Nobel de chimie : la Française Emmanuelle Charpentier récompensée – Libération

Le prix Nobel de chimie est attribué à la Française Emmanuelle Charpentier et l’Américaine Jennifer Doudna pour leur découverte de la technique de modification du génome appelé Crispr-Cas9. Elles sont les sixième et septième femmes à remporter un Nobel de chimie depuis 1901. La généticienne française espère apporter «un message très fort» aux jeunes filles, avec ce prix remporté pour la première fois par un duo 100% féminin.

Génie génétique

Cette technique est celle que le génie génétique attendait pour tenir toutes ses promesses. En effet, avant 2012, l’insertion d’un gène dans un génome restait aléatoire et peu fiable. Crispr-Cas9 est très, très spécifique. Elle permet de couper l’ADN à un endroit précis.

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Les deux chercheuses ont déjà reçu plusieurs prix, comme le Breakthrough Prize (2015), le prix scientifique de la Princesse des Asturies (2015) ou encore le prix Kavli pour les nanosciences en Norvège (2018).

Depuis leur découverte, publiée dans Science, la technique s’est répandue dans tous les laboratoires de biologie moléculaire. Parfois pour le pire. L’annonce, en novembre 2018, de la naissance des premiers bébés humains génétiquement modifiés en Chine par He Jiankui, professeur d’université à Shenzhen, repose sur la technologie Crispr.

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Découverte

Cette découverte vient de l’observation des bactéries. Celles-ci ont dans leur génome des séquences bizarres. Comme si la même séquence palindromique était répétée plusieurs fois. Elles sont appelées Crispr pour «Clustured Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats» [courtes séquences répétées palindromiques, regroupées et régulièrement espacées, ndlr].

Les chercheurs se sont ensuite aperçus que les séquences Crispr qui encadraient des séquences étaient identiques à celles de certains virus infectant les bactéries. Mieux, si une bactérie a la séquence d’un virus dans ses séquences Crispr, elle est immunisée contre celui-ci.

Schématiquement, si le virus l’infecte, la bactérie reconnaît l’ADN de l’assaillant. La bactérie traduit la séquence Crispr en ARN. Cet ARN s’allie avec une protéine spécialisée dans la découpe d’ADN (appelée Cas) puis se fixe sur l’ADN du virus et Cas le découpe. Si ce n’est plas clair, Emmanuelle Charpentier a présenté sa découverte lors de son élection à l’académie des sciences en 2018.

Tout le travail depuis 2012 a été de détourner ce système immunitaire bactérien pour couper où l’on veut l’ADN que l’on veut. Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier concluaient leur article de manière prémonitoire : «Nous proposons une méthode alternative basée sur des Cas9 programmée par ARN avec un potentiel considérable pour des applications d’édition de génome et de ciblage de gène».

«La santé de la recherche en France n’est pas au mieux»

Emmanuelle Charpentier est née à Juvisy-sur-Orge (Essonne), mais elle ne travaille plus en France depuis l’obtention de son doctorat en 1995. Etats-Unis, Autriche, Suède et maintenant Allemagne, elle a travaillé dans des institutions prestigieuses internationales. Elle dirige aujourd’hui l’Institut Max Planck de Berlin. 

Elle donnait son avis sur la recherche française dans l’Express en 2016 : «La santé de la recherche en France, comme dans d’autres pays européens, n’est pas au mieux et je suis touchée, voire déprimée, lorsque j’en discute avec mes collègues français. Je ne sais pas si, étant donné le contexte, j’aurais pu mener à bien le projet Crispr-Cas 9 en France. Si j’avais fait une demande de financement, il est probable que l’Agence nationale de la recherche n’aurait pas alloué de fonds à mon projet. On parle de fuite des scientifiques, les fameux “cerveaux”, mais il y a un nombre incroyable d’excellents chercheurs qui n’ont pas quitté la France.»

Une déclaration qui n’empêche pas la récupération politique par le gouvernement. Dans son tweet de félicitations, le Premier ministre nie l’évidence et considère que ce prix «consacre, à nouveau, l’excellence et l’attractivité internationale» de la recherche française.

Olivier Monod avec AFP

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