#MeToo : cinq ans après, des victimes d’Harvey Weinstein reviennent sur ce que le mouvement a changé – franceinfo

En 2017, elles prenaient la parole pour briser l’omerta sur les agissements de Harvey Weinstein. Caitlin Dulany, Katherine Kendall, Liza Campbell, Dominique Huett et Louisette Geiss font partie de la centaine de femmes qui ont accusé le producteur de cinéma de harcèlement sexuel, d’agressions sexuelles et de viols. Actrices ou aspirantes actrices pour la plupart, ces “silence breakers” (“briseuses de silence”) comme les a appelées le magazine Time (lien en anglais), ont contribué, derrière le hashtag #MeToo, à un mouvement sans précédent de prise de parole publique des victimes de violences sexistes et sexuelles.

Cinq ans après, comment vont ces femmes, qui préfèrent le terme de “survivantes” à celui de “victimes” ? Où en est leur carrière ? Ont-elles observé des changements dans l’industrie du cinéma et plus globalement au sein de la société ? Alors qu’un deuxième procès d’Harvey Weinstein doit s’ouvrir le 10 octobre à Los Angeles, elles ont accepté de se confier à franceinfo.

Caitlin Dulany : “Le système judiciaire a encore un long chemin à parcourir”

Connue pour ses rôles dans plusieurs séries américaines, dont American Horror Stories, Caitlin Dulany a croisé la route de l’ancien magnat de Hollywood en 1996. Il a lui imposé un cunnilingus et s’est masturbé devant elle dans une chambre d’hôtel, au festival de Cannes.

L'actrice Caitlin Dulany lors d'une conférence de presse des "silence breakers", devant à l'hôtel de ville de Los Angeles (Californie), le 25 février 2020. (CHRIS PIZZELLO / AP / SIPA)

Son évolution personnelle et professionnelle. Vingt-six ans après cette agression, Caitlin Dulany se sent “guérie” grâce au mouvement #MeToo. “Je suis heureuse d’avoir été capable d’en parler après toutes ces années à garder ce secret avec des sentiments de honte et de peur”, témoigne-t-elle. Après avoir quitté New York pour Los Angeles afin de s’éloigner du milieu du cinéma, elle a réalisé la majorité de sa carrière dans des séries télévisées. Depuis 2017, elle s’est investie dans la lutte contre les violences faites aux femmes en créant l’organisation Voices in Action et en devenant membre du syndicat Screen Actors Guild. “J’ai travaillé dur en tant que citoyenne pour œuvrer à un changement”, résume-t-elle.

Les suites de #MeToo. A Hollywood, les actrices sont contractuellement mieux protégées grâce au travail de la Screen Actors Guild, explique Caitlin Dulany. “Mais j’entends encore des histoires où les limites sont franchies. L’industrie du divertissement a beaucoup changé, mais elle reste vulnérable face à un prédateur qui a du pouvoir et un carnet d’adresses.” La différence, souligne-t-elle, c’est que les victimes ont désormais des portes auxquelles frapper. Plus globalement, elle se félicite d’“un changement culturel aux Etats-Unis et dans le monde entier”. “Cela a permis à tout le monde de prendre conscience de l’omniprésence des agressions sexuelles.”

Le parcours judiciaire. Malgré la condamnation à 23 ans de prison d’Harvey Weinstein en mars 2020, Caitlin Dulany est inquiète de l’appel jugé recevable fin août par la plus haute juridiction de l’Etat de New York. En cause, l’audition de témoins extérieurs aux poursuites. “Si ce premier procès est annulé, ce ne serait pas un bon signal”, redoute-t-elle, rappelant que la condamnation pour agression sexuelle de l’acteur Bill Cosby a été annulée en juillet 2021 pour vice de procédure. L’actrice plaide aussi pour la fin des délais de prescription en matière de violences sexuelles. “Le système judiciaire a encore un long chemin à parcourir. Ce doit être la prochaine vague de changement.”

“Le parcours judiciaire des survivantes d’agressions sexuelles est encore à l’âge des ténèbres.”

Caitlin Dulany

à franceinfo

Katherine Kendall : “L’objectif n’est plus de survivre mais de vivre et de s’épanouir”

La comédienne a elle aussi joué dans de nombreuses séries américaines. Elle avait 23 ans quand Harvey Weinstein a tenté de l’agresser sexuellement dans son appartement, à New York, en 1993.

L'actrice Katherine Kendall devant le palais de justice de New York, le 27 janvier 2020. (ROBERT BUMSTED /AP / SIPA)

Son évolution personnelle et professionnelle. La comédienne a ressenti un “grand soulagement” après avoir témoigné. Elle s’est sentie enfin “soutenue”. Mais sa carrière a autant pâti de son agression que de sa prise de parole. “Harvey Weinstein blacklistait les actrices. S’il ne le faisait pas en disant ‘s’il vous plaît, n’engagez pas cette personne’, il le faisait en abîmant leur âme.” Lorsqu’elle prend la décision de parler, 24 ans plus tard, son manager la prévient : il y aura “moins d’auditions”. “Je suis résiliente, donc j’ai trouvé d’autres façons de survivre”, souffle-t-elle. “Aujourd’hui, l’objectif n’est plus de survivre mais de vivre et de s’épanouir.”

