Municipales 2020 à Marseille : on vous résume les négociations en vue du “troisième tour” en sept actes – franceinfo

L’identité du nouveau maire de Marseille n’a jamais été aussi incertaine, malgré la victoire de la coalition de gauche menée par Michèle Rubirola au deuxième tour, dimanche 28 juin.

C’est une semaine surréaliste qui vient de s’écouler à Marseille, seule ville française de plus de 100 000 habitants à ne pas connaître le nom de son maire, près d’une semaine après le second tour des élections municipales. Si la gauche est arrivée en tête du scrutin, dimanche 28 juin, ses 42 élus ne lui suffisent pas à assurer le siège de maire à sa candidate, Michèle Rubirola. 

En plus de la cheffe de file du Printemps marseillais, trois candidats se présentent, samedi 4 juillet, à la succession de Jean-Claude Gaudin (LR) : deux candidats LR, Guy Teissier et son rival Lionel Royer-Perreaut, et le candidat du Rassemblement national Stéphane Ravier. Avant la tenue du premier conseil municipal, tous les scénarios semblent encore possibles. On vous résume, en sept actes, la folle semaine de négociations et de déchirements qui doit aboutir à l’élection du nouvel édile phocéen.

Acte 1. Pas de majorité absolue au soir du second tour

Pour la gauche victorieuse, c’est un choc, au soir du second tour des élections municipales, dimanche 28 juin. Michèle Rubirola, la candidate du Printemps marseillais, large alliance de partis de gauche et d’écologistes, a bel et bien remporté 39,9% des suffrages et quatre des huit secteurs de la ville. Mais elle n’obtient que 42 élus sur les 101 que compte le conseil municipal. Pas de majorité absolue donc pour assurer à la candidate le fauteuil de maire de Marseille.

A droite, la tête de liste Les Républicains arrivée deuxième, Martine Vassal (29,8% et 29 sièges au conseil municipal), ne perd donc pas espoir : “Ce soir, je n’ai pas perdu. Ce soir, il n’y a pas de majorité à Marseille. Ce soir, il n’y a pas de maire de Marseille”. Cette déclaration dissimule pourtant mal la situation de grande fragilité dans laquelle se trouve alors la candidate. Le 4e secteur de Marseille, bastion réputé imprenable de la droite et terre d’élection de l’ancien maire Jean-Claude Gaudin, lui a préféré Olivia Fortin, novice en politique et membre du Printemps marseillais. Un désaveu.

Les regards se tournent alors vers Samia Ghali, l’autre force de gauche de ces élections marseillaises, et ses huit sièges au conseil municipal. L’ex-socialiste, victorieuse dans le 8e secteur, a remporté huit sièges de conseillers municipaux. Dimanche soir, la sénatrice reste pourtant muette, la faiseuse de reine se fait attendre.

Acte 2. La gauche fait un appel du pied à Samia Ghali

Dans la nuit de dimanche à lundi, Samia Ghali publie un tweet dans lequel elle se réjouit du fait que Marseille ne puisse plus “se faire sans les quartiers nord” dont elle est la représentante, mais ne donne aucune indication sur ses intentions. 

Les socialistes et écologistes marseillais semblent pourtant convaincus : Samia Ghali est de gauche, elle leur apportera son soutien. Lundi 29 juin, les partisans de Michèle Rubirola et du Printemps marseillais lancent l’offensive. “Qui peut croire que Samia Ghali va offrir sur le tapis vert une victoire à la droite qu’elle combat depuis 25 ans ?”, lance notamment Benoît Payan sur franceinfo, élu maire du 2e secteur de Marseille (2e et 3e arrondissements) sous la bannière du Printemps marseillais. 

En milieu de semaine, Michèle Rubirola appelle officiellement Samia Ghali et ses colistiers à la rejoindre. “Je souhaite qu’ils travaillent avec nous […] en partageant avec le Printemps marseillais un projet qui assure un rééquilibrage de Marseille et de ses politiques publiques dans tous les secteurs”, écrit-elle mercredi dans un communiqué. Renforçant encore un peu la pression qui pèse sur l’élue, Michèle Rubirola l’exhorte à ne pas rajouter une “crise démocratique à la crise sociale, environnementale et sanitaire que connaît Marseille”.

