L’Espagne donne aux travailleurs des plateformes le statut de salarié

L'Espagne donne aux travailleurs des plateformes le statut de salarié

Dans la “gig economy”, de plus en plus de voix s’élèvent contre les conditions de travail des livreurs à vélo et des chauffeurs VTC qui disposent d’un statut d’indépendant, en étant toutefois dépendants des plateformes. Certains pays commencent à faire bouger les lignes, et la France manifeste aussi plus clairement sa position en faveur de la protection des droits de ces travailleurs indépendants subordonnés aux algorithmes des plateformes.

En Espagne, le salariat est la piste retenue par le gouvernement. Les entreprises de livraison de nourriture basées en Espagne ont désormais trois mois pour employer leurs coursiers en tant que personnel, en vertu de nouvelles règles approuvées mardi par le gouvernement. C’est l’une des premières lois en Europe concernant les droits des travailleurs de la gig economy.

Le décret vise à clarifier la situation juridique de milliers de coursiers après que la Cour suprême d’Espagne a statué l’année dernière que les entreprises devaient les embaucher en tant que salariés. « Le règlement approuvé aujourd’hui (…) nous place à l’avant-garde d’un changement technologique qui ne peut pas laisser les droits du travail derrière lui » a déclaré la ministre du Travail, Yolanda Diaz, selon des propos rapportés par Reuters.

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Un modèle économique qui vacille

Uber s’est exprimé contre cette nouvelle réglementation, estimant qu’elle va « directement nuire à des milliers de coursiers qui utilisent les applis de livraison de nourriture pour des opportunités de gains flexibles dont ils ont tant besoin et qui ont clairement fait savoir qu’ils ne boulaient pas être classés comme des employés » a déclaré un porte-parole.

Selon Adigital, une association d’entreprises qui représente des sociétés de la gig economy, dont Glovo et Deliveroo, ce décret est « un coup dur pour l’avenir de l’économie numérique en Espagne ».

Bien que la législation rende plus difficile pour les entreprises d’avoir des coursiers indépendants, fermant la porte à une pratique courante, plusieurs associations de livreurs et experts du travail ont déclaré qu’elles ne résout pas complètement leur situation juridique, anticipant d’autres batailles judiciaires potentielles.

La plupart des entreprises de livraison ont commencé à se préparer au changement, cherchant de nouveaux modèles commerciaux. Just-Eat, la branche espagnole de Take Away, a déjà embauché certains de ses travailleurs et couvre les pics de demande avec des travailleurs d’entreprises de tranport. D’autres, comme Glovo, ont choisi d’embaucher certains livreurs par le biais d’agences interim, selon les livreurs. Mais une chose est sûre, le scepticisme sur la viabilité du modèle économique des plateforme pèse sur les marchés, en atteste les débuts très difficiles de Deliveroo a à la Bourse de Londres avec une chute de 26,3% de son action.

En France, les livreurs pourront désigner leurs représentants

En France, où près de 100 000 personnes sont concernées par l’économie des plateformes collaboratives, les pistes mises sur la table tendent à s’acheminer vers des négociations collectives, plutôt que vers une généralisation du salariat. Une ordonnance datée du 21 avril 2021 permet aux travailleurs indépendants des plateformes de mobilité de désigner leurs représentants en 2022. Elle crée dans le même temps l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi, nouvel établissement public chagé de « réguler les relations sociales entre plateformes et travailleurs indépendants ».

Cette ordonnance fait suite aux travaux menés par le gouvernement avec les partenaires sociaux, ainsi qu’aux recommandations de la mission confiée par la ministre du travail à Bruno Mettling, président du cabinet de conseil Topics, sur la régulation des relations de travail du secteur. Pour Gilbert Cette, professeur d’économie à l’Université d’Aix-Marseille, cette protection des droits du travail vers laquelle les négociations collectives doivent aboutir ne se limitent pas au champ de la protection sociale dans le domaine salarial. « Par exemple, il n’y a pas l’équivalent du Smic pour les salariés, ni de revenu minimal ou de protection d’amplitude de travail maximal » a-t-il dit, ce mercredi matin, lors d’une audition au Sénat sur ce sujet.

Pour l’économiste, la requalification systèmatique du statut du travailleur indépendant en salarié, comme le fait l’Espagne, semble être un « choix erroné » qui « tend à vouloir faire rentrer de force dans cette catégorie une forme d’activité qui est différente et qui appelle à des flexibilités différentes ». Il préconise, en ce sens, de « faire émerger par la négociation collective des protections qui soient associées aux spécificités de ces formes d’activité, dans tous les domaines où ces protections sont appauvries » dit-il. « Il faut trouver les moyens de faire émerger cette négociation collective entre plateformes et travailleurs, pour que des normes soient élaborées de façon conventionnelle. »

La voie des négociations collectives plutôt que du salariat

Interrogé aussi ce matin par les sénateurs de la commission des affairs sociales, Bruno Mettling rejoint sa position, affirmant que la voie des négociations collectives est la plus « efficiente ». Au fil des entretiens menés en vue de son rapport, il observe que « si certains travailleurs se projettent dans le salariat, ce n’est pas une demande massive. Et donc la vraie question n’est pas celle du statut, mais de l’accès aux droits. » Mais la chose n’est pas aussi simple qu’elle n’y paraît, et on se souvient en mars 2020 de l’arrêt de la cour de Cassation, qui a proposé de requalifier pour la première fois en France en contrat de travail la relation entre la société Uber et l’un de ses chauffeurs.

Bruno Mettling souligne que l’ordonnance qui vient de sortir, si « elle permet d’organiser l’expression des représentants des travailleurs », ne dit rien en revanche sur « l’organisation des plateformes elles-mêmes ». Il encourage « l’ensemble du dispositif à se mettre en place rapidement ».

De son côté, l’Union européenne a lancé une consultation sur le droit à la représentation collective des travailleurs indépendants qui pourrait aboutir à une initiative de la Commission en fin d’année.

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