Les suites de #MeToo. Katherine Kendall est également membre du syndicat Screen Actors Guild, qui a notamment contribué à mettre en place des coordinateurs d’intimité sur les tournages. “Il est plus facile, dans la loge de maquillage, de confier son appréhension avant une scène, de dire ‘ce producteur ou ce réalisateur m’a mise très mal à l’aise’, illustre-t-elle. Malheureusement, j’entends encore des choses qui se passent mal.” Pour l’actrice, parler est seulement “le début du processus”.

“Nous ne pouvons pas nous endormir sur nos lauriers et penser ‘ok, nous avons fait notre part. C’est terminé’. Il va y avoir des retours en arrière. C’est une bataille permanente.”

Katherine Kendall

à franceinfo

Le parcours judiciaire. Katherine Kendall a intenté un procès au civil contre Harvey Weinstein, aux côtés de Caitlin Dulany, Louisette Geiss et de dizaines d’autres femmes. Un accord financier, d’un montant de 17 millions de dollars (17,3 millions d’euros) a mis fin à ces poursuites, malgré l’opposition de certaines actrices. “C’est un sujet compliqué, mais je crois en la réparation financière, assume Katherine Kendall. Les agressions coûtent de l’argent. Elles engendrent un traumatisme, une perte de temps dans une carrière, des frais de thérapie. Les victimes méritent de prendre soin d’elles et d’obtenir l’aide dont elles ont besoin.”

Liza Campbell : “Un exemple effrayant pour les hommes tentés d’utiliser leur pouvoir”

Cette autrice et artiste britannique, qui a travaillé comme lectrice de scénarios pour Miramax, s’est retrouvée enfermée à clé dans la suite d’Harvey Weinstein, en 1995, à Londres. Alors que ce dernier était en train de se déshabiller dans la salle de bains, elle est parvenue à s’enfuir.

Liza Campbell alors d'un vernissage à la Fitzrovia Gallery, le 26 octobre 2021, à Londres.  (DAVID M. BENETT / GETTY IMAGES EUROPE)

Son évolution personnelle et professionnelle. Liza Campbell ne se considère pas comme “une victime”, mais comme une “fugitive”. “J’ai réussi à m’enfuir parce que je suis écrivaine. Ma carrière et ma vie entières ne dépendaient pas” de ce rendez-vous avec le producteur de cinéma. “Peut-être que si j’avais été actrice, cela aurait été différent”, analyse-t-elle. En 2017, elle tombe de sa chaise en découvrant l’article du New York Times* sur les nombreuses autres femmes concernées. Elle propose son témoignage au Sunday Times : “Je voulais être une autre voix.”

“Harvey Weinstein était comme une énorme pierre. Et je n’étais qu’une toute petite main parmi celles des autres femmes pour le pousser de la falaise.”

Liza Campbell

à franceinfo

Les suites de #MeToo. Cinq ans après, l’artiste estime que les femmes ont “plus de capacité à verbaliser et appeler à l’aide”. Mais elles ont beau représenter “la moitié de la planète”, il y aura toujours “une ligne de démarcation” : “Nous savons qu’un homme peut nous tuer, c’est très profond dans notre cœur, il y aura toujours ce déséquilibre.” Liza Campbell considère pourtant que “le pendule” du mouvement #MeToo est parfois allé trop loin, confondant “maladresse” et “agression”. Pointant les dérives de la “cancel culture” (“culture de l’annulation”) et la mise au ban (rare dans l’industrie du cinéma) des personnes accusées de violences sexuelles et sexistes, Liza Campbell considère que nous “n’avons pas assez entendu les hommes. Nous avons besoin de leurs voix aussi”.

Le parcours judiciaire. Liza Campbell n’a pas porté plainte contre le producteur déchu, également inculpé au Royaume-Uni pour agressions sexuelles. Mais elle se tient prête à témoigner lors d’un futur procès, “car nous devons toutes nous lever et parler”. Le sort judiciaire d’Harvey Weinstein, qui risque de “finir ses jours en prison” est “un exemple effrayant pour les hommes qui sont tentés d’utiliser leur pouvoir pour agresser sexuellement les femmes”, juge-t-elle.

Dominique Huett : “Les changements que j’espérais ne sont pas advenus”

La jeune femme a été agressée sexuellement en 2010 par Harvey Weinstein dans un hôtel à Beverly Hills (Californie) alors qu’elle était aspirante actrice.

