Piotr Pavlenski, portrait d’un agitateur forcené converti au « kompromat » – Le Monde

L’activiste russe Piotr Pavlenski, lors d’une conférence de presse dans le bureau de son avocat, le 14 février à Paris.

L’activiste russe Piotr Pavlenski, lors d’une conférence de presse dans le bureau de son avocat, le 14 février à Paris. LIONEL BONAVENTURE / AFP

Devant un parterre d’étudiants en droit réunis à Paris, en décembre 2019, Piotr Pavlenski clamait que « l’art politique est un art » qui exige d’« agir pour forcer l’appareil d’Etat à se démasquer ». « Pour cela, expliquait-il, l’artiste utilise les mêmes instruments que ceux dont use le pouvoir. » Il est passé aux travaux pratiques en préparant la mise à mort du candidat La République en marche (LRM) à la Mairie de Paris, Benjamin Griveaux, avec la technique, bien connue en Russie, du kompromat (ou « dossier compromettant »).

En publiant une vidéo vieille de deux ans attribuée à l’ancien secrétaire d’Etat en train de se masturber, Piotr Pavlenski, 36 ans dans quelques jours, n’a rien fait d’autre, en effet, que d’imiter les services de sécurité russes, qui font « tomber » quelques-unes de leurs cibles en diffusant des vidéos intimes, souvent tournées à leur insu. Vladimir Poutine y a eu lui-même recours. Alors chef des services de sécurité russes (FSB, ex-KGB), il avait utilisé ce procédé pour écarter en 1998 le procureur Iouri Skouratov, chargé d’enquêter sur la corruption dans l’entourage et la famille de Boris Eltsine. Une vidéo diffusée à la télévision montrant les ébats du magistrat avec deux prostituées avait suffi. Puis ce fut le tour de plusieurs opposants d’être victimes de kompromat.

Il peut paraître étrange que Piotr Pavlenski s’inspire de ces méthodes, lui qui n’a cessé de dénoncer l’oppression du système russe. Né le 8 mars 1984 à Leningrad (Saint-Pétersbourg aujourd’hui), l’homme a commencé à se faire connaître en Russie avec des actions de rue spectaculaires. La première fois, en 2012, il se coud les lèvres dans l’ancienne cité tsariste en soutien à l’arrestation des Pussy Riot, le groupe de punkettes russes qui avaient chanté un couplet anti-Poutine dans la cathédrale du Christ-Sauveur de Moscou pour protester contre l’absence de glasnost et la « paranoïa de masse ». Puis il migre l’année suivante à Moscou, où il se poste sur la place Rouge enroulé nu dans des barbelés pour dénoncer une série de lois liberticides.

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Une enquête pour « violences »

Six mois plus tard, en novembre 2013, sa notoriété commence à franchir les frontières lors de son acte le plus retentissant : se clouer les testicules sur les pavés de la place Rouge afin de critiquer la « passivité, l’indifférence politique et le fatalisme de la société russe ». En 2014, il se coupe une oreille, nu, sur le mur d’enceinte de l’Institut psychiatrique Serbski, de sinistre réputation puisque c’est là que des dissidents ont été internés ; en 2015, il met le feu aux portes de la Loubianka, le siège du FSB, en plein cœur de la capitale russe. Toutes ses actions portent des noms, Suture, Carcasse, Fixation, Séparation, comme des œuvres d’art. Son discours est toujours construit.

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