Montagnes, érosion des côtes, vignes… À quoi ressemblera la France du réchauffement climatique ? – Ouest-France

La France suffoque, en cette mi-juin 2022, alors qu’une canicule s’abat sur le pays. Et le rythme de ces épisodes de températures extrêmes va aller crescendo ces prochaines années, selon les experts, à mesure que le réchauffement climatique va s’intensifier. Ainsi, les épisodes caniculaires devraient doubler dans l’Hexagone d’ici 2050.

Selon les experts du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), qui proposent différents scénarios, d’ici la fin du siècle, les températures pourraient monter de 2 à près de 4 °C, selon les modélisations. Météo France a utilisé en 2020 les données du groupement d’experts pour créer le rapport Drias, qui offre des projections climatiques pour la métropole. Notre service data en a tiré des projections de températures à l’horizon de 2100, en fonction de différents scénarios :

Et cette hausse inéluctable devrait avoir d’autres conséquences que les vagues de chaleur précoces et intenses dans l’Hexagone. Elle devrait peser sur nos montagnes, nos côtes ou encore nos vignes. À quoi pourrait ressembler la France, dans les prochaines décennies, en 2050, voire en 2100 ? Voici quelques éléments de projection.

Des glaciers en voie de disparition

En 2100, aura-t-on encore des glaciers ? Ludovic Ravanel, géomorphologue du CNRS au laboratoire Environnements, dynamiques et territoires de la montagne (EDYTEM, Savoie), détaille pour Ouest-France les projections dans l’Hexagone : Les Pyrénées sont les secteurs qui vont perdre leurs glaciers en premier. Mais même dans les Alpes, on sait quand même que l’essentiel des glaciers du massif du Mont-Blanc est remis en question d’ici la fin du siècle.

Ainsi, en Suisse, une étude de l’université de Zürich a indiqué que 85 à 95 % des glaciers des Alpes auront très probablement disparu d’ici 2100 si les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas maîtrisées. Deux tiers des glaciers disparaîtraient même dans l’éventualité du respect de l’accord de Paris sur le climat, limitant la hausse des températures globales à 1,5 °C.

Dans les Alpes françaises, même de grands glaciers comme la Mer de Glace ou le glacier d’Argentière devraient être touchés, selon ces mêmes modélisations : D’ici la fin du siècle il ne restera plus rien du glacier d’Argentière et bien peu des glaciers qui alimentent aujourd’hui la Mer de Glace​, craint Ludovic Ravanel.

Alors, la végétalisation devrait gagner du terrain. À la place, on aura des lacs avec des volumes assez importants, qui constitueront une forme de richesse écologique et touristique​. Mais les stocks glaciaires auront eux presque disparu, avec tout un cortège de risques, comme la multiplication des glaciers qui se déstabilisent, ou des poches d’eau qui se vidangent brutalement​.

Certaines problématiques sont déjà visibles maintenant, comme celle des glaciers suspendus, qui ont pour particularité d’être à des températures négatives leur permettant de coller à la roche, même au niveau de parois raides. S’ils passent à 0 °C, la glace va glisser et s’écrouler. On s’attend à ce que de tels glaciers puissent se détacher, touchant les alpinistes voire même les vallées à travers des avalanches de glace. Et si ça se produit en plein hiver, cela pourrait déclencher des avalanches de neige.

Des stations de ski sans neige

Et les stations de ski ? Si, en ce qui concerne la neige, il y a une variabilité forte en fonction des années, et que l’on peut encore assister à des années bien enneigées, sur les stations de basse et moyenne altitude, on va vers des périodes d’enneigement moins long avec une moindre épaisseur de neige​, note Ludovic Ravanel. Un certain nombre de stations sont déjà très vulnérables.

Les stations de basse altitude, situées au-dessous de 1 900 m d’altitude, devraient être les plus touchées par des difficultés à maintenir leur neige. Une étude publiée sur le site spécialisé Skipass montre que, même dans le scénario le plus optimiste, qui envisage un réchauffement de 0,9 à 2,3 °C d’ici à 2100, de nombreuses stations de ski disparaîtraient dans les Alpes et les Pyrénées d’ici à la fin du siècle.

