
OpenAI : la magie du Ctrl-Z a t-elle opéré ?
Le billet précédent soulevait toutes les interrogations sur l’IA générative que posait le départ de Sam Altman d’OpenAI, débarqué par le board de l’organisation à but non lucratif et qui contrôle la filiale à but lucratif en charge de la commercialisation de ChatGPT. Même si ce board était totalement dans son droit dans la gouvernance établie, il était assez clair pour GreenSI que la figure emblématique de Sam Altman, les intérêts des actionnaires et des salariés, avaient été oubliés dans la décision.
Dans ce billet, GreenSI comparait cette situation à celle de Steve Jobs, licencié par Apple en 1985 puis rappelé en 1997 pour incarner une nouvelle vision, et attendait “le coup d’après” qui allait influencer la suite des évenèments. Il n’aura pas fallu attendre très longtemps…
Le coup d’après, et coup de maître, fut l’embauche par Satya Nadella, CEO de Microsoft, de Sam Altman 24h plus tard, et l’ouverture informelle, via les réseaux sociaux, d’accueillir d’autres salariés d’OpenAI souhaitant avancer sur le projet à but lucratif au coeur de la stratégie de Microsoft, qui seul pouvait amortir son niveau d’investissement très élevé dans la société (notamment sous la forme de crédit Azure).
La partie d’échecs s’est poursuivie avec un travail discret des autres actionnaires pour appeler à une recomposition du board, appuyée par une pétition interne des salariés, elle très bruyante, qui est passée très vite à 500 puis 700 signatures en 48h.
Au final, ce ne sera pas 11 ans, comme pour Steve Jobs chez Apple, mais seulement 4 jours pour que Sam Altman soit réintégré à son siège de CEO d’OpenAI, avec un board recomposé et une nouvelle légitimité. Comme GreenSI l’avait analysé, personne dans l’industrie n’avait d’intérêt à ce OpenAI change de trajectoire si brusquement, et tout le monde s’est aligné pour qu’une issue réaliste soit trouvée.
Mais on peut quand même se poser la question de savoir si la magie de l’appui sur les touches magiques “Ctrl-Z”, a bien annulé la dernière opération ? Le renvoi vendredi 17 novembre de Sam Altman.
Pour GreenSI, la réponse est clairement non, et c’est tant mieux, puisque cet épisode aura montré toute la force et la faiblesse des IA génératives. Il y aura donc un avant et un après pour OpenAI, et cela restera un un événement majeur dans le monde de la technologie.
Revenons sur cette semaine folle pour en tirer des enseignements.
Gouvernance : une dynamique à revoir
Le premier est bien sûr celui de la gouvernance de l’entreprise qui a montré son immaturité à assurer la stabilité qu’elle est censée incarner.
Nommer 3 CEO en une semaine (par intérim Mira Murati, puis par Emmet Shear, figure de la Tech, devenu le patron le plus éphémère, pour au final remettre en poste Sam Altman, ne peut incarner le besoin de vision à moyen terme pour influencer le développement de technologies aussi impactantes sur la société et son organisation.
Le board (conseil d’administration) à l’origine de la destitution de Sam Altman a lui même été remplacé mercredi dernier pour assurer la transition avant la nomination d’un conseil plus élargi, avec notamment l’arrivée de nouveaux membres comme Bret Taylor et Larry Summers. Le premier est un entrepreneur passé par Google (Map) et Facebook (ex CTO), et le second économiste, coche toute les cases pour ses liens avec le gouvernement américain. Mais on peut également lire entre les lignes que ce conseil comble un peu le fossé entre l’activité à but lucratif et le conseil à but non lucratif. Les enjeux stratégiques sont maintenant ceux du business développement d’OpenAI tout en s’intégrant à l’influence américaine dans le Monde.
Microsoft : une relation symbiotique avec OpenAI
L’épisode a souligné l’importance stratégique d’OpenAI dans le paysage de l’IA, en particulier pour Microsoft.