D’autant que, même avec les huit voix de Samia Ghali, il en manquerait encore une à Michèle Rubirola pour obtenir la majorité absolue. A moins de récupérer le vote de Lisette Narducci, ex-Radicale de gauche passée dans le camp Gaudin durant les municipales 2014 et aujourd’hui élue avec le divers droite Bruno Gilles…

Acte 3. Deux nouvelles candidatures chez Les Républicains

Du côté des Républicains, la tête de liste Martine Vassal, ne tarde pas à être vivement contestée. En coulisses, on commence à évoquer la nécessité d’une “candidature apaisée”, pour reprendre les mots du candidat dissident LR Bruno Gilles (3 sièges au conseil municipal). Comprendre : une autre candidature que celle de Martine Vassal.

Mardi, le député LR Guy Teissier, issu des rangs de la droite dure, s’affiche en “recours” éventuel, mettant en avant son expérience et ses “succès électoraux”. Un message qui porte ses fruits puisque jeudi, Martine Vassal annonce qu’elle se retire au profit de ce dernier. Derrière cette décision, Les Républicains cherchent à rallier le vote du dissident Bruno Gilles. Autre élément à noter : en cas d’égalité au 3e tour du vote pour le poste de maire, c’est le doyen qui l’emporte. Une règle qui favoriserait Guy Teissier (75 ans), en cas de duel face à Michèle Rubirola (63 ans).

La personnalité du nouveau candidat présente également l’avantage de plaire au Rassemblement national, qui compte 9 élus, et à leur candidat au poste de maire, Stéphanie Ravier, arrivé troisième au second tour (19,45% et 9 sièges au conseil municipal). Interrogé jeudi par l’AFP sur la position qu’il adopterait en cas de victoire grâce aux élus RN, Guy Teissier esquive : “Ce n’est pas écrit sur les bulletins”, déclare-t-il, laconique.

Mais alors que Les Républicains tentent de se rassembler derrière leur nouveau champion, deuxième coup de tonnerre : Lionel Royer-Perreaut, qui a remporté les 9e et 10e arrondissements, décide à son tour de candidater. “Je sais qu’il y a des ententes en cours avec le Front national [Rassemblement national, en réalité] et je ne peux pas m’inscrire dans une stratégie d’alliance avec le Front national”, accuse-t-il dans une vidéo postée sur Facebook jeudi.

Acte 4. Le Rassemblement national propose un “pacte marseillais” aux Républicains

Jeudi soir, le candidat RN à la mairie, Stéphane Ravier, s’empare de la candidature de Guy Teissier et propose dans un communiqué un “pacte marseillais nécessaire pour que l’extrême gauche la plus sectaire ne s’abatte pas sur notre ville”. Chez Les Républicains, cette déclaration produit l’effet inverse et conduit plusieurs cadres à prendre position contre toute idée d’alliance avec le parti de Marine Le Pen. Au premier rang, Martine Vassal dénonce Stéphane Ravier “dont le fonds de commerce est d’exacerber la haine”.

Sur Twitter, Renaud Muselier, président LR de la région Provence-Alpes Côte d’Azur, enfonce le clou : “En démocratie, pour Marseille, toutes les discussions sont souhaitables en vue du rassemblement pour un projet d’avenir. Toutes, sauf une : négocier avec le RN !”

L’actuel président des Républicains lui-même, Christian Jacob, refuse catégoriquement et publiquement toute alliance de ce type à Marseille.

Vendredi sur franceinfo, Guy Teissier clarifie sa position. Critiquant la candidature dissidente de son rival, Lionel Royer-Perreaut, il explique que ce dernier à “tort de s’en faire” quant à la possibilité d’une alliance avec le Rassemblement national. “C’est ce que j’appelle une boule puante. C’est un effet. C’est une déclaration sans aucun fondement”, assure-t-il. 

Acte 5. Samia Ghali fait un pas en direction de Michèle Rubirola

Vendredi, Samia Ghali sort enfin de son silence. Pour compter sur son soutien, Michèle Rubirola devra lui offrir le poste de première adjointe. “Cette demande me paraît légitime. […] Surtout parce que la volonté du rééquilibrage de notre ville et la prise en compte des quartiers populaires ne peuvent plus être de simples mots”, explique la sénatrice dans un communiqué transmis à l’AFP. 

