LIGNE ROUGE – “Boris Johnson, le manipulateur” – BFMTV.COM

Rebelle et pur produit de la haute société londonienne, excentrique et de ce fait Britannique jusqu’au bout des ongles, Premier ministre mais à la tête d’un gouvernement minoritaire, Boris Johnson est un homme de paradoxes. Et là où l’on trouve un “homme de paradoxes” plane toujours le risque d’une réduction en quelques clichés: Boris et sa blondeur ébouriffée, Boris à vélo, Boris le posh. Dans notre enquête diffusée ce lundi soir, dans le cadre de Ligne rouge, nos équipes ont cherché à les dépasser pour explorer l’histoire et la personnalité de celui qui est devenu le visage d’un Brexit si long à venir.

Et c’est peu dire que l’homme qui jusqu’ici savait toujours mettre les rieurs de son côté divise aujourd’hui. A sa gauche, et parfois même dans son propre camp tory, on dénonce, devant nos caméras: “Un charlatan, un tricheur et un menteur”, ou encore un homme “totalement indigne”. Mais au sein de ses sympathisants, on loue un “dernier espoir” de voir le vote du peuple britannique lors du référendum de 2016 enfin honoré, voire “l’homme le plus populaire dans le pays en ce moment”, destiné à le rester “s’il fait ce qu’il a dit”, glisse l’un de nos interlocuteurs. 

Comment de si lourdes responsabilités ont-elles pu échoir sur ses épaules? Pourquoi l’exubérant politique s’est-il changé en repoussoir pour une moitié de l’opinion, et en quasi-idole pour l’autre? C’est vers sa trajectoire et sa formation intellectuelle qu’il faut se tourner pour approcher de plus près l’actuel chef du gouvernement piloté depuis le 10, Downing Street.

Une famille hors du commun 

“Bo’Jo'”, comme le surnomme la presse, est né en 1964 au sein d’une famille où l’on croise des origines allemande, suisse mais aussi française et turque. Aîné de la fratrie, il a une sœur Rachel, qui s’est fait un nom en tant que journaliste, et deux frères, Leo, producteur radio et entrepreneur, Jo, homme politique conservateur comme lui qui a démissionné du gouvernement il y a quelques semaines.

Les parents, Stanley et Charlotte, ont la bougeotte. Boris Johnson naît ainsi à New York, avant de connaître Bruxelles, la future ville honnie, en plus de Londres. Son père est haut-fonctionnaire, il deviendra eurodéputé, couronnant par les urnes un engagement en faveur des institutions européennes qui l’a amené en 2016 à prôner le “Remain” (“maintien”). Sonia Purnell, ancienne collègue journaliste de Boris Johnson dont elle est devenue la biographe, nous décrit cette cellule familiale déjà peu commune:

“La mère de Boris souffrait de dépressions sévères quand il était enfant. Elle était souvent hospitalisée. Stanley était un séducteur. Il n’était pas souvent là, il travaillait beaucoup donc les enfants ont dû se débrouiller très jeunes. Ils étaient soudés. Ils étaient assez isolés, ne se faisaient pas tellement d’amis à l’extérieur.”

Stanley Johnson, que nos équipes ont pu rencontrer dans sa maison cossue de Londres, assure que c’est moins l’enfance que l’instruction reçue par ses trois fils et sa fille qui s’est avérée déterminante :

“Je ne souscris pas à la notion de ‘clan Johnson’. C’est une famille ordinaire qui a fait différentes choses. C’est une famille anglaise normale d’une certaine époque et d’une certaine classe. Et ce qui arrive aux enfants d’une famille anglaise de cette époque et de cette classe c’est qu’ils vont à l’école. L’intérêt d’une éducation de bonne qualité est d’aider les gens à réussir ce qu’ils entreprennent.”

La voie royale 

La voie royale s’ouvre en effet devant le jeune Boris Johnson. Le prestigieux collège d’Eton d’abord où il apprend à amuser la galerie, pourtant la plus huppée du monde. “Il n’était en aucun cas le garçon le plus chic, ni le plus riche. Mais il est devenu ami avec les garçons les plus chics et les plus riches”, explique Sonia Purnell. Il atterrit ensuite à l’université d’Oxford. Il y décroche un premier mandat, celui de président de l’Oxford Union, le club de débats. La position est moins anecdotique qu’il n’y paraît: 

“On dit que c’est l’entraînement ultime avant d’être élu député. Vous avez l’ENA, nous avons l’Oxford Union pour les politiques. Il avait ses cheveux en bataille, cette grosse voix. Il faisait toujours rire tout le monde. Dès ce moment, on voyait bien que c’était une rock star, un communicant, et qu’il allait être probablement devenir connu en politique”, décrypte pour nous Guto Harri, qui deviendrait plus tard son spin doctor. L’enfant terrible intègre le Bullingdon Club, un cercle de beuveries dont les membres mettent un point d’honneur à détruire les endroits qui ont le malheur d’accueillir leurs libations, le tout pour montrer qu’ils peuvent se le permettre car ils ont les moyens de rembourser. Une tablée où il fréquente le gratin en cours de préparation, comme David Cameron, futur Premier ministre. Comme lui.

