Pizzas contaminées: un spécialiste d’E.coli redoute “une bombe à retardement dans les congélateurs” – BFMTV

Le professeur François-Xavier Weill, médecin et micro-biologiste, dirige à l’institut Pasteur le centre de référence qui séquence tous les cas d’E.coli en France. Il explique à BFMTV.com ce qu’est cette bactérie à l’origine d’une vague de contaminations liées à des pizzas Buitoni, et en quoi cette épidémie est “inédite” en France.

Il y a bien un lien entre des pizzas de la marque Buitoni et certains cas récents de contaminations à la bactérie Escherichia coli (E.coli) chez des enfants français, ont annoncé mercredi les autorités sanitaires, après avoir constaté depuis fin février une recrudescence de cas de syndromes hémolytiques et urémiques (SHU) chez des enfants, dont deux sont morts.

Si un rappel massif de ces pizzas est déjà engagé depuis deux semaines, la Direction générale de la Santé a de nouveau insisté sur la nécessité de détruire les produits concernés.

La vague récente de cas provoque toutefois des interrogations, notamment chez les familles des malades. Comment ces plats ont-ils pu conserver en eux la bactérie incriminée? On ne le sait pas encore. Le professeur François Xavier Weill dirige le centre de référence qui séquence tous les cas d’E.coli en France. Ce médecin et micro-biologiste à l’institut Pasteur répond à nos questions.

L’ampleur de cette épidémie est-elle inédite en France?

François-Xavier Weill: “Oui, c’est du jamais-vu en France. Les autorités font état de 75 cas en cours d’investigation dans leur dernier communiqué: on peut dire qu’on est sur la plus grande épidémie de ces 25 dernières années (date du début du système de surveillance de cette bactérie en France, NDLR). La plupart du temps, on a 160 cas par an et la plupart sont des cas sporadiques. Ils ne sont pas liés entre eux.

Après, il faut relativiser. On n’est pas non plus sur une épidémie à l’ampleur comparable à ce qui s’était passé en Allemagne en 2011, où la bactérie (causée par des graines germées bio) avait à l’époque provoqué 800 infections SHU en deux mois en Europe et fait environ 50 morts.

Là, il y a eu une suspicion sur les pizzas de cette marque-là car fin février, on a eu un nombre de cas plus important signalé à Santé Publique France. D’habitude, chacun se contaminent par des moyens différents, c’est toujours des souches qui n’ont rien à voir les unes avec les autres. Or là, les souches étaient les mêmes pour des patients qui habitaient à des endroits différents.

Ce sont ces deux signaux qui ont fait dire aux autorités de santé: ‘Attention, il se passe quelque chose’. Santé Publique France lance des enquêtes épidémiologiques, interroge les patients sur ce qu’ils ont mangé et quand par exemple.”

Où trouve-t-on ce type de bactéries habituellement?

“L’Escherichia coli est une bactérie qu’on connaît bien: on sait très bien comment on se contamine. Ce qu’il faut savoir, c’est d’abord que tout le monde a des bactéries d’E.coli dans son tube digestif. Le problème, c’est quand se retrouve dans nos appareils digestif un type d’E.coli qui vit normalement dans celui des ruminants (qu’ils soient domestiques comme les vaches, chèvres ou moutons; ou sauvages comme les chevreuils ou les cerfs).

Il y a plusieurs façons de se contaminer. La plus courante, c’est en mangeant des aliments crus ou pas suffisamment cuits issus de ces animaux. Le grand classique, c’est la viande de boeuf hâchée.

Lors de l’abattage de l’animal, celui-ci peut se retrouver en contact avec une carcasse contaminée par des matières fécales qui contiendraient la bactérie. Il faut savoir que la vache, par exemple, peut tout à fait porter la bactérie sans présenter aucun signe. Lors du hâchage de la viande, la bactérie va ainsi être disséminée à l’intérieur de celle-ci. Alors si on ne fait pas suffisamment cuire cette viande et qu’un jeune enfant la mange, ça peut déclencher l’infection.

