Les tergiversations démocrates sur la destitution jouent le jeu de Trump – Le Journal de Montréal
Des preuves solides à l’appui d’une éventuelle destitution du président Trump existent déjà, alors pourquoi les démocrates hésitent-ils encore?
À chaque année à pareille date, mon enseignement m’amène à parler du système de contrôles et de contrepoids sur lequel repose le principe de séparation des pouvoirs au cœur de l’État américain. La réalité commence à me faire douter que ce système existe encore. Les deux principaux leviers de contrôle de la branche législative pour éviter la concentration excessive du pouvoir aux mains de l’exécutif sont le rôle de surveillance des commissions du Congrès et la menace de destitution qui pend au-dessus de la tête de tout membre de l’exécutif (dont le président). Ni l’un ni l’autre de ces mécanismes ne semble fonctionner aujourd’hui.
Stratégie du mur de briques
Deux exemples récents confirment que l’administration Trump se moque éperdument des mécanismes de contrôle du Congrès et que les législateurs semblent démunis face à cette stratégie de blocage systématique.
Mardi dernier. L’ancien directeur de campagne de Trump, Corey Lewandowski, a refusé de répondre à toutes les questions qui lui venaient des membres de la commission des affaires judiciaires de la Chambre des représentants. Lewandowski, qui ne dispose d’aucune immunité, a refusé systématiquement de répondre aux questions qui lui étaient posées, allant jusqu’à se moquer ouvertement de l’autorité de la commission. Résultat? Rien. Dans n’importe quelle cour, il aurait été inculpé sur le champ d’outrage au tribunal, mais les démocrates en charge du comité ont choisi de le laisser retourner à la maison bien sagement.
Cette performance désolante de Lewandowski n’est que le dernier épisode de la stratégie du mur de brique qui a mené tous les membres de l’entourage de Trump à refuser de répondre à quelque question que ce soit au Congrès. En soi, cette obstruction systématique pourrait être passible de destitution (c’était une des infractions reprochées à Nixon dans l’affaire du Watergate), car elle contredit ouvertement le principe constitutionnel d’égalité entre l’exécutif et la branche législative.
Après la Russie, l’Ukraine
Plus tard la semaine dernière, on apprenait qu’un lanceur d’alerte a signalé une faute grave en rapport avec un appel du président à un leader étranger, dans un rapport confidentiel soumis au directeur du renseignement national par intérim, Joseph Maguire. Même si la loi est limpide à ce sujet et établit clairement que ce genre de rapport doit être transmis aux commissions du renseignement du Congrès, M. Maguire a choisi de ne pas transmettre la plainte.
Que disait cette plainte? En substance, on tient de source sûre que le président Trump a tenté de convaincre son vis-à-vis ukrainien d’enquêter sur de présumés actes de corruption qui mettraient en cause le fils de Joe Biden, son principal adversaire dans la course à la présidence, et impliqueraient l’ex-vice-président lui-même. Ces accusations sont sans fondement (voir ici et ici), mais cela n’empêche pas le président Trump d’abuser des prérogatives de son poste pour inciter le chef d’un gouvernement étranger. Qui est cette mystérieuse source sûre qui affirme que le président a agi de la sorte? Donald Trump. Le président lui-même a avoué avoir demandé au président de l’Ukraine d’enquêter sur Biden et son fils.
En soi, ce geste devrait être suffisant pour appuyer une procédure de destitution contre le président, mais des allégations non vérifiées viennent ajouter à ces faits avérés. Selon des allégations non encore confirmées, Trump aurait utilisé un montant de 250 millions $ en aide militaire à l’Ukraine pour inciter son vis-à-vis ukrainien à compromettre Biden. Le président nie formellement qu’il y ait eu quid pro quo. Pour le prouver, il n’aurait qu’à transmettre la retranscription de ses conversations, comme la loi l’oblige, mais il ne le fait pas.
Ce n’est pas tout
Pendant ce temps, que font les démocrates au Congrès? Pas grand-chose. L’affaire des pressions sur l’Ukraine n’est que le plus récent exemple de comportements qui justifient clairement une enquête en bonne et due forme comme première étape d’un processus de destitution. La deuxième partie du rapport Mueller présente en détails toutes les preuves nécessaires pour monter une accusation solide contre Trump pour entrave à la justice. La première partie de ce rapport n’a pas suffi à appuyer une accusation criminelle de complot, mais il ne serait pas difficile de conclure que les comportements identifiés (accepter et solliciter l’aide d’une puissance étrangère lors de l’élection de 2016 et omettre de signaler les contacts avec des agents russes, tout en mentant sur les liens d’affaires de Trump avec la Russie) correspond à ce que les fondateurs entendaient par «high crimes and misdemeanors».
On sait aussi que le président est identifié comme complice dans une infraction aux lois sur le financement des campagnes fédérales pour laquelle son ex-avocat, qui agissait en son nom et à sa demande, est actuellement en prison. À cela s’ajoute la clause des émoluments de la Constitution, qui est violée par le président Trump à chaque fois que des dépenses publiques américaines ou étrangères sont engagées dans ses propriétés. En fouillant un peu, on pourrait aussi monter un plaidoyer assez convaincant selon lequel les intérêts d’affaires de la famille immédiate de Donald Trump ont bénéficié de divers traitements de faveur de la part de gouvernements étrangers, y compris l’approbation par la Chine de plusieurs marques de commerce appartenant à la famille Trump dans les mois qui ont suivi son arrivée au pouvoir.
Confrontation ou tergiversation?
Devant cette accumulation d’entorses à l’esprit et à la lettre de la Constitution par le président Trump et son administration, que font les démocrates? Pas grand-chose. Pendant que la présidente démocrate de la Chambre des représentants continue de tergiverser, de plus en plus de voix se font entendre dans le Parti démocrate pour confronter directement le président en initiant immédiatement des procédures formelles de destitution. Si des arguments politiques existent encore à la défense de cet attentisme, ce qui est loin d’être clair, ils ne pèsent plus bien lourd si on les compare au devoir que devraient percevoir les démocrates de défendre les principes fondateurs de la Constitution.
Et si ce n’était pas suffisant, la démonstration de faiblesse dont font preuve les démocrates du Congrès ne fait que renforcer la position du président et confirme que sa stratégie du rouleau compresseur en vue de concentrer le plus de pouvoirs possible entre ses mains fonctionne à merveille. Même si un processus de destitution risque en effet de galvaniser les républicains et de stimuler la participation des plus militants d’entre eux, le fait de ne rien faire équivaut à normaliser les comportements de l’administration Trump, ce qui lui serait tout aussi avantageux électoralement, tout en donnant le coup de grâce au principe constitutionnel de séparation des pouvoirs.