Une demande accueillie très froidement par le Printemps marseillais. Michèle Rubirola annonce avoir rencontré Samia Ghali mais se refuse à accéder à sa demande. “Je ne serai l’otage d’aucun chantage, je réfute ces pratiques bien éloignées des enjeux et j’invite Samia Ghali à faire de même”, balaie la candidate vendredi après-midi, pointant du doigt les ambitions personnelles de la sénatrice. 

Acte 6. Samia Ghali reçoit le soutien d’une dissidente LR et refuse le sien à la gauche

Les discussions vont toujours bon train, vendredi 3 juillet au soir. Et à Marseille, toutes les hyptohèses étant possibles, un nouveau rebondissement se produit en début de soirée. Lisette Narducci, ex-Radicale de gauche ralliée en 2014 à Jean-Claude Gaudin et élue en 2020 sur les listes du dissident LR Bruno Gilles, fait part de son ralliement à… Samia Ghali. 

“Nous avons aujourd’hui une chance historique d’unifier le nord, le centre et le sud de Marseille pour qu’elle devienne enfin une et indivisible”, tweete la maire des 2e et 3e arrondissements qui estime que les deux femmes “partagent depuis des années les mêmes valeurs” et sont “confrontées aux mêmes difficultés sur leurs territoires respectifs”

Un ralliement reçu avec enthousiasme par la sénatrice de Marseille. “Ensemble, nous allons contribuer à rendre notre ville et nos quartiers plus justes et plus égalitaires”, tweete Samia Ghali en réponse. Mais cette alliance pèsera-t-elle au final dans la désignation du maire ? Difficile de faire un pronostic, ce retour vers la gauche de Lisette Narducci brouille encore un peu plus les cartes mais renforce le rôle clé de Samia Ghali dans l’élection. 

Cette dernière a revendiqué sa liberté de vote samedi au conseil municipal après le “refus incompréhensible” de Michèle Rubirola, la candidate de l’union de la gauche, d’accepter sa demande d’être première adjointe. Dans un communiqué posté sur Twitter, Samia Ghali dénonce “un mépris insupportable à l’égard des quartiers nord et populaires de notre ville”.

Acte 7. Le dénouement dans l’urne ou devant un tribunal ? 

Le dénouement de cette semaine rocambolesque se joue samedi 4 juillet, lors du vote à bulletin secret pendant la première session du conseil municipal. Et tous les scénarios restent envisageables : une victoire du Printemps marseillais ou une victoire arrachée par les Républicains, qu’ils soient épaulés par le Rassemblement national et d’autres conseillers municipaux dissidents, ou qu’ils l’emportent à “la prime au doyen” en cas d’égalité…

Mais ce vote pourrait ne pas signer la fin de la saga municipale marseillaise. Trois candidats ont déposé vendredi des recours au tribunal administratif dénonçant des irrégularités et des fraudes dans deux secteurs remportés par les Républicains, indique vendredi 3 juillet France 3 Provence Alpes Côte d’Azur

Le premier est signé Stéphane Ravier, du RN. En cause, des soupçons de fraude éveillés par “l’analyse des signatures dans les cahiers d’émargement” qui aurait révélé “près de 500 paraphes différents entre les deux tours pour les mêmes électeurs” dans le 7e secteur (13e et 14e arrondissements), indique le RN dans un communiqué. Le parti évoque également “900 bulletins nuls” qui auraient été “comptabilisés le 28 juin, contre un peu plus de 200 dans chacun des autres secteurs de Marseille”.

Les deux autres portent sur l’élection dans le 6e secteur (11e et 12e arrondissements). Yannick Ohanessian, candidat du Printemps marseillais devancé de 352 voix dimanche par le maire LR sortant Julien Ravier, a expliqué qu’il contestait, avec cinq de ses colistiers, le résultat du second tour, “compte tenu du climat délétère incompatible avec l’ordre public, […] de la transgression systématique aux nombreuses règles de fond et de formeJulien Ravier est au cœur d’une enquête du parquet de Marseille, ouverte mi-juin, pour des soupçons de fraude aux procurations et de “faux et usages de faux”, révélés par France 2. Une affaire pour laquelle Pascal Chamassian, candidat LREM, a également déposé un recours. 

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