Plis électoraux : après les ratés du premier tour, on s’est fait embaucher par Adrexo – Le Parisien

À première vue, il n’y a pas âme qui vive au 4, rue Jacques de Vaucanson dans la ZAC de Compiègne (Oise). Parking vide, bâtiment désaffecté. Il faut avoir l’habitude d’y pointer, ou des yeux de faucon, pour distinguer la minuscule pancarte accrochée au grillage, signalant « Adrexo » vers l’arrière-cour du bâtiment. Un homme charge son coffre de prospectus par paquets. Nous sommes bien devant l’entrepôt d’Adrexo, distributeur d’imprimés publicitaires mal-en-point qui a décroché au bon moment, question de survie, une grande partie du marché public de la distribution des plis électoraux (sept régions dont les Hauts-de-France, l’Ile-de-France n’en fait pas partie).

Une pub pour Adrexo, mais très vite… une mauvaise pub. Au lendemain du premier tour des élections régionales et départementales, l’entreprise et La Poste étaient convoquées dans le bureau de Gérald Darmanin. Le ministre de l’Intérieur leur a rappelé leur « obligation de résultat », après de graves dysfonctionnements dans la distribution des plis électoraux, dont un certain nombre d’électeurs, difficile à quantifier, ont été privés.

Des photos de propagandes électorales jetées n’importe où, n’importe comment, ont contribué à écorner l’image de l’entreprise.

« Pour le premier tour, il y a eu un problème d’organisation. On était à côté de la plaque », confiait Fabienne Terenzani, déléguée syndicale Sud au sein de l’entreprise, dans nos colonnes. La faute à une formation « insuffisante. » D’ici le second tour, Adrexo assure dans un communiqué avoir mis en place « des procédures de suivi des distributions localement renforcées ».

Aucun pli à distribuer jeudi

Pour comprendre cette réorganisation, nous avons intégré une équipe de distribution à Compiègne (Oise), sans en informer au préalable Adrexo ni l’agence d’intérim Gojob. L’entreprise travaille d’ordinaire avec Adecco, Manpower, Crit, Partner… Elle a sollicité cette boîte d’intérim en renfort pour l’entre deux tours. « On a péché là où on pouvait », résume une employée.

Selon notre contrat de travail, la mission de distribution dure trois jours, du 24 au 26 juin, de 9 heures à 18 heures. Payée 10,25 € brut de l’heure, avec en prime une indemnité de transport de 0,41 € par kilomètre. « Au début de votre journée, vous vous rendrez sur le site de production pour charger dans votre véhicule les courriers électoraux », ordonne le contrat.

Jeudi matin, à l’accueil, une employée se confond en excuses. « Je ne sais pas pourquoi l’agence vous a dit 9 heures, on n’a jamais évoqué cet horaire, il faudra revenir à 14 heures. » Le discours est rodé, elle a déjà prié une vingtaine d’intérimaires de repasser. Même problème dans l’agence voisine, à Villers-Sous-Saint-Leu, où le responsable a dû renvoyer une quarantaine de distributeurs.

Elle n’a « jamais évoqué cet horaire » pour deux raisons. D’abord, parce que l’entrepôt de Compiègne attend toujours les 420 000 plis électoraux qu’elle aurait déjà dû recevoir. Ensuite, parce que même s’ils étaient arrivés, la préparation des cartons est tout bonnement diabolique. Il faut jouer au puzzle avec les 70 grands box pour assembler un secteur complet : « Les cantons ne correspondent pas forcément à nos secteurs de distribution, explique une autre employée. Vous pouvez très bien avoir un secteur composé de cinq villages, répartis sur trois cantons différents, donc dans trois box différents. »

Dernier maillon de la chaîne

À trois jours du second tour, les deux collègues vivent très mal ce retard de livraison, qu’elles imputent à l’imprimerie. Le « lynchage » dont leur entreprise a fait l’objet a laissé des traces. « C’est vrai qu’il y a eu quelques couacs, des distributeurs malveillants, d’autres qui s’en fichent, mais humainement on ne peut pas être derrière chaque personne sur le terrain, c’est impossible. Il n’y a pas qu’Adrexo qui est en tort : on met tout sur notre dos parce qu’on a récupéré une part de marché et parce que nous sommes le dernier maillon de la chaîne. Mais en distribution, vous vous retrouvez face à une boîte aux lettres sans numéro, sur les enveloppes on lit parfois rue inconnue ou 0, rue… ».