En effet, la stratégie de Microsoft pour intégrer les IA génératives dans ses offres est annoncée depuis un an et vise à transformer et à renforcer ses produits et services existants, et les dernières réalisations montrent que ce n’était pas un simple effet d’annonce. Le partenariat de Microsoft avec OpenAI est central à cette stratégie pour avoir un accès privilégié et immédiat, aux modèles GPT, DALL-E, et autres modèles futurs. L’alternative de re-créer une équipe en interne, et peut-être un nouvel apprentissage, aurait surement tué OpenAI, mais aurait pris au moins 12 mois si on regarde la vitesse de ses concurrents. C’est pourquoi pour GreenSI l’annonce du recrutement de Sam Altman n’était qu’un fantastique coup pour réveiller l’échiquier.
Les premières annonces de Microsoft ont porté sur l’intégration de GPT dans Bing, devenu Bing Chat, mais l’IA générative a peu fait décoller les parts de marché de ce moteur de recherche depuis cette intégration. Le coeur de la stratégie est dans la suite Microsoft Office, par exemple pour générer du contenu textuel automatique, analyser les données, ou améliorer l’expérience utilisateur par une meilleure compréhension du contexte et des besoins précis de l’utilisateur quand il utilise les outils de cette suite.
La marque Copilot (empruntée à Github) a été lancée mondialement et Microsoft a besoin d’une technologie pour délivrer ces services d’IA générative dans ses applications. Son accord stratégique avec OpenAI assure cette stratégie, mais le récent évènement a montré sa fragilité quand OpenAI pouvait changer de cap sans en informer Microsoft.
C’est donc un renforcement de ce partenariat, voir de l’intégration d’OpenAI, que Microsoft va chercher à tout prix dans une nouvelle gouvernance.
OpenAI : un Altman II, renforcé sur ses bases
Vu de l’Europe, la situation a non seulement mis en évidence le rôle stratégique d’OpenAI dans l’écosystème global de l’IA mais aussi le niveau d’interaction et de dépendance entre grandes entreprises et startups aux Etats-Unis. Le long d’un week-end, tout cet éco-système a été mobilisé. D’ailleurs le réseau X (ex Twitter) que certains disent mort, a aussi joué un rôle important pour la diffusion d’information en temps réel sur une période si courte et sur la mobilisation des individus. La presse s’appuyant sur lui pour suivre chaque heure ce que chacun pensait, ou tout du moins communiquait.
Enfin, le nouvel OpenAI, rentre clairement dans une nouvelle période, avec un Sam Altman II renforcé par le blébiscite des employés et la manifestation de leur loyauté envers lui, quand ils menacent de démissionner en masse et de le suivre chez Microsoft s’il n’était pas réintégré. Ce niveau de soutien des employés pour un PDG est très rare et en dit long sur le leadership de Sam Altman et la culture qu’il a cultivée chez OpenAI.
On peut aussi se dire qu’il va en inspirer d’autres aux Etat-Unis, où les règles pour se faire recruter ou pour démissionner sont plus souples qu’en Europe, car la menace d’une démission collective à cette échelle est, pour GreenSI, un événement sans précédent dans la Tech. Cela reflète une nouvelle forme de pouvoir des employés, qui peuvent influencer les décisions au plus haut niveau par leur nombre et leur solidarité. Un paradoxe dans une société américaine normalement gouvernée par le capital…
C’est ce qui fait dire à GreenSI que ce n’est pas un simple “Ctrl-Z”. Le retour de Sam Altman est plus qu’un simple retour à la situation précédente. Il a conduit à des changements majeurs dans le conseil d’administration et la structure de gouvernance d’OpenAI, que le nouveau ex-CEO va pouvoir exploiter pour amplifier les directions qu’il compte faire suivre à OpenAI. et notamment un développement et un déploiement rapides des technologies de l’IA.
Ceux qui appellent à un développement plus prudent et contrôlé, privilégiant la sécurité et les considérations éthiques, ont donc perdu de l’influence la semaine dernière, et ce changement d’équlibre sera certainement central pour l’avenir d’OpenAI et de son rôle dans l’IA. Ils ne vont bien sûr pas en rester là. Cela suggère que des questions éthiques et de sécurité deviendront de plus en plus centrales dans la gouvernance et la stratégie des entreprises technologiques.