L’Europe compte plus de développeurs que les États-Unis : alors pourquoi n’y a-t-il pas plus de startups, aussi ?
De Revolut à Deliveroo en passant par TransferWise, les réussites de startups européennes qui ont atteint un statut de licorne très convoité semblent refléter un sain esprit d’innovation sur le vieux continent. Mais la société de conseil McKinsey suggère que l’Europe pourrait faire beaucoup mieux.
Alors que les dépenses d’investissement dans les technologies en Europe atteignent un niveau record, avec 23 milliards de dollars investis l’année dernière, le rapport de McKinsey suggère que l’on est loin d’accorder suffisamment d’attention aux domaines de l’innovation qui peuvent conduire à une croissance réelle – en particulier en matière de numérisation.
Klemens Hjartar, associé principal chez McKinsey, a expliqué à ZDNet que les entreprises européennes ont tendance à investir dans des actifs comme des machines et des bâtiments, peut-être en raison de la forte position du continent dans le secteur manufacturier.
Aller vers les actifs immatériels
“Mais nous devons reconnaître que les actifs immatériels, comme les données et les logiciels, sont les véritables investissements qui placeront l’Europe en tête de la prochaine vague d’innovation” dit-il aussi.
Les logiciels et les données, mais aussi l’intelligence artificielle, l’IdO (Internet des objets), la blockchain, l’informatique quantique ou la biologie synthétique : autant d’opportunités dans le numérique qui, si elles étaient mieux investies, pourraient faire gagner à l’Europe un point de pourcentage supplémentaire de croissance de productivité, selon les analystes de McKinsey.
Pourtant, le continent investit 1,7 point de pourcentage du PIB de moins que les États-Unis dans la recherche et le développement (R&D) pour ces actifs clés. Et ce n’est pas tant au niveau des gouvernements que le problème se pose. C’est en Europe que les dépenses publiques en R&D sont les plus élevées. “Nos entreprises ont une part beaucoup plus faible des dépenses en R&D” explique Klemens Hjartar.
La grande question du manque d’investissements privés
La part de la R&D européenne dans les logiciels et les services informatiques ne représente qu’environ 8 % du total mondial. “Pourtant, c’est la R&D qui nous amène à la phase suivante de l’innovation” dit-il.
Les investissements privés en Europe représentent 19 % du total mondial, loin derrière la Chine (24 %) et les Etats-Unis (28 %). Le résultat, comme on peut s’y attendre, est que les deux pays sont en avance sur le vieux continent lorsqu’il s’agit d’innover et de mener à bien une transformation numérique réussie.
Une indication de cette tendance est que les jeunes entreprises européennes ont du mal à se transformer en licorne, d’une valeur d’un milliard de dollars. Bien que quelques exceptions existent, dans l’ensemble, cette expansion ne se produit qu’à la moitié du taux observé aux États-Unis.
Diminution des Superstars
Outre le manque de moyens financiers, cela tient également au fait que l’Europe est composée de nombreux pays distincts et que, malgré ses efforts pour s’unir autour d’un marché unique, la fragmentation fait toujours partie de son identité.
Dans ce contexte, les entreprises sont confrontées au défi de l’expansion à l’échelle d’un continent dont les réglementations et les structures nationales sont différentes – une tâche beaucoup plus complexe que dans les grands marchés homogènes comme la Chine ou les États-Unis.
Ainsi, au cours des 20 dernières années, la part de l’Europe dans les “superstars” – les 10% des entreprises ayant un chiffre d’affaires annuel supérieur à 1 milliard de dollars – a pratiquement diminué de moitié.
L’Europe ne peut pas s’appuyer sur un prétexte
Mais si les effets de la fragmentation sont évidents, explique M. Hjartar, l’Europe pourrait aussi tirer parti de ses différences nationales pour les utiliser comme une force. “Nous avons des dirigeants répartis sur tout le continent, dit-il. “Nous avons 5,7 millions de développeurs de logiciels, contre 4,4 millions aux États-Unis. Nous avons tous les éléments de base pour réussir, mais le plus grand obstacle est de les relier ensemble avec une vision ambitieuse.”
En fin de compte, l’Europe ne peut pas s’appuyer sur le prétexte qu’elle est composée de différents pays pour justifier son retard par rapport à ses concurrents affirme M. Hjartar ; le véritable enjeu est qu’elle a besoin d’un nouvel état d’esprit, axé sur l’innovation.
Dans une certaine mesure, les pays européens commencent à mettre en œuvre des mesures plus audacieuses. L’European Automative and Telecoms Alliance (EATA), par exemple, a publié cette année un manifeste détaillant son ambition de coordonner opérateurs, fournisseurs et fabricants à travers l’Europe pour encourager l’innovation.
Faire preuve d’un changement d’état d’esprit profond
En Allemagne, la Plattform Industrie 4.0 encourage la mise en réseau des machines et des processus par l’utilisation des TIC, afin d’encourager la numérisation dans l’industrie manufacturière.
Mais pour retrouver son avantage, l’Europe devra faire preuve d’un changement d’état d’esprit plus profond. “Nous venons d’une position forte, mais maintenant nous devons être beaucoup plus audacieux et ambitieux”, a déclaré Hjartar.
Article “Europe has more developers than the US: So why doesn’t it have more startups, too?” traduit et adapté par ZDNet.fr