« Pas sûr que l’acquittement de Trump joue durablement dans les motivations de vote » – Le Monde

Le président américain, Donald Trump, brandissant un exemplaire du « Washington Post » dont la « une » indique son acquittement, à Washington, le 6 février.

Le président américain, Donald Trump, brandissant un exemplaire du « Washington Post » dont la « une » indique son acquittement, à Washington, le 6 février. Evan Vucci / AP

Dans un tchat avec les internautes, le correspondant du Monde à Washington, Gilles Paris, est revenu sur l’acquittement, mercredi 5 février, de Donald Trump à la suite de son procès en destitution.

Lire la synthèse : Donald Trump acquitté dans une Amérique toujours plus divisée

Orion : Quel impact l’acquittement peut-il avoir sur l’élection présidentielle de novembre ?

Gilles Paris : L’acquittement politique de Donald Trump est une bonne nouvelle pour le président, même s’il était attendu. Nul doute qu’il va le marteler lors de ses meetings, mais il s’y exprime face à des inconditionnels. Pour le reste, l’élection est encore bien loin. Neuf mois en politique, c’est une éternité. En instruisant son cas très rapidement, les démocrates qui anticipaient un vote favorable à Donald Trump au Sénat ont montré qu’ils souhaitaient débarrasser la campagne de cette affaire au plus vite. Ils auraient eu tout le loisir de la faire durer. Ils ont pris date. Les électeurs jugeront.

Sacha : Selon vous, quel est le pire scénario pour les démocrates : l’acquittement de Trump ou la multiplication des candidatures à la primaire démocrate ?

L’acquittement est désormais une chose acquise. Pas sûr qu’il joue durablement dans les motivations de vote, même si des révélations sont toujours possibles dans l’affaire ukrainienne, compte tenu de la stratégie d’obstruction de Donald Trump qui a empêché que son procès se déroule avec une vision complète de ce qui s’est passé.

En revanche, l’illisibilité de la course à l’investiture démocrate est potentiellement beaucoup plus embarrassante pour les démocrates. S’ils ne parvenaient pas à faire émerger une candidature de rassemblement, s’ils restaient au contraire divisés en pôles plus ou moins équivalents en importance, ils pourraient difficilement échapper à une « brokered convention », autrement dit à une convention qui désigne un candidat à la suite de marchandages de couloirs, ce qui serait de très mauvais augure pour l’élection de novembre.

Orion : Cet acquittement très politique signifie-t-il une paralysie durable de la procédure constitutionnelle d’impeachment ?

L’intérêt de ce procès, dont l’issue ne faisait pas l’ombre d’un doute, a été en effet de montrer les limites de la clairvoyance des Pères fondateurs. Ces derniers ne pouvaient évidemment pas anticiper l’effet du clanisme politique qui paralyse aujourd’hui Washington. Ils ont bâti un système qui repose sur une dose minimale de bonne foi de la part de ses acteurs. C’est pour cela que le seuil de 67 voix a été fixé pour une destitution, ce qui oblige nécessaire un consensus entre les deux partis (dont aucun ne disposera à lui seul de ces voix avant très longtemps, si jamais cela se produit un jour).

L’impeachment de Bill Clinton, mis en accusation pour une broutille comparé à ce qui était reproché à Donald Trump (un parjure pour masquer une affaire extraconjugale), avait été un premier avertissement. Il s’agissait alors pour les républicains de régler des comptes avec un président à un peu plus d’un an de son départ du pouvoir. Le suivisme des républicains du Sénat par rapport à la Maison Blanche dans le cas de Donald Trump en est un second. Une partie du Congrès a choisi de renoncer à son pouvoir et à son mandat.

Une autre voie était possible, comme l’ont montré certains sénateurs républicains, très frustrés par la tournure des choses. Ils pouvaient instruire plus en profondeur l’affaire ukrainienne, mettre en évidence plus clairement la responsabilité éventuelle de Donald Trump, tout en concluant que ces fautes, si elles étaient avérées, ne méritaient pas une destitution. Mais cette voie n’a pas été explorée. Dès lors, deux options sont envisageables : l’impeachment peut effectivement devenir un outil constitutionnel inutile ou bien se banaliser et être rabaissé à une sorte de censure symbolique.

