Mort de Michel Piccoli, acteur de légende du cinéma français – Le Parisien

Il s’amusait à dire qu’il avait conclu un « pacte avec Dieu » : celui de « vivre la moitié de l’éternité ». Mais Michel Piccoli ne croyait pas en Dieu et, si celui-ci existe, il a rompu ce pacte. L’acteur français est décédé à l’âge de 94 ans, laissant derrière lui 176 longs-métrages, 49 pièces de théâtre et 33 courts-métrages. « Michel Piccoli s’est éteint le 12 mai dans les bras de sa femme Ludivine et de ses jeunes enfants Inord et Missia, des suites d’un accident cérébral », a sobrement indiqué sa famille par voie de communiqué ce lundi 18 mai.

Michel Piccoli, c’est sans doute la carrière la plus impressionnante du cinéma hexagonal, lui qui a prêté sa silhouette majestueuse, ses sourcils broussailleux, son large front et sa voix envoûtante aux films de Jean-Luc Godard, Raoul Ruiz, Nanni Moretti, Jean-Pierre Melville, Alain Resnais, Jean Renoir, Luis Buñuel, Leos Carax, Claude Sautet, Jacques Demy et même Alfred Hitchcock (dans « L’Etau », tourné en anglais en 1969).

Homme cultivé, fin et plein d’ironie, celui qui a toujours été athée avait livré son dernier grand rôle dans une soutane papale. C’était en 2011 avec « Habemus papam » de Nanni Moretti, où il incarnait un pape fraîchement élu et torturé par la peur de ne pas être à la hauteur. Magistral, le comédien prêtait sa gravité et sa drôlerie à ce prélat déboussolé. Lors de la présentation du film au Festival de Cannes, Michel Piccoli avait raconté à notre journal sa délectation lorsque Moretti lui avait fait essayer son costume immaculé. « Je suis comme les enfants et tous les enfants se déguisent », souriait-il, alors âgé de… 85 ans.

« J’ai gardé le cœur amateur et découvreur »

Quelques années plus tôt, en 2006, ce fils de Parisiens bourgeois et musiciens (son père était violoniste, sa mère pianiste) confiait d’ailleurs sur France Culture : « Je suis un très grand professionnel, mais j’ai gardé le cœur amateur et découvreur ». Curieux insatiable, Michel Piccoli entendait exercer son métier de manière « extravagante ». L’adjectif avait d’ailleurs inspiré le titre du documentaire « L’Extravagant Monsieur Piccoli » que lui avait consacré Yves Jeuland en 2015. Pendant soixante-dix ans, le comédien a interprété des personnages souvent normaux en apparence, mais complexes, ambigus, voire décadents. Figure très populaire, il a enchaîné les films d’auteur – il tournait jusqu’à six longs-métrages par an – sans les conseils d’aucun agent, guidé par son seul plaisir et par ses amitiés.

Entamée au théâtre à l’âge de 20 ans en 1945 après une formation au cours Simon, la carrière de Piccoli ne décolle qu’en 1962. Le comédien est alors âgé de 37 ans quand sort « Le Doulos » de Jean-Pierre Melville, dans lequel il se fait remarquer en jouant un truand face à Jean-Paul Belmondo et Serge Reggiani. « C’est la première fois que les critiques ont cité mon nom », déclarera plus tard Michel Piccoli à L’Express en 2000. Un an plus tard sort « Le Mépris » de Jean-Luc Godard, avec cette scène devenue mythique dans laquelle, allongée nue sur un lit, Brigitte Bardot lui demande : « Et mes chevilles, tu les aimes ?… Et mes cuisses, tu les aimes ?…. Tu les trouves jolies, mes fesses ? », sur un thème musical mélancolique devenu célèbre au point d’être repris par Martin Scorsese dans « Casino » trente-deux ans plus tard.

VIDÉO. Bande-annonce du film « Le Mépris »

Difficile de percer « l’énigme » Piccoli

Comme il a eu un « coup de foudre » pour Godard, qu’il retrouvera en 1981 dans « Passion », Piccoli nouera des liens de fidélité avec d’autres réalisateurs. Il deviendra ainsi le comédien fétiche de Luis Buñuel, avec lequel il a tourné sept films (dont « Journal d’une femme de chambre » et « Belle de jour »), de Marco Ferreri (sept longs-métrages également, dont « La Grande bouffe »), de Claude Sautet (cinq films, dont « Les Choses de la vie » ou « Vincent, François, Paul… et les autres ») ou même de Claude Chabrol (trois films). « J’ai eu des rapports d’amitié profondément et intimement passionnels avec des hommes », commentera plus tard celui qui était aussi très proche des acteurs Ugo Tognazzi ou Marcello Mastroianni.

Dans ses interviews, Piccoli se livrait peu, répondant aux questions intimes par d’autres questions ou par des pirouettes. Son amie et ancienne voisine de la rue de Verneuil à Paris Jane Birkin confiera un jour ne s’être jamais « aventurée au-delà de son salon ». Même Juliette Gréco, qui fut sa deuxième épouse après l’actrice Eléonore Hirt et avant la scénariste Ludivine Clerc, avouera qu’elle n’a jamais réussi à percer « l’énigme » Piccoli. « J’aime le secret, le doute, assurait ce grand discret. J’aime fouiller les autres. Je n’aime pas dire complètement ce que je pense », concédait-il, encore à L’Express en 2000.

Une vocation née à l’âge de 9 ans

Père de trois enfants (dont une fille avec laquelle il était fâché et deux enfants adoptés d’origine polonaise), marié trois fois, Michel Piccoli avait dévoilé sur le tard une liaison avec Romy Schneider. Dans le livre « J’ai vécu dans mes rêves », coécrit en 2015 avec l’ancien patron du Festival de Cannes Gilles Jacob, le comédien révélera : « Elle et moi avons eu la faiblesse de nous laisser aller à des gestes pas toujours honnêtes, mais cela n’a jamais détruit, comme on dit, l’amitié que l’on avait l’un pour l’autre ».

Dans cet ouvrage passionnant, Piccoli racontait aussi comment était née sa vocation de comédien, à l’âge de 9 ans. C’est en jouant sur scène un conte d’Andersen que ce gamin taiseux avait découvert le double « émerveillement » d’être écouté des adultes et de raconter une histoire qui n’était pas la sienne. L’acteur se souvenait alors de cette enfance entre un père souvent absent et une mère distante, qui l’ont conçu « par hasard et par compensation » après avoir perdu un fils de 3 ans. « Pendant toute mon enfance, resté fils unique, il y avait donc ce fantôme avec moi et j’ai quelquefois eu l’impression que ma mère, qui parlait peu, ne se manifestait que pour évoquer ce frère mort », écrivait-il alors.

Ces dernières années, l’acteur regrettait que sa santé ne l’empêche de travailler. Il évoquait sa « mémoire trouée » et les assurances qui ne voulaient plus le couvrir… Il y a quatre ans, interrogé, dans le documentaire « L’Extravagant Monsieur Piccoli » d’Yves Jeuland, sur ce qu’il aimerait qu’on retienne de lui, il avait très humblement répondu : « Michel Piccoli a aimé son métier, il l’a servi de son mieux ».

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