L’autre façon, c’est lors de la traite du lait cru. C’est un problème qu’on rencontre de plus en plus ces dernières années. Des matières fécales peuvent se retrouver dans le lait, et lorsqu’il n’est pas pasteurisé et qu’il est bu tel quel ou qu’un fromage à pâte molle (confectionné avec ce lait) est consommé, il peut y avoir un risque de contamination. De la même façon, les végétaux sont un vecteur possible de contamination, notamment les fruits qu’on ramasse au sol car les animaux peuvent déféquer dessus, ou l’eau d’arrosage peut elle-même être contaminée. C’est pour ça qu’il est très important de laver ses fruits et légumes et de se laver les mains avant les repas”.

Quelle différence cette fois avec ces pâtes à pizza?

“Là, l’histoire est un peu différente. C’est une épidémie particulière dans le sens où les enfants ne sont pas aussi jeunes que d’habitude, et l’aliment incriminé par les autorités est une pâte à pizza surgelée, non pré-cuite. On n’est pas habitués à ce type de produits.

Si la responsabilité de la contamination des produits revient bien évidemment à l’industriel, il y a un risque que la cuisson de ces pizzas n’ait pas été suffisante. Peut-être des adolescents ne connaissaient-ils pas bien les différents modes de cuisson de leur four, les personnes ont-elles utilisé le préchauffage? Les produits ont-ils été cuits au four traditionnel ou au four à micro-ondes? Enfin, toujours est-il que s’il n’y avait pas eu de contamination de la pâte, il n’y aurait rien eu après.

On peut aussi se poser la question de la farine utilisée pour la pâte à pizza. Depuis 2010 en Amérique du Nord, on sait qu’ils ont des cas d’E. Coli liés à une contamination de la farine. Depuis, il est même recommandé de ne plus manger les pâtes à cookie et autres pâtes à pizza avant cuisson.

Ils soupçonnent que la contamination aurait pu avoir lieu dans les champs de blé où se seraient trouvés des ruminants. Ça peut être aussi lors de la préparation du blé, notamment lors du mouillage (l’étape qui consiste à ajouter de l’eau pour faciliter la séparation de ces enveloppes), dans le cas où l’eau aurait été contaminée par des bovins par exemple”.

Doit-on redouter d’autres cas en France?

“Ce genre de produits industriels est distribué à large échelle donc on peut imaginer que ça va entraîner plus de cas que sur de plus petites productions locales. D’un côté, il y aura de moins en moins de cas en raison du retrait-rappel du produit. Mais naturellement, on va avoir des cas qui vont arriver au fil de l’eau: le problème, c’est que ce n’est pas un lot de produits que tout le monde va manger en même temps car il est périssable.

Des gens ont acheté ça et vont le garder des semaines dans leur congélateur avant de le consommer. Le risque, c’est que l’information ne leur arrive pas entre-temps. Ça, c’est une bombe à retardement dans les congélateurs.

Donc maintenant qu’il y a eu confirmation que ce produit est problématique, il est crucial que les gens en soient informés. Il faut faire une campagne et dire ‘Allez voir dans vos congélateurs, on sait que c’est ça!’

Par ailleurs, il ne faut pas omettre qu’il y a un délai entre le moment où on mange l’ingrédient contaminé et le moment où on contracte l’infection sévère. On a les premiers symptômes (diarrhées, maux de ventre) entre 3 et 10 jours après l’infection. Mais les complications graves ne surviennent qu’une semaine après.

Enfin, il faut rassurer les gens qui auraient consommé cette pizza il y a plus de 15 jours et qui n’auraient rien. Pour eux, il ne se passera plus rien après. Quant aux personnes qui auraient consommé ces pizzas et auraient été victimes de diarrhées initiales, il faut impérativement qu’elles consultent leur médecin traitant et lui disent avoir mangé ce produit.”

Jeanne Bulant Journaliste BFMTV

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