Météo France s’était également penché sur la question, en février 2020, en se basant sur les modélisations du GIEC. Dans le pire de ses scénarios, le « RCP 8,5 », les stations des Alpes, des Pyrénées et de l’Est verraient de très lourds effets avec une très forte diminution de la neige. Un certain nombre de stations de ski seront quasiment impossibles à exploiter à cause de la faible quantité d’enneigement en moyenne montagne​, expliquait à Ouest-France Patrick Josse, directeur de la climatologie et des services climatiques de Météo France.

Dans un scénario intermédiaire (RCP 4,5), dans lequel on limiterait le réchauffement climatique entre 1,6 et 2,7 °C au cours du siècle, la baisse de l’enneigement pourrait être gérée, notait le spécialiste.

Des vignes en Bretagne et dans les Hauts-de-France ?

À l’horizon 2050, le changement climatique aura modifié à la fois les conditions de production des vins, leurs caractéristiques organoleptiques [leur goût ou leur odeur par exemple] et leurs marchés​, prévenait l’Institut Français de la Vigne et du Vin, dans une note publiée en décembre 2021.

Le réchauffement climatique en France amène une modification du cycle végétatif de la vigne et une modification des caractéristiques des vins. Le cycle de croissance de la vigne est plus court avec une reprise de la végétation (débourrement) plus précoce au printemps et des vendanges également plus précoces en été​, complète Hervé Quénol, directeur de recherches au CNRS, expert « environnement viticole et évolution climatique » ​de l’Organisation Internationale de la Vigne et du Vin (OIV). Les principales conséquences sont une modification des caractéristiques des vins avec des niveaux en sucre et en alcool plus importants. Cela aura également un impact sur les cépages. Il faudra probablement planter des cépages en adéquation avec l’évolution du climat.

Que changera concrètement le réchauffement climatique ? « Avec une hausse globale de +1,5 °C, le vigneron pourra s’adapter via ses pratiques culturales (travail du sol, notamment) et en cave (le travail de l’œnologue). Avec une hausse de 2 à 5 °C, l’adaptation passera par des modifications de cépages, des porte-greffe [des plants de vigne sélectionnés pour être résistants à des menaces, comme les insectes comme le phylloxéra ou, dans ce cas, le changement climatique], etc. »​, détaille pour Ouest-France Hervé Quénol.

Mais le réchauffement climatique se manifeste aussi en France par des épisodes météorologiques violents, avec notamment des épisodes de fortes chaleurs et une évolution des précipitations avec une baisse dans la partie sud de la France​, continue le chercheur. « Cela a notamment un impact, avec une augmentation des sécheresses. Le manque d’eau aura probablement des conséquences sur la viticulture sachant qu’aujourd’hui, l’irrigation n’est pas autorisée, hormis quelques dérogations. » De plus, « l’augmentation des extrêmes climatiques comme le gel printanier et les vagues de chaleur pose de nombreuses questions pour les viticulteurs, elle peut avoir un impact pour la profession. Les fortes gelées printanières de 2021 et 2022 ont été catastrophiques dans certaines régions viticoles. »

Un viticulteur utilisant des bougies pour tenter de parer les effets du gel sur ses vignes | FRANCK DUBRAY / ARCHIVE OUEST-FRANCE

Enfin, avec une hausse des températures, certaines régions françaises, qui n’avaient pas de vignes dans leur paysage, pourraient-elles devenir propices à la production de vin ? Oui, cela est très clair. On voit très bien que des régions plus septentrionales commencent à se développer comme la Bretagne, les Hauts de France ou des pays comme l’Angleterre, la Belgique, les Pays-Bas, le Danemark ou encore la Suède. L’augmentation de la température fait que ces régions commencent à obtenir les conditions thermiques permettant une maturité des raisins suffisante pour un vin de qualité.

Même si le climat n’est pas le seul à jouer un rôle dans cet élargissement des zones viticoles : La réglementation européenne concernant l’autorisation de droits de plantation favorise cet essor pour les nouvelles régions viticoles​, ajoute Hervé Quénol.

Des villes côtières vulnérables face à la montée des eaux

Nos villes côtières seront-elles sous l’eau ? La montée du niveau de la mer, sous l’effet du réchauffement climatique, est inéluctable​, estime Jean Jouzel, climatologue et ancien vice-président du conseil scientifique du GIEC. Et les côtes françaises ne sont pas épargnées. Nous sommes sur un scénario qui nous amène vers une hausse de 3 °C de la température globale au mieux d’ici la fin du siècle. Mais même dans le cas d’un climat limité à 1,5 °C, on est parti pour prendre 20 cm supplémentaires d’ici 2050, et 30, 40 cm supplémentaires d’ici la fin du siècle.

