Pourquoi les résultats de l’élection présidentielle ne prédisent pas ceux des législatives – Le Monde

Jean-Luc Mélenchon, leader de La France insoumise (LFI), lors du lancement de la campagne de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), samedi 7 mai 2022.

La Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) peut-elle faire basculer l’Assemblée nationale à gauche lors des élections législatives des 12 et 19 juin ? Cette coalition, qui regroupe les principaux partis de gauche (LFI, PS, EELV, PCF), promet une cohabitation avec Emmanuel Macron, en installant comme premier ministre Jean-Luc Mélenchon, troisième lors du premier tour de l’élection présidentielle, le 10 avril.

« Quand vous voyez les résultats de l’élection présidentielle, c’est possible, déclarait le député LFI du Nord, Adrien Quatennens, à la fin d’avril. Les résultats de Jean-Luc Mélenchon dans les différentes circonscriptions, c’est 425 circonscriptions où nous sommes en capacité d’être au second tour, on peut bâtir cette majorité. »

Dans quelle mesure peut-on projeter sur les élections législatives les résultats des votes du premier tour de la présidentielle ? Même si l’on dispose de ces résultats dans chacune des circonscriptions législatives, déduire les résultats de 577 élections distinctes en se basant sur l’élection du président de la République est plus que hasardeux.

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Des situations locales particulières

« On ne peut pas plaquer les résultats d’une élection nationale sur 577 circonscriptions, parce que le rapport de force au premier tour de la présidentielle n’est pas mécaniquement celui qu’on aura aux législatives », rappelle Mathieu Gallard, directeur d’études à l’Ipsos. Lors de l’élection présidentielle de 2017, la candidate d’extrême droite, Marine Le Pen, était en tête au premier tour de la présidentielle dans 216 circonscriptions. Quelques semaines plus tard, le Front national n’avait que peu capitalisé sur ce score historique en envoyant seulement huit députés à l’Assemblée nationale, un nombre insuffisant pour composer un groupe parlementaire (15 députés).

Même s’il existe une dimension nationale très forte aux législatives, l’implantation locale des candidats peut changer la donne. Dans la 8e circonscription de l’Essonne, Nicolas Dupont-Aignan est réélu député depuis vingt-cinq ans. En 2017, malgré 4,70 % des suffrages à la présidentielle, il est confortablement réélu face au candidat macroniste. De même, dans la 3circonscription de l’Aisne, le député socialiste Jean-Louis Bricout a été réélu facilement en 2017 alors que le PS, quelques semaines plus tôt, avait fait une performance historiquement faible à la présidentielle.

L’offre électorale « s’est toutefois bien nationalisée », tempère Tristan Haute, maître de conférences en science politique à l’université de Lille :

« Il est vrai que certains politiques bien implantés peuvent résister dans leur circonscription, mais l’idée qu’il y ait une forme de prime aux élus locaux est à relativiser, surtout depuis 2017, avec l’effondrement du PS et des Républicains, qui devrait se poursuivre. »

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Un « entre-deux-scrutins » long et inédit

Depuis 2002, l’avènement du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, jamais le délai entre présidentielle et législatives n’a été aussi long. A qui profiteront ces deux semaines supplémentaires de campagne ? Au parti présidentiel une fois qu’Emmanuel Macron aura pleinement lancé son second mandat ? Aux oppositions de gauche ou d’extrême droite ?

Pour le moment, ce sont les « insoumis » qui, avec la Nupes, sont parvenus à installer l’idée d’une gauche unie prête à batailler contre le président – alors que Marine Le Pen (Rassemblement national) vient tout juste de lancer sa campagne. « L’émergence de l’union de la gauche dans la foulée de la présidentielle donne deux semaines supplémentaires à cette alliance pour mener une dynamique, confirme le politologue Bruno Cautrès, chercheur au Centre d’étude de la vie politique française (Cevipof). Si la Nupes se montre unie et développe ses thématiques de campagne, cela pourrait avoir une répercussion dans les urnes. »

Or, cette dynamique n’existait pas lors de l’élection présidentielle puisque les désormais alliés de la Nupes avaient présenté quatre candidats, rendant, de fait, hasardeuse toute tentative de comparer le scrutin passé et le scrutin à venir. On ne peut simplement ajouter leurs scores pour prévoir celui que fera le candidat estampillé « Nupes » en juin.

Quid des candidatures de gauche qui ont refusé cet accord (NPA, LO, etc.), ou de celles des listes de l’extrême droite (RN et Reconquête !, etc.) qui peuvent éparpiller l’électorat ? « Un dissident [dans un parti] peut faire perdre 2 % ou 3 % à un candidat, et potentiellement l’empêcher d’accéder au second tour », insiste M. Gallard. Reste à savoir si ce phénomène sera marginal. Car être en dissidence de son parti n’est pas chose aisée, comme le rappelle M. Cautrès : « Cela signifie se mettre en rupture de son parti, et faire campagne sans ses moyens humains, logistiques et financiers. »

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L’enjeu crucial de l’abstention

Le décalage entre les niveaux de participation électorale entre l’élection présidentielle et les élections législatives vient encore fausser les calculs. « Historiquement, il y a une démobilisation dans tous les électorats lors des législatives », explique Mathieu Gallard.

Depuis plusieurs années, l’abstention aux législatives ne cesse de progresser, illustrant le désintérêt croissant des Français pour ce scrutin. En 2017, 57 % des électeurs inscrits ne sont pas allés voter, battant ainsi un record depuis 1958. « L’abstention reste cependant moins forte au sein des électorats victorieux, d’où l’effet bénéfique pour la majorité présidentielle », affirme toutefois le directeur d’études à l’Ipsos. Les électeurs de La République en marche (LRM) sont sociologiquement ceux qui ont le plus de chances d’être mobilisés pour leur candidat.

A gauche, notamment, l’abstention est un enjeu primordial, et la remobilisation des électeurs n’est pas une mince affaire. « Le déclin observé depuis vingt ans concerne en particulier les jeunes et les classes populaires, segments de la population qui sont favorables à Jean-Luc Mélenchon, d’où la nécessité pour eux de remobiliser autour d’un enjeu clair », avance Tristan Haute.

L’accord politique à gauche redonne un attrait aux législatives, souvent perçues comme une pâle échéance électorale dans la lignée de la présidentielle. Pour autant, des interrogations subsistent après la formation de la Nupes : cette alliance sera-t-elle perçue comme celle de l’union de la gauche ? L’électorat de centre gauche va-t-il soutenir l’alliance, ou se retrouver dans la majorité présidentielle ?

Enfin, la question du report des voix sera une composante essentielle du scrutin. Mais il est actuellement impossible à prédire. C’est d’ailleurs « le problème actuel des sondages », note M. Haute, qui appelle à prendre les sondages sur le nombre de députés avec précaution : « Il est hasardeux de faire des projections par siège, car cela reviendrait à déduire l’issue du second tour, or celle-ci va dépendre de la participation et de l’organisation de duels ou de triangulaires. »

Peu de chances toutefois d’assister à des triangulaires (trois candidats qui se maintiennent au second tour). Pour accéder au second tour, un candidat doit obtenir un nombre de voix égal à 12,5 % des électeurs inscrits. Soit 25 % des suffrages si l’abstention est de 50 %, comme en 2017. Cette même année, une seule triangulaire avait eu lieu au second tour dans la 1re circonscription de l’Aube. « Mais, selon la dynamique de campagne, la mobilisation des électeurs peut avoir un effet différent », prévient toutefois M. Gallard.

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