L’ère bruxelloise  

Pourtant, il n’embraye pas sur la politique aussitôt à la sortie des études. Il emprunte d’abord la bretelle du journalisme. Et à 100 à l’heure, quitte à partir en tonneaux au premier virage. Stagiaire au Times, il invente une citation, initiative qui provoque son renvoi. Plus de peur que de mal, car le Daily Telegraph lui fournit une autre chance de briller. On l’envoie même à Bruxelles pour y décortiquer l’activité de l’Union européenne. Il fait forte impression. “C’était la personnification de l’anglais tel qu’on peut se l’imaginer. Toujours avec une veste, la cravate à moitié dénouée, et de travers. Toujours un pan de chemise qui sortait. Parce que en gros ‘je suis élégant et je joue avec l’élégance, car je ne suis pas un de ces ploucs de Français ou d’Italien avec un costume droit, je connais les codes mais je m’assois dessus'”, se souvient aujourd’hui Jean Quatremer, journaliste à Bruxelles pour Libération.

Well, on ne va pas laisser les faits arrêter une bonne histoire”

Son style plaît, résolument. Et même aux pontes d’un appareil européen qu’il ne cesse d’étriller. “Il venait en salle de presse tous les jours, avec des questions, souvent intelligentes, parfois goguenardes. Et puis, ce charme, ce charisme même et un clair goût de la manipulation”, sourit Bruno Dethomas, alors porte-parole de la Commission européenne présidée par Jacques Delors. Cette complexité, voire cette duplicité, se traduit aussi dans ses articles.

“Après qu’il avait raconté un truc qui était complètement faux et je lui ai demandé: ‘Boris, comment as-tu pu dire ça?’ Il m’a répondu: ‘Well, on ne va pas laisser les faits arrêter une bonne histoire'”, affirme Jean Quatremer. 

Entre autres, il invente une institution européenne chargée spécifiquement de jauger la courbure des bananes, brandit la menace d’une interdiction des chips aux crevettes. 

Des années plus tard, à la radio britannique, il donne gain de cause à ses détracteurs ès journalisme. “Tout ce que j’ai écrit à Bruxelles, c’était comme lancer des pierres dans le jardin du voisin et écouter un grand fracas dans la véranda, en Angleterre. Mes articles faisaient un effet incroyable au Parti conservateur. Et ça me donnait vraiment un étrange sentiment de puissance”, reconnaît-il.

La bascule 

Après Bruxelles, il devient rédacteur en chef du Spectator, une publication conservatrice. Puis, il accomplit cette bascule qui le guettait depuis des années: il devient député en 1999. En 2008, il est élu maire de Londres. Il se veut accessible. “Boris est très facile d’accès. On peut lui parler”, commente pour nous Lance Forman, patron d’une entreprise traitant du saumon fumé qui l’a rencontré à cette époque et compte désormais parmi ses amis.

S’il tranche par ses attitudes de dilettante, ses pitreries assumées, il s’échine à la tâche sous des dehors d’impréparation désinvolte. “Les gens prenaient Boris pour un clown car il les faisait rire. Mais au fil du temps, à Londres, les gens ont réalisé qu’il était extrêmement intelligent. Il travaille très dur, sans arrêt. Il se lève à 5 heures du matin, écrit ses propres discours, c’est rare pour un politique”, note ainsi Guto Harri.

Le choix du Brexit 

En 2016, après avoir quitté l’hôtel de ville, il s’engage en faveur du Brexit… mais tardivement, à quelques mois de l’échéance. Il y perd quelques amis comme ce même Guto Harri, et y gagne une réputation d’opportuniste:

“Il a beaucoup changé, ça a marché pour lui. Mais je pense qu’il aurait pu devenir Premier ministre sans ça. Le problème maintenant, c’est que le Brexit est une question si importante qu’elle n’est pas drôle et même Boris ne peut la rendre drôle.”

Secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères dans la foulée du référendum, il s’empare en effet du Graal trois ans plus tard, sous le regard de son père qui filme son intronisation à la tête du Parti conservateur avec son téléphone portable. Stanley Johnson intervient à présent pour réfuter tout soupçon de carriérisme: “C’est facile de dire qu’il a fait ça pour son plan de carrière mais je n’y crois pas. Ce n’était pas une décision prise à la légère ou sans en peser les conséquences”.

Ce week-end, le Parlement britannique l’a obligé à solliciter l’octroi d’un nouveau délai pour le Brexit, fixé pour le moment au 31 octobre prochain. Boris Johnson s’est exécuté mais a joint au courrier officiel une lettre traduisant le fond de sa pensée, et invitant ainsi ses homologues à n’en rien faire. Un mélange de loufoquerie et de ténacité, de farce et d’adaptation au système qui résume son parcours. 

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