Nicolas Sarkozy au procès Bygmalion : « J’aimerais qu’on m’explique en quoi j’ai fait plus campagne en 2012 qu’en 2007 » – Le Monde

Nicolas Sarkozy au tribunal correctionnel de Paris, le 15 juin.

Nicolas Sarkozy était-il au courant du système de double facturation mis en place pour masquer l’explosion des dépenses de sa campagne présidentielle de 2012 ? C’est l’enjeu de son interrogatoire, qui a commencé mardi 15 juin à 13 h 30, trois semaines après l’ouverture du procès Bygmalion au tribunal correctionnel de Paris. L’ancien président de la République est arrivé sur place en tout début d’après-midi, où il s’est défendu avec véhémence d’avoir mené une campagne somptuaire.

Vêtu d’un costume et d’un masque noirs, et d’une chemise blanche, l’air grave, Nicolas Sarkozy a pris place à la barre, face au tribunal. Depuis l’ouverture du procès, le 20 mai, il n’avait assisté à aucune audience et se faisait représenter par son avocat Thierry Herzog.

« Ce qui intéresse le tribunal, a commencé Caroline Viguier, la présidente du tribunal, c’est comment la campagne a été organisée. J’ai envie de dire : qui, comment, quoi ? » Y a-t-il eu une « accélération » par rapport à ce qui était prévu au départ, a-t-elle demandé.

« J’ai fait quarante ans de politique, c’est ma vie, les campagnes, je connais », a répondu M. Sarkozy. « Je n’ai jamais vu une campagne, petite ou grande, qui n’accélère pas », a-t-il insisté. « J’aimerais qu’on m’explique en quoi j’ai fait plus campagne en 2012 qu’en 2007. C’est faux ! », s’est-il insurgé, en haussant la voix et à renfort de grands gestes, se tournant tour à tour vers le tribunal et les représentants du parquet. « Il n’y a pas eu d’emballement », a-t-il plusieurs fois répété, « c’est une fable ». « Elle est où la campagne qui s’emballe ? Elle est où la campagne en or massif ? » Selon lui, la campagne était « dynamique », mais « nous faisions les mêmes villes, les mêmes salles que les autres candidats ».

Contrairement aux treize autres prévenus – d’anciens cadres de cette société d’événementiel et de l’UMP, son directeur de campagne, des experts-comptables –, renvoyés notamment pour escroquerie ou usage de faux, Nicolas Sarkozy n’est pas mis en cause pour ce système de double facturation, et comparaît pour « financement illégal de campagne » uniquement. Il encourt un an d’emprisonnement et 3 750 euros d’amende.

En mars, il était devenu le premier ex-président de la Ve République à être condamné à de la prison ferme, pour corruption et trafic d’influence dans l’affaire dite « des écoutes ».

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« Faut que ça pète »

Dans le dossier Bygmalion, « l’enquête n’a pas établi », selon l’accusation, que Nicolas Sarkozy aurait pu « ordonner », « participer », voire être informé, du système de double facturation destiné à cacher le dépassement du plafond légal des dépenses autorisées.

Mais le président candidat, loin d’être « déconnecté de sa campagne », a fait le choix avec son équipe de « meetings spectaculaires et dispendieux », et demandé d’accélérer le rythme – jusqu’à un meeting par jour. Une campagne « d’une rare densité », marquée par une « totale improvisation » des donneurs d’ordre, avait décrit l’accusation. Pour les organisateurs, une consigne : « Faut que ça pète », a résumé au début du procès le responsable des meetings chez Bygmalion, Franck Attal.

L’accusation estime que M. Sarkozy a laissé filer les dépenses, malgré plusieurs alertes claires sur les risques de dépassement, et ainsi « incontestablement » bénéficié de la fraude, qui lui a permis de disposer de « moyens bien supérieurs » à ce qu’autorisait la loi : au moins 42,8 millions au total, soit près du double du plafond légal à l’époque.

Pour lui éviter de devoir reconnaître publiquement que ses dépenses avaient dérivé « de manière spectaculaire », « avec les conséquences politiques et financières » qui se seraient ensuivies, dit l’accusation, il a été décidé de « purger » le compte de campagne. Le prix réel des quelque 40 meetings organisés par l’agence événementielle Bygmalion avait ainsi été drastiquement réduit, et le reste – 80 % des factures – réglé par l’UMP (devenu Les Républicains), au nom de conventions fictives du parti.

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« A qui cela profite ? »

Interrogé par le tribunal sur son « hypothèse » quant à l’ordonnateur de la fraude, l’ex-secrétaire général de l’UMP Jean-François Copé, blanchi dans cette affaire et entendu comme simple témoin la semaine dernière, a bien une idée. « Il faut toujours se demander à qui cela profite », avait-il répondu.

Les sarkozystes et copéistes se sont toujours rejeté la responsabilité de ce scandale qui a causé des déflagrations en série à droite. Quand l’affaire avait été révélée par Le Point en 2014, Jean-François Copé avait d’abord été accusé d’être derrière un système créé pour constituer une « caisse noire » dévolue à son avenir politique. Une théorie également développée par Nicolas Sarkozy devant les enquêteurs :

« Où est passé cet argent ? J’affirme qu’il n’est pas passé dans ma campagne (…) Ces fausses factures et ces fausses conventions ne se passent pas entre ma campagne et Event [filiale de Bygmalion], mais entre Event et l’UMP. »

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Jérôme Lavrilleux, à l’époque directeur de cabinet de M. Copé et directeur adjoint de la campagne, et seul à l’UMP à avoir reconnu la fraude, assure que ni son patron ni Nicolas Sarkozy n’avaient été mis au courant. Les autres anciens cadres de l’UMP et de la campagne ont de leur côté évité de parler de l’ex-chef de l’Etat. « Les décisions se prenaient à l’Elysée », a-t-on tout au plus entendu.

En marge de l’interrogatoire du directeur de campagne, Guillaume Lambert, la semaine dernière, un avocat de la défense s’en était étonné : « Quelqu’un va poser une question sur Sarkozy à un moment ? » Le procès est prévu jusqu’au 22 juin.

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Le Monde avec AFP

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