Marseille : « On défend notre bâtiment », des habitants ont mis en échec un réseau de trafiquants – 20 Minutes

Des fauteuils de camping ont fait depuis quelques jours leur apparition sous le perron du bâtiment H de la cité des Campanules, dans le 11e arrondissement de Marseille. Des mains aidantes ouvrent les portes du hall d’entrée. Mais, parmi elles, nul porteur de cagoules et de sacoches pleines de pochons minutieusement pesés. « Nous, on deale du café, du chocolat et des biscuits », en rirait presque Fatima, s’il ne s’agissait pas de son huitième jour « à camper » dans l’entrée de son immeuble pour empêcher que des trafiquants de drogue s’y installent. « Ils offrent la mort, nous, on offre la vie », poursuit celle qui, de midi à deux heures du matin, occupe le terrain avec une dizaine d’autres résidents.

Car voilà une semaine que les habitants de cet ensemble HLM plutôt tranquille du sud de Marseille repoussent les tentatives d’installation d’un réseau de vente de stupéfiants. « Ils sont arrivés le soir du 31 [décembre] », se souvient Suzanne, qui réside ici depuis 1997. « Moi, je viens de quartiers nord, j’habitais La Castellane, et j’en suis justement partie pour ça. Alors, on n’allait pas se laisser faire et permettre aux trafiquants de s’installer comme ça. » Le soir même, Fatima et Océane, rapidement rejointes par des voisins, décident de mener la garde. S’échangent quelques regards avec les dealers, repoussés un temps plus loin dans des recoins sombres de la cité.

Depuis, s’est créée une forme de solidarité et le perron s’est garni de soutiens. « Ça aide à tenir », explique Fatima, les traits tirés. Le collectif monté sur le tas a organisé une manifestation, dimanche, réunissant près de 200 personnes, sous le mot d’ordre « touche pas à ma cité ». « On défend notre bâtiment. Notre chance, c’est que la police ne nous a pas laissés tombés », soutient Fanny, une voisine installée ici depuis le milieu des années 1990. En ce lundi après-midi, la ronde des policiers est régulière. Deux voitures sérigraphiées, plus un équipage en civil sillonnent les ruelles entre la dizaine de résidences de cette cité bientôt cinquantenaire, qui a vu d’importants travaux de rénovation y être faits ces trois dernières années.

Selon la préfecture de police, quatre interpellations pour trafic ont été réalisées ces derniers jours dans le quartier. Des trafiquants qui viendraient de la cité voisine de Air-Bel, où la vente de stupéfiants y a pignon sur rue. Gênés par les travaux réhabilitation en cours « chez eux », ils auraient jeté leur dévolu sur les Campanules. « Je leur ai dit que c’était bête d’ouvrir un réseau ici », raconte un jeune apprenti mécanicien. Lui partage son temps entre le logement de sa mère, à la tour H, et celui de son père, qui habite Air-Bel. « Ils ont cru que Campanules, c’était de la merde et qu’ils allaient poser leur réseau facilement. Mais c’est que des vieux ici. C’était sûr. »

« On a gagné »

Face à la mobilisation des habitants et des pouvoirs publics, Erilia, le bailleur social s’est résolu à engager huit agents de sécurité présents 24 h/24. Ils resteront « le temps nécessaire ». Une annonce faite par le directeur général adjoint de cet office HLM, venu en personne, ce lundi, à 17 heures, sur le terre-plein central de la cité, détailler « son plan d’action » devant un peu plus de 150 personnes. Une nouvelle accueillie par des « bravos » et des « on a gagné » d’habitants se serrant dans les bras. Une joie rapidement suivie d’un brouhaha à l’annonce de travaux pour rendre opérationnelle les barrières des deux entrées de la cité. « On veut des portails », « faut clôturer ». « Si y’a des dealers, y’a une nourrice, vous allez l’expulser ? » Remontés, certains habitants confessent « des soupçons » sur certains résidents.

Peu avant 18 heures, alors que tous s’apprêtent à regagner leur domicile ou le hall d’immeuble du bâtiment H, Fatima, qui, avec Océane, a mené ce mouvement, reçoivent de chaleureuses félicitations. « Tout ce que j’ai fait, c’est m’asseoir avec une canette de coca ». Mais demain, Fatima ne s’assoira pas. Demain, elle dormira. « Jusqu’à midi au moins ! ». Et mercredi se tiendra un conseil de sécurité d’arrondissement extraordinaire réunissant représentants des habitants, préfecture de police et mairie de secteur.

Alors que la nuit tombe sur la cité, une quinzaine de résidents demeurent sous la lumière crue du luminaire du perron du bâtiment H pour une dernière veillée. Une veillée qui, ce soir du moins, a le goût d’une victoire de l’action collective jusqu’alors jamais arrivée à Marseille. « Imagine si toutes les cités faisaient comme nous », rêvasse Fatima. « Bon, il y aurait encore des petites choses, mais ça serait tellement bien ! ».

Leave a Reply

Discover more from Ultimatepocket

Subscribe now to keep reading and get access to the full archive.

Continue reading