L’OMS vacille après le gel des contributions américaines – Le Temps

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) est entrée dans une nouvelle zone de fortes turbulences après le gel des contributions américaines annoncé mardi par Donald Trump. Le président américain accuse l’OMS d’avoir «mal géré» la propagation du coronavirus et d’avoir «dissimulé» des informations avec la complicité de la Chine. Les Etats-Unis sont le premier bailleur de fonds de l’organisation basée à Genève, qui coordonne la réponse mondiale à la pandémie de Covid-19.

Le président américain situe le financement américain entre 400 et 500 millions de dollars par année, alors que le budget annuel de l’OMS se monte à environ 2,5 milliards de dollars. En comparaison, la Chine verse 40 millions de dollars, «voire moins», selon Donald Trump. Le président a promis aux contribuables américains une enquête sur l’utilisation de leurs impôts mais aussi pour comprendre pourquoi l’organisation est, selon lui, inféodée à Pékin.

«Pas le moment de la division»

«Ce n’est pas le moment de la division», a réagi mercredi le directeur de l’OMS, le docteur éthiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus, critiqué pour ses louanges appuyées à Pékin au début de la crise. «Car le virus exploitera nos failles.» La gestion de la crise par l’OMS sera examinée en «temps opportun», a-t-il promis.

Lire aussi: «Le docteur Tedros, capitaine d’un vaisseau fragile en pleine tempête: l’OMS»

L’OMS ne sait pas encore comment combler le trou provoqué par le gel des contributions américaines. Les cotisations obligatoires des Etats n’assurent que 20% du budget de l’OMS, le reste étant complété sur une base volontaire, y compris par des organisations philanthropiques, comme la Fondation Bill et Melinda Gates, second contributeur de l’OMS, lesquels ont regretté la décision de Donald Trump.

De même, les autres pays membres de l’OMS ont dénoncé de façon unanime un affaiblissement supplémentaire de l’organisation. Mais aucun d’entre eux ne s’approche de la part des Etats-Unis. Selon des chiffres datant de 2017, le second contributeur étatique de l’OMS était le Royaume-Uni, avec moins de la moitié du financement américain, suivi du Japon, de l’Allemagne et du Canada. L’OMS a lancé un appel de fonds spécial pour répondre à la crise du Covid-19. A ce jour, elle a récolté près de 150 millions de dollars, auprès du secteur privé, de célébrités comme Lady Gaga ou de particuliers. Mais cela sera bien insuffisant.

Car le président américain a mis sa menace à exécution, après un premier coup de semonce la semaine dernière. Dans sa nouvelle diatribe mardi contre l’organisation onusienne, il a aussi accusé l’OMS d’avoir déconseillé la suspension des voyages en provenance de Chine, lorsque cette dernière était l’épicentre de la pandémie.

Au contraire, Donald Trump a défendu sa décision de limiter les liaisons aériennes avec la Chine dès le 31 janvier, ce qui a sauvé «des milliers et des milliers» de vies, a-t-il vanté mardi. L’OMS était alors effectivement sceptique sur les restrictions de voyage, les jugeant inefficaces, voire contre-productives. Mais Donald Trump n’a pas toujours été si virulent à l’égard de la Chine. Le 24 janvier, le président louait encore les «efforts» et la «transparence» de la Chine pour contenir l’épidémie.

L’OMS, un bouc émissaire?

Le gel des contributions américaines à l’OMS intervient alors que les Etats-Unis ont annoncé leur pire bilan humain, avec 2200 morts du Covid-19 pour la seule journée de mardi. Le pays est devenu le principal foyer du coronavirus dans le monde, avec un demi-million de cas recensés. Donald Trump a longtemps minimisé la menace et, selon ses adversaires, il tente désormais de trouver avec l’OMS un bouc émissaire aux manquements de son administration.

En campagne pour sa réélection au mois de novembre, Donald Trump joue une partition familière contre le multilatéralisme et la coopération internationale. Sous la présidence Trump, Washington s’est déjà retiré des Accords de Paris, visant à réduire les émissions de gaz à effets de serre, ou du Conseil des droits de l’homme, autre organisation onusienne basée à Genève, accusée d’avoir un biais contre Israël. L’audit américain lancé contre l’OMS, en pleine pandémie, est un nouveau coup de tonnerre. Simon Petite


COMMENTAIRE

Affaiblir l’OMS aujourd’hui est irresponsable

L’Organisation mondiale de la santé a sa responsabilité dans la décision de l’administration Trump de suspendre son financement en s’étant montrée beaucoup trop conciliante envers Pékin. Mais prise en otage par la Chine, l’OMS paie le prix de sa faiblesse institutionnelle – dont Trump profite pour cacher sa gestion calamiteuse du Covid-19

La rivalité sino-américaine plonge l’Organisation mondiale de la santé dans la tourmente. La volonté de l’administration Trump de geler son financement de l’OMS pour sanctionner le caractère trop «sino-centrique» de l’agence onusienne est un énorme coup de semonce pour la Genève internationale et le multilatéralisme. Elle est surtout une très mauvaise nouvelle sur le front de la santé globale alors que la planète lutte contre une pandémie dévastatrice.

La Maison-Blanche envisage d’utiliser ses fonds différemment, à travers d’autres organisations ou de manière bilatérale. L’administration Trump et ses responsables politiques les plus anti-chinois dénoncent avec virulence le manque d’objectivité de l’OMS face à Pékin. Certains envisagent même de créer une organisation alternative à l’OMS.

Les conséquences du retrait américain

La menace est à prendre très au sérieux. Après son retrait dévastateur du multilatéralisme, l’administration américaine constate les dégâts. La Chine a accru considérablement son influence au détriment des Etats-Unis. A Washington, on craint comme la peste la volonté chinoise de réécrire les normes internationales. Mais les deux puissances jouent une partition différente: Pékin est dans le temps long tandis que Trump aspire à étouffer au plus vite, en accablant un bouc émissaire facile, le fiasco de son administration dans la gestion du Covid-19. Pour préserver ses chances de réélection en novembre.

L’OMS va faire face à de très graves difficultés si la décision de Trump devait se confirmer. Mais elle a sa part de responsabilité. Elle s’est montrée beaucoup trop conciliante face à la Chine dont les manquements (manque de transparence, nombre de morts sous-estimé, partage lent du génome, acceptation tardive d’une mission de l’OMS) deviennent de plus en plus évidents. Pris en otage, l’OMS et son directeur général, Tedros Adhanom Ghebreyesus, pourraient en payer le prix fort. Certains aimeraient revoir la poigne de l’ex-patronne de l’OMS Gro Harlem Brundtland, qui avait tancé les Chinois pour leur manque de transparence lors de l’épidémie de SRAS en 2003. Mais la Chine d’aujourd’hui est autrement plus puissante et l’OMS encore plus affaiblie.

Le moment choisi par les Etats-Unis pour s’attaquer à l’OMS est irresponsable. Nombre de pays en voie de développement craignent une déferlante de Covid-19 et, pour eux, l’OMS demeure une institution essentielle. Ce dont a besoin l’OMS, c’est d’une autocritique post-crise. Mais aussi, comme l’appelle l’Allemagne, d’un renforcement financier et structurel pour qu’elle puisse être à la hauteur des énormes attentes qu’elle suscite. Stéphane Bussard 

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