Lire aussi Trump renforcé et les institutions affaiblies : la presse américaine tire les leçons de l’acquittement du président
Mitt Romney.

Mitt Romney. AP

Cadi : Le vote du républicain Mitt Romney pour la destitution de Trump est-il si exceptionnel que cela ?

Mitt Romney a été le premier sénateur à franchir cette ligne dans un procès en destitution. Il considère que le marchandage lourdement proposé par Donald Trump à son homologue ukrainien constitue une faute et une violation de la Constitution. Il prive Donald Trump, même si le président va tout de même déployer cet argument, d’un élément de discours déjà rodé : celui d’un procès en destitution purement politique, d’un complot ourdi par les seuls démocrates pour l’évincer du pouvoir.

Les lettres de créances conservatrices de Mitt Romney, candidat à l’élection présidentielle de 2016, sont inattaquables. Il est élu dans un Etat conservateur, l’Utah. Mais son isolement souligne aussi l’emprise de Donald Trump sur les républicains qui redoutent tous d’être la cible d’une salve matinale de messages dévastateurs publiés sur son compte Twitter.

Figure très respectée au sein de la communauté mormone qui est moins bien disposée à l’égard de Donald Trump que la droite évangélique, Mitt Romney dispose d’une assise solide dont peu de sénateurs peuvent se prévaloir. C’est ce qui lui a donné cette liberté mercredi même si par ailleurs, les relations entre les deux hommes n’ont jamais été simples. Donald Trump l’a souvent humilié, il en paie sans doute un peu le prix.

Mina : Tout le monde semblait savoir que Trump allait être acquitté alors pourquoi avoir lancé cette procédure.

Il faut poser la question à la speaker de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi. Plus sérieusement, cette dernière avait anticipé le résultat en se prononçant contre une mise en accusation en mars 2019. C’est « une telle source de division pour le pays qu’à moins de se retrouver face à quelque chose de convaincant, d’écrasant et de bipartisan, je ne pense pas que nous devrions emprunter cette voie », avait-elle expliqué. Mais il s’agissait alors de l’affaire « russe » et de l’élection de 2016.

Avec l’affaire ukrainienne, c’est l’élection de 2020 qui était en jeu puisque Donald Trump a objectivement cherché à embarrasser un éventuel adversaire, Joe Biden, seulement à partir du moment où ce dernier est devenu le favori de la course à l’investiture démocrate, au printemps 2019. Les démocrates ont considéré que ce nouvel écart de Donald Trump méritait un rappel à l’ordre institutionnel, même symbolique. C’est pour cela que les élus démocrates les plus modérés, les plus exposés électoralement, ont activement soutenu la procédure de mise en accusation.

Lire aussi Mise en accusation de Trump : l’enquête expliquée en un coup d’œil

NicolasBr : Donald Trump peut-il être poursuivi par un tribunal civil suite à cet acquittement ? Ou est-ce que l’affaire ukrainienne est définitivement terminée ?

L’un des arguments des avocats du président a été de dire qu’il ne pouvait pas être condamné faute de crime, précisant ainsi que l’aide à l’Ukraine avait été finalement débloquée sans contrepartie. La chronologie montre cependant que Donald Trump a renoncé à son marchandage après qu’il a été informé de l’existence d’un signalement d’un lanceur d’alerte, quand il a compris qu’il avait « été pris », pour reprendre l’expression du chef de file des procureurs démocrates, Adam Schiff. Ce dernier a défendu le point de vue selon lequel l’intention de violation de la Constitution était aussi importante que la violation elle-même.

En l’état, on voit mal sur quelle base engager une action en justice même si les révélations ne sont sans doute pas terminées. De nombreux témoins n’ont pas pu ou voulu parler, de nombreux documents n’ont pas été communiqués. Les démarches possibles dans le système américain pour obtenir leur publication vont certainement alimenter un feuilleton des mois durant, qui sera cependant relégué au second plan.

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