Pas de numérique ? Pas de cocktails !

Pas de numérique ? Pas de cocktails !

Si vous me suivez sur mon compte Twitter personnel, vous avez peut-être remarqué que je tweete très souvent sur Majorque. Ce n’est pas un secret que j’ambitionne d’aller m’y installer, au moins à temps partiel, pour énormément de raisons. Je suis l’actualité locale avec presque autant d’intérêt que l’actualité politique française. C’est ainsi que je suis tombée sur un article d’Ultima Hora parlant de la pénurie de main-d’œuvre dans le secteur touristique.

Parmi les raisons de cette pénurie de main d’œuvre, un syndicat d’hôteliers avance une raison que je n’ai pas vu venir : la fracture numérique.

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Enchaînement de causes et d’effets

Voici quelques éléments de contexte sur la situation économique de Majorque avant l’épidémie de COVID. L’île dépendait du tourisme pour vivre. Il y a quelques zones agricoles, mais le gros de l’économie venait directement et indirectement du tourisme.

L’île a une curiosité : les habitants y sont moins diplômés que le reste de l’Espagne, mais le chômage y était le plus bas. Par ailleurs, beaucoup de saisonniers étaient issus du Royaume-Uni, d’Irlande, d’Italie, etc. Deux évènements ont changé la donne : le Brexit et le COVID.

Aujourd’hui — et c’est l’objet de l’article d’Ultima Hora — le secteur touristique fait face à une pénurie de main-d’œuvre. Les salaires sont trop bas pour se loger sur l’île, où les prix de l’immobilier ont flambé, jusqu’à atteindre 16 000 € le mètre carré. Avant l’épidémie, même sur Calvia, le mètre carré était de 2500 € environ, si le bien avait une vue mer. Actuellement, un logement dans le secteur de Calvia nécessite au minium 700 € par mois. Autre difficulté, le carburant. Ne pas être véhiculé sur l’île est un frein majeur quand on y vit et qu’on souhaite y travailler. Or, le prix du litre atteint joyeusement les 2 €. Le salaire moyen ou médian à Majorque est entre 1000 € et 1200 € par mois.

Où sont partis les travailleurs ? Les saisonniers qui résident sur l’île à l’année se sont tournés vers les métiers du bâtiment et de la construction. Même si les salaires sont équivalents à ceux du tourisme, ils ont deux arguments de poids : ils ont des horaires classiques et l’équivalent d’un CDI. Quant aux Britanniques, le Brexit a rendu les emplois saisonniers plus difficiles d’accès pour eux. Restent les Espagnols « du continent », les Italiens et les Irlandais, qui sont confrontés aux difficultés précédemment évoquées. Certains propriétaires de pub et de bar étaient également propriétaires de plusieurs appartements, dans lesquels les saisonniers étaient logés. Sauf qu’une partie d’entre eux ont mis la clef sous la porte. Les logements sont en vente, mais il faut au moins 30 % d’apport pour acheter les biens.

Résultat : les établissements se volent les employés entre eux. Que vient faire la fracture numérique dans cette histoire ?

Double fracture

Pour retenir les salariés, les établissements les font monter en grade et en salaire, mais il faut bien trouver quelqu’un pour les remplacer. Les offres d’emploi se diffusent massivement via Internet, qu’il s’agisse des job-boards, des groupes Facebook ou autre.

Certains bars affichent des panneaux sur la vitrine disant qu’ils cherchent des serveurs, mais la majorité des recrutements se fait en ligne.

On ne s’en rend pas du tout compte en France métropolitaine, mais en ce qui concerne l’accès à Internet, nous sommes très privilégiés. Nous avons une couverture qui n’est pas médiocre, même s’il existe toujours des zones blanches, mais surtout, nos accès Internet ne sont pas chers. Par ailleurs, les prix des abonnements ne dépendent pas de la zone où on vit. À Majorque, l’accès à Internet peut coûter moins cher à Manacor (la capitale) qu’à Deià chez certains opérateurs. Pour une offre triple-play, téléphonie fixe et mobile en France et en Europe illimitées, Internet et la télévision, il faut compter 40 €. À Majorque, il faut compter entre 25 € et 79 € par mois, selon l’offre choisie, qui n’inclut ni la télévision ni la téléphonie.

Le Mallorca Diaro avait publié un article, en début d’année 2022, sur la fracture numérique et relevait que le coût des équipements était l’un des freins à l’accès au numérique, notamment à Majorque. À cela s’ajoute l’accès à la formation. Épidémie oblige, tout a été dématérialisé à vitesse grand V, laissant sur le carreau un grand nombre de personnes. Or, pour ceux qui ne connaissent pas Majorque, il y a une petite subtilité géographique : certaines zones de l’île sont majoritairement fréquentées par les Allemands et les Scandinaves, notamment Peguera et Andratx. Ne pas parler au moins quelques mots d’allemand, sans parler de l’anglais, est un handicap, et comment apprendre une langue sans cours, qu’ils soient en ligne ou en présentiel ?

Cette dématérialisation à marche forcée a aussi eu pour conséquence de laisser les retraités sur le carreau, notamment pour tout ce qui touche au secteur bancaire. Certaines enseignes ont totalement fermé leurs agences bancaires en physique, pour se rabattre sur le Web et les applications mobiles. Et les choses ne vont pas s’arranger.

Pénurie d’équipements

L’épidémie de COVID avait ralenti la production et la fabrication des équipements informatiques. La guerre en Ukraine vient en rajouter une couche : certains matériaux, essentiels à la fabrication des ordinateurs, téléphones portables et autres appareils numériques, manquent, du fait de la guerre en Ukraine. Pour dire les choses clairement : si vous devez changer vos appareils, faites-le maintenant si vous voulez du neuf. Dans quelques mois, il y a un risque que le neuf soit plus rare et beaucoup plus cher.

Que ce soit dans le cas de Majorque ou de la France, le phénomène de fracture numérique risque d’être très fortement accentué pour plusieurs catégories de la population, alors même que tout se dématérialise de plus en plus et que certaines procédures en ligne deviennent de plus en plus complexes.  

Quant à Majorque, la saison risque de s’annoncer très compliquée. Les prix ont flambé partout, réduisant le pouvoir d’achat de nombreuses personnes. Le Brexit ne facilite pas les déplacements des Britanniques, sans compter que le Gouvernement des Baléares a récemment, de nouveau, durci les conditions d’accès à l’île aux Britanniques. Enfin — et c’est moins connu — la clientèle russe qui était présente depuis quelques années ne sera évidemment pas au rendez-vous.

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