Municipales : à cloche-pied, le macronisme défait – Libération

Incapable de jouer les premiers rôles sous ses propres couleurs lors des premières élections municipales de son histoire, la jeune «République en marche», cette écurie présidentielle créée pour la conquête élyséenne d’Emmanuel Macron, avance plus que jamais sur un pied. Et sans colonne vertébrale. Car au fiasco des urnes, symbolisé par la bérézina de LREM à Paris et le crépuscule accéléré de Gérard Collomb à Lyon, la majorité a ajouté une droitisation très concrète de son identité politique en se mettant majoritairement dans la roue de LR. Loin, très loin des promesses de recomposition politique ou des aspirations écologiques dont Macron prétend être un débouché crédible.

Toper avec des maires LR, les plus nombreux depuis la «vague bleue» de l’UMP en 2014 et les plus en phase avec l’action de la majorité depuis trois ans, mais aussi avec des maires de gauche. Telle était il y a encore un an l’ambition affichée et la stratégie assumée de LREM. Manière de finir d’achever et la droite LR-UDI et la gauche PS après les premières salves de la séquence présidentielle-législatives. A l’époque, au sortir des européennes, les ambitions des marcheurs étaient encore grandes : 10 000 conseillers municipaux, sur les 500 000 que compte le pays, mais surtout l’éclosion d’une génération municipale made in LREM.

«Faute politique»

Alors que le second tour se tient ce dimanche, trois mois après le premier, il est déjà acquis que la majorité présidentielle a loupé son pari. Scellant des alliances au gré de rapports de forces locaux que sa présence sur la ligne de départ n’est pas venu bousculer, LREM s’est en premier lieu nourrie électoralement dans l’écuelle des maires sortants LR. Comment, pour le parti présidentiel, revendiquer la victoire attendue d’un Christian Estrosi à Nice ou celle, moins acquise, d’un Jean-Luc Moudenc à Toulouse ? Dans ce scrutin, qui s’est déroulé en pleine pandémie mondiale de coronavirus, le parti présidentiel, marchant plus que jamais sur une jambe, est apparu comme un supplétif et non comme une force politique majeure. Dimanche soir à l’heure des comptes, la besace des candidats investis par LREM va rester fort maigre pour une majorité présidentielle même si cela ne dit pas grand-chose du potentiel électoral d’un Macron en 2022. Le RN de Marine Le Pen n’a d’ailleurs lui non plus pas joué les premiers rôles dans cette élection.

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Mais au-delà du résultat en lui-même, LREM s’est abîmée dans ce scrutin si on se réfère à ce qu’était la promesse macronienne en 2017. Dans bien des villes, les alliances LREM-LR sont apparues comme des fronts anti-écolos à rebours de l’époque. En apparaisant comme des obstacles à de possibles victoires écologistes, caricaturées par LR en périls rouges, LREM a fait une «faute politique» selon Nicolas Hulot dans Libération, Daniel Cohn-Bendit étrillant quant à lui la «folie anti-écolo» du parti d’Emmanuel Macron, «inutile et contre-productive». C’est notamment le cas à Strasbourg, Toulouse, Lyon, Bordeaux ou Tours. Sur la défensive, le patron de LREM, Stanislas Guérini, lui-même englué dans la bataille de Paris, a tenté de dénoncer en retour des «fronts anti-LREM». Il a surtout dénoncé ces candidats de gauche qui ont refusé toute discussion, comme si trois ans de macronisme au pouvoir ne faisaient pas de LREM le principal parti de la droite et du centre. Ce sont d’ailleurs les ministres transfuges de la droite et les maires sortants LR soutenus par LREM qui ont un peu sauvé en façade le résultat de la majorité présidentielle au premier tour. A Tourcoing, le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin, a ainsi été réélu dès le 15 mars, tout comme Franck Riester (Culture) à Coulommiers. La liste du ministre des Collectivités territoriales, Sébastien Lecornu (qui figurait en troisième position), l’a également emporté en un tour à Vernon (Eure), tandis qu’à Angers, le maire sortant LR, Christophe Béchu, n’a lui non plus pas eu besoin de deuxième tour.

«Virage républicain»

S’il doit clarifier dans les jours et les semaines qui viennent la feuille de route de la fin de son quinquennat, avec un remaniement et un grand discours cadre, sans qu’on sache quel acte va précéder l’autre, les signaux envoyés par le pouvoir penchent clairement à droite. Point de virage ou d’inflexion à l’horizon alors que la réforme de l’assurance chômage n’est pas remise sur la table et que celle des retraites, suspendue par le Covid-19, semble bien partie pour faire son retour, probablement pas dans son intégralité. Pour mesurer la détermination du chef de l’Etat à tracer en même temps un chemin plus vert, il sera intéressant de voir ce qu’Emmanuel Macron, qui doit répondre lundi matin aux 150 de la Convention citoyenne sur le climat, va faire de leurs propositions. Celles-ci ont illico fait l’objet d’un tir de barrage d’une bonne part de la classe politique, droite en tête, et d’un travail de sape de la part de bien des lobbys. Ce qui semble en revanche acquis, c’est le «virage républicain», tendance «républicaniste» selon le sociologue Michel Wieviorka, que revendique l’Elysée, plaçant le régalien et les questions identitaires bien avant les questions sociales ou environnementales. La gestion par le sommet de l’Etat des revendications concernant la lutte contre le racisme et les violences policières en témoignent d’ailleurs, en droite ligne avec sa posture de «parti de l’ordre» face aux mobilisations des gilets jaunes.

Sur tous ces sujets, ce n’est pas faire offense au pouvoir que de constater qu’il est bien plus proche de LR que du PS, si tant est qu’il faille poser le débat ainsi. Il n’y a en tout cas aucune volonté de dépassement, alors que la droitisation constante de l’assise électorale d’Emmanuel Macron est un enseignement majeur de ses trois premières années de mandat. Ce contexte est ainsi plutôt porteur pour Edouard Philippe, ce Premier ministre qui a quitté LR mais sans jamais rejoindre LREM. Dopé dans les sondages pour sa gestion de la crise du Covid-19, une embellie dont le chef de l’Etat est loin de profiter, le locataire de Matignon est plus que jamais une «personnalité indispensable», souligne Jérôme Fourquet (Ifop) dans le Figaro. Il doit ce statut, qui le protège autant qu’il le fragilise dans une VRépublique que Macron pratique à l’ancienne, à «sa capacité à parler à l’électorat de droite tout en étant grandement apprécié par l’électorat macroniste et sa proximité perçue avec les préoccupations d’une bonne partie des Français». S’il devait chuter au Havre ce dimanche soir, «l’indispensable» Edouard Philippe le serait-il toujours ? Mais qui porte qui dans le couple exécutif ? Nul doute qu’Emmanuel Macron se posera cette question pour évaluer le rapport risque gain d’une séparation.
Jonathan Bouchet-Petersen

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