant d’extrême droite. La campagne électorale a été très largement axée sur le chômage et l’inflation, alors que le pays s’est enfoncé dans une crise, liée au Covid-19 et à la guerre en Ukraine.

Lula, grand favori pour revenir au pouvoir selon les sondages, mène une campagne timide, sur le thème du rassemblement des Brésiliens et de la relance économique. Jair Bolsonaro, malgré un bilan jugé catastrophique et de nombreuses attaques contre la démocratie, bénéficie lui d’un soutien indéfectible d’une partie des évangélistes du pays, ralliés à sa politique ultra-conservatrice. Le président sortant a d’ailleurs laissé entendre qu’il pourrait ne pas reconnaître les résultats en cas de défaite, ce qui inquiète les observateurs, qui craignent un embrasement si tel est le cas. Des élections législatives auront lieu le même jour et pourraient accoucher d’un Parlement éclaté, à l’image d’un pays très polarisé, ce qui compliquerait encore la tâche du futur président.

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