Pourquoi le voile divise toujours – Le Parisien

Il suffit de réécouter la tentative de Lionel Jospin de clore la polémique qui venait de surgir à Creil, en ce mois d’octobre 1989, pour le constater : en trente ans, le monde politique n’a cessé de s’enfoncer dans le débat sur le port du voile sans jamais en trouver la sortie.

Cette fois, c’est une vidéo de 2 minutes qui a rallumé la mèche, samedi sur les réseaux sociaux. On y voit un élu RN du conseil régional de Bourgogne Franche Comté invectiver une mère voilée qui accompagnait un groupe d’enfants dans l’hémicycle.

Tollé général dans une opinion partagée entre l’indignation, face à cette femme humiliée devant son fils, et la crispation que suscite le port du foulard pour les accompagnatrices de sorties scolaires. 66 % des Français s’y disent hostiles, selon un sondage Ifop publié ce lundi.

Le gouvernement divisé

La droite et l’extrême droite s’engouffrent dans la brèche, durcissent le ton à coups de propositions de loi. Quant à la majorité… elle se divise jusqu’au sein du gouvernement. Le ministre de l’Education, Jean-Michel Blanquer, se démarque par sa raideur. Ses sorties sur le voile qui n’est « en soi pas souhaitable dans notre société » heurtent. « À part du vent dans les voiles du RN, ça ne produit pas grand-chose », s’étouffe un député LREM. Un autre, Aurélien Taché, s’en offusque publiquement dans une interview au Point : « Des gens comme Julien Odoul récupèrent les mots de Jean-Michel Blanquer. » De quoi ulcérer le ministre, qui en a saisi le médiateur du parti. « Il n’a pas supporté ce parallèle avec le RN, on n’est pas arrivés avec une stratégie de pousser le bouchon », défend son entourage.

Ce mardi dans le Monde, 90 personnalités, dont l’acteur Omar Sy, ont demandé à Emmanuel Macron de condamner « l’agression » subie par la maman venue de Belfort. Mais le président reste silencieux. « Pas question à ce stade d’avoir une grand-messe ou une expression du président sur la laïcité », maintient l’Elysée.

Pas de nouvelle loi en vue

Les messages ont tout de même été passés pour tenter de siffler la fin de la partie. La ligne sur la laïcité, c’est le Premier ministre, Édouard Philippe, qui a été chargé de la délivrer, ce mardi, à l’Assemblée, en réunion de groupe puis dans l’hémicycle. Il a écarté l’idée d’interdire le port de signes religieux aux accompagnants scolaires via une nouvelle loi. Aujourd’hui, seuls les personnels de l’Education nationale et les élèves du public sont soumis à cette obligation de neutralité.

VIDÉO. Edouard Philippe défavorable à une loi sur le voile pour les accompagnants scolaires

« Ce serait ouvrir la boîte de Pandore, analyse l’historien Ismaïl Ferhat, coauteur d’un ouvrage sur les premiers débats consacrés au port du voile en France, Les foulards de la discorde. Depuis trente ans, le débat s’élargit en cercles concentriques, mais va finir par atteindre sa limite. Jusqu’où interdire le port du voile sans tomber dans la discrimination, et l’atteinte aux droits de l’homme ? »

Reste pour le gouvernement à trouver quelles réponses apporter. Et comment cheminer sur sa ligne de crête : « Ne pas tomber dans la naïveté en disant qu’il n’y a aucun problème de dérive communautaire et de radicalisation, et ne pas tomber dans un excès inverse », décrit Matignon, avec un point de vigilance tout particulier : « ne pas stigmatiser la communauté musulmane ». Ceux qui le feraient, estime Emmanuel Macron, auraient « un comportement irresponsable ».

« Il y a un risque d’alimenter la machine à séparation en discriminant, en clivant », insiste Matignon, où l’on juge que polémiquer sur le port du voile par des mamans lors de sorties scolaires est « un faux problème ».

« Et il y a les vrais problèmes », ajoute-t-on citant en exemple « la déscolarisation des jeunes filles ». L’inspection générale de l’Education nationale travaille d’ailleurs, dans quatre académies, à un rapport sur les atteintes à la laïcité dans le milieu scolaire. Il sera remis mi-novembre et pourrait être suivi, indique un proche du dossier, de mesures.

PODCAST. Creil, 1989 : première affaire de voile en France

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