Dominique Huett s'adresse à la presse lors de la journée d'ouverture du procès de Harvey Weinstein au tribunal pénal de New York, le 6 janvier 2020. (RON ADAR / SOPA IMAGES / SIPA USA)

Son évolution personnelle et professionnelle. Promise à une belle carrière, cette femme originaire du Texas a dû tirer un trait sur ses ambitions après son agression. “Plus personne ne voulait de moi.” En 2017, elle estla première actrice inconnue à témoigner. Cela a permis de montrer qu’Harvey Weinstein a freiné les grandes stars, mais aussi les étoiles montantes.” Sa reconversion dans la mode, à New York, ne l’a pas fait renoncer au rêve de travailler dans l’industrie du cinéma. “Je ne vais pas célébrer les cinq ans de #MeToo, glisse-t-elle. Les changements que j’espérais ne sont pas advenus donc je ne suis pas heureuse.”

Les suites de #MeToo. Dominique Huett concède avoir eu vent de changements positifs à Hollywood. “Les hommes sont plus conscients de la façon dont les femmes ont été et sont maltraitées.” Mais elle regrette un manque “d’entraide” entre femmes. Et pointe l’organisation Time’s Up, mouvement fondé par des célébrités d’Hollywood après #MeToo. “Ils m’ont promis qu’ils allaient m’aider à entrer dans l’industrie du cinéma, mais ils n’ont jamais rien fait, lâche Dominique Huett. Ils ont juste protégé les gens qui avaient déjà une carrière, mais pas les briseuses de silence en dessous des radars.”

“Ce ne sera pas gagné tant que nous ne verrons pas des femmes comme nous devant ou derrière la caméra. Ce serait un beau symbole.”

Dominique Huett

à franceinfo

Le parcours judiciaire. Dominique Huett a contesté l’accord financier dans la procédure civile car elle souhaitait continuer à poursuivre la Weinstein Company, qu’elle juge complice du comportement d’Harvey Weinstein. Mais elle a fini par se rallier à la majorité. Elle aussi va suivre avec attention le procès à Los Angeles. “Ce sera intéressant car c’est le terrain de jeu de Hollywood.” La jeune femme se dit “prudente” sur l’éventualité d’une nouvelle condamnation d’Harvey Weinstein. Mais elle a “l’espoir que plus la lumière sera faite, plus le changement adviendra”, y compris sur le plan judiciaire.

Louisette Geiss : “Personne ne devrait se voir demander un acte sexuel pour faire son travail”

L’actrice et autrice, connue pour quelques rôles au cinéma (Juste Cause, Tomoko’s Kichen), a rencontré Harvey Weinstein au festival du film de Sundance, en 2008. Dans sa suite, il l’a forcée à le regarder se masturber.

Louisette Geiss lors d'une conférence de presse à Los Angeles (Californie) après le verdict de culpabilité dans le procès de Harvey Weinstein, le 25 février 2020. (RODIN ECKENROTH / GETTY IMAGES NORTH AMERICA)

Son évolution personnelle et professionnelle. “Aujourd’hui, je vais plutôt bien, confie Louisette Geiss. J’ai un travail et je ne suis pas harcelée quotidiennement.” En retrait du cinéma américain depuis une dizaine d’années, elle vient d’écrire et coproduire une comédie musicale, The Right Girl, sur les abus sexuels dans l’industrie du divertissement. “Il était impératif pour moi et pour les autres survivantes de changer notre regard sur ce qui nous est arrivé, explique-t-elle. Transformer cette expérience horrible en art a été extrêmement cathartique.”

Les suites de #MeToo. “J’ai l’impression que nous sommes à la page 30 d’un scénario de 130 pages”, métaphorise Louisette Geiss. Si elle a “choisi de quitter” le monde du cinéma, elle confirme que “beaucoup de [ses] collègues” lui ont fait part d’une amélioration depuis cinq ans. Mais “des femmes pensent encore que dire ‘non’ ne fera pas avancer leur carrière. Personne ne devrait se voir demander un acte sexuel pour faire son travail ou le garder”. L’artiste milite pour continuer à “licencier et pousser dehors” les prédateurs.

“La seule façon d’apporter un changement durable sur ce sujet est de miser sur l’éducation et de faire en sorte que la peur change de côté.”

Louisette Geiss

à franceinfo

Le parcours judiciaire. Louisette Geiss était la plaignante principale dans l’action collective au civil contre Harvey Weinstein. “J’ai travaillé pendant quatre ans et demi sur cette affaire et j’ai pu obtenir une compensation pour environ 55 femmes. Ce n’était certainement pas suffisant mais cela a créé un précédent montrant que les victimes ne reculeront pas.” Elle reste attentive à la suite des procédures. “Nous pouvons tous dire à quel point nous détestons ce qu’Harvey Weinstein a fait à des centaines de femmes. Mais le fait qu’il soit en prison reste la partie la plus importante du mouvement #MeToo.”

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