Première conséquence de cette hausse du niveau des eaux : L’érosion des plages et des côtes​. Et les villes côtières du pays sont et seront amenées à être vulnérables. S’il n’y aura pas de villes englouties par les eaux dans les prochaines décennies, les risques de submersion temporaire ​vont aller crescendo : Le chiffre qu’on évoque pour la France, dans la deuxième partie de ce siècle, c’est potentiellement plus d’un million d’habitants de régions côtières vulnérables à ces submersions ​ : Si une ville est submergée une fois tous les trois ans pendant 8 jours, ça pose problème pour l’habitat​, alerte le paléoclimatologue.

En avril 2022, le gouvernement français a publié une liste de 126 communes classées prioritaires ​face à l’érosion côtière. Les maires des villes concernées doivent réaliser des cartes du risque de recul du littoral à 30 ans et 100 ans, carte qui servira de base à de nouvelles règles d’aménagement du territoire, allant jusqu’à des interdictions de construire. Notre service data avait à l’époque réalisé une carte avec les villes concernées :

Selon les chiffres officiels, 864 communes sont plus particulièrement vulnérables aux submersions marines, phénomènes d’inondation temporaire des zones côtières par la mer, notamment lors des tempêtes, qui vont augmenter avec la hausse du niveau de la mer provoquée par le réchauffement climatique. Le Centre européen du risque d’inondation estime, lui, que de 2050 à la fin du siècle 400 000 Européens pourraient quitter leur logement​.

Incertitudes sur les forêts

Nos forêts, qui recouvraient en 2019 17 millions d’hectares, soit 31 % de notre territoire, pourraient également muter sous l’effet du réchauffement climatique. L’aforce (Réseau français pour l’adaptation des forêts au changement climatique), le rappelle : La vie des végétaux est d’abord conditionnée par le climat​. Elle est donc potentiellement sensible au changement climatique, qui perturbe notamment le fonctionnement des arbres et des écosystèmes​.

Le réseau propose une projection à l’horizon 2050 sur différentes espèces d’arbres. Selon celles-ci, les chênes, première essence de notre forêt métropolitaine, verraient un tiers de l’aire qu’ils occupent actuellement devenir inhospitalière. Le retrait du hêtre, qui couvre 15 % de la surface forestière de production, pourrait concerner les deux tiers de son aire actuelle, avec un repli vers les massifs montagneux et le nord-est de la France​.

Le sapin pourrait subir un recul l’ordre de 60 %, sur ses marges méridionales et à basse ou moyenne altitude​. L’épicéa, lui, devrait se replier dans l’étage subalpin, sur seulement un dixième de la surface qu’il occupe actuellement​, dans l’hypothèse où de dévastatrices attaques de scolytes – des insectes qui attaquent les arbres – venant amplifier les effets directs du changement climatique​. Enfin, le pin maritime, majoritairement présent en Aquitaine et en région méditerranéenne, verrait son extension et sa productivité potentielle stimulées par le réchauffement dans la moitié nord de la France, tandis qu’elle se maintiendrait dans le Sud à moyen terme​.

Mais la prudence est de mise. Jonathan Lenoir, chargé de recherche CNRS, docteur Ingénieur en Sciences forestières, interrogé par Ouest-France, se montre réservé sur ces cartes de projection. Même si certains modèles sont intéressants, il faudra tenir compte de l’inertie dans le système climatique. On va pouvoir voir des changements en 2050 d’actions qu’on a faites aujourd’hui. Il faut tenir compte des effets à rebond ou à retard, c’est d’autant plus vrai que par définition, la forêt, c’est le temps long. ​Et d’expliciter : Le hêtre commence déjà à souffrir dans certaines zones, impacté par des sécheresses répétées. On a déjà des signaux assez forts sur des cas de dépérissements. Mais de là à dire que les espèces vont se déplacer rapidement, sans la main de l’homme… C’est compliqué.

Et plus qu’une hausse des températures globales, c’est la multiplication des événements extrêmes, liée au réchauffement climatique, tels que les vagues de chaleurs ou les épisodes de gel tardif, qui pourraient affecter les arbres français.

Montagnes, érosion des côtes, vignes… À quoi ressemblera la France du réchauffement climatique ?

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