Ma : rien ne reste impuni
Égocentrisme adolescent
Les réseaux sociaux sont peut-être utilisés par des adultes, mais certains sont surtout utilisés par des adolescents pour se mettre en scène, se valoriser et donner une certaine image d’eux. Partant de là, il est facile pour un adulte de les manipuler.
C’est exactement ce que fait Sue Ann avec Maggie et ses amis : de l’ingénierie sociale. Elle fait croire que le petit ami de Maggie préfère passer du temps avec elle plutôt qu’avec Maggie et évidemment, le piège fonctionne. L’ego de Maggie est piqué : elle voit son petit ami préférer être avec une adulte disgracieuse, qui a le double de son âge, plutôt qu’avec elle. Elle ne va pas marcher dans le piège, elle va courir comme Usain Bolt, se jeter dans la gueule du loup.
Dans un épisode de Medium (la série avec Patricia Arquette), la responsable d’une entreprise de matériel informatique expliquait que l’appareil incluant une fonctionnalité de chat vidéo devait cibler les adolescents. Les adultes ne veulent pas être vus en pyjama, démaquillé ou fumant une cigarette. Les adolescents sont dans le paraître et dans l’image. On peut toujours leur expliquer qu’il ne faut pas y passer trop de temps, cela ne fonctionne pas : leurs amis sont sur les réseaux sociaux, communiquent sur les réseaux sociaux. Ne pas y être quand on est au lycée, c’est comme vivre dans une grotte. L’emprise de Sue Ann sur Maggie est donc facilitée par une forme de dépendance numérique.
Sur les traces de Carrie
Quand vous regarderez Ma, vous serez frappé par les ressemblances avec Carrie et en fait, la question autour de ce film pourrait être « que serait devenue Carrie si elle était devenue adulte ? ». Pour autant, il ne s’agit ni d’un plagiat, ni d’un pastiche, ni d’un remake. Il faut plutôt y voir un hommage et un clin d’œil. Il est bien évident qu’un adulte ne devient pas ami avec des adolescents par altruisme et on passe les premières minutes à chercher les motivations de Sue Ann.
La révélation qui se fait progressivement permet d’inverser le rapport de force. De victime, Sue Ann devient le prédateur et c’est avec une certaine jubilation qu’on la regarde s’en prendre à ceux qui ont été ses bourreaux à une époque. De la même manière, il est assez plaisant de voir que les adolescents populaires sont devenus des adultes médiocres. On n’éprouve aucun remords à les regarder se faire mettre en pièce, bien au contraire. On a presque envie de dire merci.
L’un des enseignements de ce film est que tout finit par se payer un jour ou l’autre et que chaque action peut avoir des conséquences. Dans le film, en un sens, les bourreaux sont punis par là où ils ont péché. Mais, contrairement à Brian de Palma avec Carrie, l’ensemble reste sobre, réel, ordinaire. Personne ne s’attend à ce qu’une adolescente martyrisée par ses camarades de classe puisse mettre le feu par le simple pouvoir de sa pensée. Mais prenez cette même adolescente, faites-en une adulte et voyez à quel point la rancœur peut devenir un moteur très puissant à la violence.
Un casting parfait
Octavia Spencer a trop souvent été cantonnée aux seconds rôles et aux apparitions dans des séries télévisées à succès. C’est grâce à La couleur des sentiments qu’elle sort enfin de cette case et qu’elle décroche des rôles à la mesure de son talent. Dans Ma, elle est non seulement l’interprète principale, mais également la productrice exécutive. Elle nous montre ainsi les différents registres de son art, car elle est parfaitement crédible.
Le personnage qu’elle incarne a plusieurs facettes : c’est une victime, mais aussi un bourreau. Et cette dualité est mise en œuvre de façon fascinante. Les autres acteurs permettent aussi à Octavia Spencer de prendre toute la place. L’un des grands avantages du cinéma d’horreur est qu’il est souvent découvreur de talents. On ne compte plus les acteurs et surtout les actrices qui ont commencé avec le film d’horreur et qui ont ensuite explosé au box-office. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, faire peur ou jouer les victimes n’est pas si facile. Arriver à faire passer la terreur avec un simple regard, une gestuelle ou une phrase anodine demande certaines facultés.
Mais la révélation de ce film est Tanyell Waivers, qui interprète la fille de Sue Ann. Coincée dans un fauteuil roulant, elle est la seule véritable victime authentique du film alors que tous les autres ont quelque chose à se reprocher. La relation que la mère et la fille entretiennent tient à la fois à celle que pouvait avoir Carrie avec sa mère, mais n’est pas sans rappeler aussi celle de Paul Sheldon et Annie Wilkes dans Misery. En faisant des victimes — à l’exception de la fille — des personnes qui ont fait quelque chose de mal, Ma reprend les codes du cinéma d’horreur classique, à savoir que les victimes ne sont pas innocentes.
Ma est une bonne réalisation et une nouvelle réussite à épingler au tableau d’honneur de Blumhouse alors, laissez-vous tenter par cette dernière production.