Pour sortir de l’impasse, les Vingt-Sept réduisent la voilure du plan de relance – Le Figaro

Correspondante à Bruxelles

Deuxième journée de négociations pour les Vingt-Sept qui sont réunis depuis vendredi 17 juillet à Bruxelles pour tenter de se mettre d’accord sur le plan de relance européen à 750 milliards d’euros et le budget de l’UE pour la période 2021-2027 de quelque 1100 milliards. Après un dîner tendu vendredi soir, et une rencontre ce samedi matin en format Washington – France, Allemagne, Pays-Bas, Italie, Espagne -, le président du Conseil européen, Charles Michel, a dégainé une «boîte de négociation» révisée. Avec l’objectif de faire repartir du bon pied les discussions qui s’étaient enlisées la veille. Et surtout d’amener à des meilleurs sentiments Mark Rutte qui, comme prévu, se révèle être le partenaire le plus coriace dans ces discussions.

Dans la proposition de Charles Michel, le premier ministre néerlandais obtient gain de cause dans plusieurs domaines qu’il juge essentiels. Concernant la stricte gouvernance des subventions accordées aux États membres pour faire repartir leurs économies ébranlées par la crise du coronavirus – Italie et Espagne en tête -, un mécanisme de droit de regard est proposé. Il permettrait à «au moins un État» ayant des réserves sur le plan de relance présenté par un autre d’ouvrir «dans les trois jours» un débat à 27, soit devant le Conseil européen, soit devant l’Ecofin, qui réunit les ministres des Finances de l’UE. Bien sûr, les mots qui fâchent – unanimité ou droit de véto – ne sont pas écrits noir sur blanc dans la proposition de Charles Michel, mais la rédaction est suffisamment ambiguë pour satisfaire le premier ministre néerlandais, qui veut pouvoir contrôler le bon usage des fonds et bloquer éventuellement leurs décaissements. Mais on ne ferait que reporter le problème et la quasi totalité de leaders s’inquiètent des conséquences qu’aurait un tel mécanisme s’il venait à être actionner. Le risque, ce serait «l’embolie», selon un diplomate européen, à savoir une cascade de vétos croisés.

Une enveloppe des subventions réduite

Autre concession faite à Rutte et aux leaders du club des pays frugaux – Autriche, Suède, Danemark et Finlande -, dont le premier ministre néerlandais est le chef de file, l’enveloppe des subventions est réduite. Elle est ramenée à 450 milliards d’euros, au lieu des 500 milliards proposés par l’Allemagne et la France le 18 mai dernier. Et comme il n’est pas question de laisser dire que les Vingt-Sept revoient à la baisse la solidarité vis-à-vis des pays les plus touchés par la crise du coronavirus (Italie et Espagne en tête), l’enveloppe des subventions destinée à aller directement au soutien des plans de relance mis en œuvre par les États membres prend un peu de volume, passant de 310 milliards à 325 milliards. En contrepartie, certains programmes du budget européen qui devaient être abondés avec le plan de relance ou créé à cette occasion baissent ou sont… enterrés avant même d’avoir été lancés.

C’est notamment le cas de l’instrument de solvabilité destiné à voler au secours des entreprises en difficulté qui devait être doté de 26 milliards d’euros et se retrouve balayé. Alors qu’une seconde vague de contamination menace l’Europe, le programme Santé est ramené à 5 milliards, perdant 2,7 milliards, soit plus d’un tiers des crédits. Curieux message. Parallèlement, le volume des prêts augmente de 50 milliards – à 300 milliards -, permettant à ce stade de préserver les 750 milliards du plan de relance. Ce n’est pas un exploit. Dans ce grand jeu de dupe, tout le monde sait très bien que les prêts ne sont qu’accessoires et que les sommes empruntés par la Commission sur les marchés porteront avant tout sur ces subventions. Du reste, aucun pays, à ce stade, n’est venu piocher dans les 240 milliards d’euros du mécanisme européen de stabilité, par ailleurs mis à disposition en juin. Seules comptent les subventions.

Un rabais plus important pour les frugaux

Enfin, les Néerlandais, comme tous les frugaux, voient aussi leur rabais au budget européen augmenter alors même que le Royaume-Uni a quitté l’UE. Le volume des rabais proposés par Charles Michel est loin d’être anecdotique. Si sa proposition était retenue, il représenterait quelque 46 milliards d’euros que devront financer les autres États membres, dont la France. Les Pays-Bas -avec l’Allemagne et la Belgique- pourrait également conserver plus de droits de douanes grâce à une augmentation des frais de collecte qui passeraient de 10 % à 20 %. Soit 220 millions d’euros de plus par an pour les Néerlandais, venant s’ajouter à leur rabais 1,576 milliards d’euros. La France, qui fait campagne depuis des mois pour la suppression de ces ristournes, a été contrainte de céder.