En attendant les camions de l’imprimerie, les intérimaires reviennent à 14 heures pour une formation d’une heure. Parmi la trentaine de personnes, en grande majorité des jeunes du coin, Thomas a l’expérience du premier tour. Ils n’étaient que quatre dans sa session. « Ce qu’on a fait en deux semaines, là on doit le faire en deux jours, c’est pour ça qu’on est beaucoup plus nombreux », souffle ce futur conducteur de bus.

Pour éviter les faux pas du premier tour, les formatrices insistent sur la nécessité de revenir avec les « PND », plis non distribués. « Surtout, ne les jetez pas ! Vous aurez des plis avec la maison n°8,3333 par exemple. Vous perdrez un temps fou à chercher, donc ramenez le pli correspondant. »

Attention aux chiens

En une heure, les apprentis ingurgitent plusieurs astuces de facteur : regarder les noms sur les boîtes aux lettres de haut en bas et non de gauche à droite. Distribuer un trottoir en entier puis l’autre. Attention, le « risque canin » est réel en campagne. Attention, le risque de tomber sur des gens agressifs est réel partout. Et puis on confie le reste à la débrouillardise. « À vous de trouver un axe qui permet de faire plusieurs rues à la fois, pour bouger le moins possible la voiture. »

Elles s’attardent sur les consignes de sécurité sanitaire, routière, physique. Sacoche, plan du secteur, feuille de route, pass PTT (pour ouvrir tous les halls d’immeuble et les boîtes aux lettres), gilet orange forment les attributs du parfait distributeur. La Mobibox toujours sur lui. C’est sa boîte noire, elle enregistre tout. Il faut appuyer dessus pour démarrer la tournée, pour commencer une pause, pour finir une pause, pour enregistrer un pli non distribué, pour terminer la tournée.

Des distributeurs suivis à la trace

C’est là qu’intervient la « procédure de suivi des distributions localement renforcées » promis par Adrexo pour le second tour. Quelque part, une cellule « dédiée » surveille les Mobibox, et donc les distributeurs. À la moindre anomalie, comme une immobilité prolongée et non signalée en tant que pause, la cellule appelle le distributeur. Pourtant, ce traçage existait déjà lors de la première distribution de propagande. Contactée, Adrexo n’a pas répondu à notre demande d’interview.

« Demain matin, on vient à partir de quelle heure ? » demande un jeune homme à la fin de la formation. Bref silence. « J’aurais aimé vous le dire. Ça ne dépend pas de nous, le routeur a pris du retard au niveau de l’impression, et ce retard s’accumule. On a les ministères sur le dos qui nous mettent la pression, nous on met la pression sur le routeur, il ne nous répond plus… On est dans un brouillard très épais. »

Interrogé au sujet des imprimeries, le ministère de l’Intérieur répond seulement que « tout est mis en œuvre pour améliorer la situation jusqu’à la fin de la période électorale ».

Tout le monde laisse son numéro de téléphone dans l’espoir d’être rappelé le lendemain. « Vous pourrez faire la grasse mat », anticipent les formatrices. Pour évaluer la quantité de plis à distribuer, elles calculent en nombre de boîtes aux lettres. Chaque secteur représente entre 400 et 1200 boîtes. « On compte 1 000 plis pour 500 boîtes, car il y a en moyenne deux électeurs par foyer ». Les intérimaires auront jusqu’à samedi minuit pour effectuer leur mission. Soit à peine plus de 24 heures : vendredi à 18h, nous n’avions toujours pas reçu d’appel.

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