Ces gestes conséquents ont été favorablement accueillis par Mark Rutte. «Les propositions sur la gouvernance présentées par Michel sont un pas sérieux dans la bonne direction», fait savoir un diplomate ajoutant toutefois que «de nombreux problèmes subsistent». Les frugaux, qui devront passer à la caisse pour rembourser une partie des emprunts contractés par la Commission, espèrent bien continuer à pousser leur avantage dans ce difficile rapport de force dont ils sortent déjà gagnants. Ils souhaitent ainsi réduire encore le volume du plan de relance. «C’est plutôt une demande de la Finlande, de la Suède et du Danemark, qui, d’ailleurs, ont laissé Rutte faire cavalier seul sur la gouvernance des fonds et le droit de veto», confie un diplomate. L’Allemagne, qui veut un accord rapide sur le plan de relance afin de ne pas plomber sa présidence de l’UE, serait prête à abaisser encore le volume des subventions, à 400 milliards d’euros. Parce qu’elle n’a guère d’autre option que de faire bloc avec son partenaire autour de ce plan de relance «historique», la France semble d’ores et déjà s’y résoudre. Les Vingt-Sept devraient donc continuer à réduire la voilure du plan de relance, en veillant à maintenir ou à gonfler cette manne de 325 milliards d’euros qui irait directement au financement des plans de relance nationaux. Manifestement, ce ne sera pas suffisant pour les frugaux qui réclament une baisse plus importante. Dans un message, le premier ministre italien Giuseppe Conte a décrit les négociations comme «beaucoup plus difficiles que prévu», évoquant même une «impasse». «Les Pays-Bas et autres frugaux (Autriche, Danemark, Suède, ndlr) ne comprennent pas la nécessité d’une réponse forte», a-t-il regretté.

A la manoeuvre depuis des mois sur la plan de relance, Angela Merkel et Emmanuel Macron commencent à s’impatienter. Samedi, lors de l’échange qu’ils ont eu avec Mark Rutte, le président et la chancelière se sont montrés très fermes. «Nous t’avons mis en scène pour t’aider, nous avons accepter certaines de tes demandes, maintenant c’est à toi de bouger», ont-ils mis en garde. Selon un diplomate, le premier ministre néerlandais est ressorti furieux de la rencontre. «C’est normal que ces négociations prennent du temps parce que les montants dont il est question sont colossaux. Mais on ne va pas non plus y passer dix jours», confie ce diplomate. Ce message aurait été martelé à plusieurs reprises par le président au cours de la journée de samedi. Afin de faire monter la pression, ses équipes faisaient également savoir durant le dîner que l’avion présidentiel avait été préparé pour pouvoir décoller vers Paris dans la soirée.

S’ils veulent aboutir à un accord au cours de ce sommet et ne pas avoir à revenir à Bruxelles la semaine prochaine, les Vingt-Sept devront aussi régler d’autres grandes difficultés au cours des prochaines heures, sur les conditionnalités à l’État de droit. «Charles Michel a toujours pensé que l’État de droit pourrait être une mine une fois les autres problèmes auront réglés», confie un fonctionnaire européen. Les pays de Visegrad – Hongrie et Pologne en tête – sont d’ailleurs entrés en piste samedi soir, lors du dîner qu’on partagé les leaders pour tenter d’assouplir le conditionnalité sur l’Etat de droit et essayer d’arracher, au passage, quelques milliards de plus sur le plan de relance et le budget européen. S’appuyant sur les demandes de Mark Rutte, le Hongrois Viktor Orban a proposé que les éventuels gels de fonds européens requièrent également une unanimité et non une majorité qualifiée (14 Etats membres au moins et 65 % de la population européenne) comme souhaité par Charles Michel. Emmanuel Macron leur a adressé une fin de non recevoir. «Si c’est l’unanimité, alors il n’y aura pas d’argent».

Le sommet a été suspendu à l’issu du dîner. Il reprendra ce dimanche 19 juillet à midi. Charles Michel devrait mettre sur la table une nouvelle proposition. La grand marchandage va se poursuivre.

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