Les raisons des violences en Irlande du Nord – Le Monde

Un passant devant l’autobus qui a été détourné et incendié sur Shankill Road, à Belfast, le 7 avril 2021.

Le feu couve en Irlande du Nord. Des tensions ont abouti à une semaine d’émeutes se traduisant par des jets de projectiles et des véhicules incendiés, principalement dans des zones loyalistes à majorité protestante. Plusieurs policiers ont été blessés – 55 depuis le début des heurts, selon la police –, ainsi qu’un chauffeur de bus et un photographe du Belfast Telegraph, Kevin Scott. Unionistes et républicains du gouvernement local d’Irlande du Nord ont condamné ensemble, jeudi 8 avril, les violences « complètement inacceptables et injustifiables » qui ont secoué la nation constitutive ces derniers jours, appelant au calme.

  • Des plaies loin d’être refermées

Dans la nuit de mercredi à jeudi, des manifestants, souvent jeunes, se sont rassemblés sur Lanark Way, à Belfast, en Irlande du Nord. Un autobus a été incendié et des cocktails Molotov lancés en direction des barrières métalliques qui séparent les quartiers catholique et protestant de la ville.

Après six nuits de violence à Londonderry, Carrickfergus et Belfast, les autorités nord-irlandaises se sont réunies, jeudi, en urgence. Dans un communiqué, le Northern Ireland Executive – la branche exécutive du gouvernement d’Irlande du Nord, dirigé par la première ministre Arlene Foster (membre du Parti unioniste démocrate, le DUP, qui prône le maintien d’une forme d’union politique entre la province d’Irlande du Nord et le Royaume-Uni), assistée de la vice-première ministre Michelle O’Neill (membre du Sinn Féin, qui souhaite la réunification du nord et du sud) – a déclaré :

« Les destructions, violences et menaces de violence [sont] complètement inacceptables et injustifiables, quelles que soient les inquiétudes existant dans les communautés ».

Les autorités nord-irlandaises se disent « gravement préoccupées » par les incidents survenus surtout dans des quartiers loyalistes, favorables au maintien des liens avec Londres.

La veille, Arlene Foster avait tweeté : « C’est du vandalisme et une tentative de meurtre. Ces actions ne représentent ni l’unionisme, ni le loyalisme. »

Ces incidents font resurgir le spectre des trois décennies sanglantes des « Troubles », la guerre civile entre républicains – principalement des catholiques partisans de la réunification avec l’Irlande – et unionistes protestants, qui ont fait 3 500 morts jusqu’à l’accord de paix du 10 avril 1998, aussi appelé Accord du Vendredi saint.

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  • Le Brexit, un accord qui ne passe pas

Jeudi, Naomi Long, la ministre de la justice du gouvernement nord-irlandais, a expliqué voir plusieurs causes à cet embrasement. Elle a notamment insisté sur l’entrée en vigueur du Brexit, dont les promesses non réalisées ont fragilisé le délicat équilibre né de l’Accord du Vendredi saint, lequel avait estompé la frontière entre la province britannique et la République d’Irlande.

Dans le cadre des négociations sur le Brexit, Londres et Bruxelles étaient parvenus à s’accorder sur une solution, appelée le protocole nord-irlandais. Il vise à préserver le traité de paix de l’accord du Vendredi saint, en évitant le retour d’une frontière terrestre sur l’île d’Irlande. A la place, il a institué une frontière en mer d’Irlande, l’Irlande du Nord conservant un pied dans le marché intérieur européen, tout en restant une nation au sein du Royaume-Uni. Des déclarations douanières doivent être effectuées au niveau des ports et des aéroports, alors qu’il s’agit d’un même pays. En revanche, il n’y a pas de contrôle pour la circulation des personnes. Des dispositions nouvelles, qui entraînent des perturbations dans les approvisionnements.

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Début mars, Boris Johnson a été confronté, lors d’une visite en Irlande du Nord, à un mécontentement croissant sur les conséquences du Brexit. Favorable à un abandon pur et simple des contrôles sur les marchandises en provenance de Grande-Bretagne, Arlene Foster a jugé « intolérable » les dispositions entrées en vigueur depuis le 1er janvier. De son côté, Michelle O’Neill a refusé de le rencontrer, lui reprochant son « approche téméraire et partisane » vis-à-vis du protocole nord-irlandais.

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  • Une absence de sanctions pour non-respect des restrictions sanitaires

Christopher Stalford, élu du DUP, a souligné par ailleurs que les manifestants « agissaient par frustration ». En effet, fin mars, les autorités nord-irlandaises ont décidé de ne pas poursuivre 24 responsables duSinn Fein qui ont assisté, fin juin 2020, aux obsèques de Bobby Storey, qui aurait été le chef du renseignement de l’Armée républicaine irlandaise (IRA), malgré les restrictions en vigueur contre le coronavirus.

La présence dans la foule de Michelle O’Neill et de Mary Lou McDonald, la responsable du Sinn Fein favorable à l’unification de l’Irlande, a été perçue comme un bras d’honneur fait au fragile équilibre politique dans la province.

Qu’importe si Michelle O’Neill a présenté des excuses pour ne pas avoir respecté les règles de distanciation physique. Les principaux partis unionistes ont appelé le chef du Service de police d’Irlande du Nord (PSNI), Simon Byrne, à démissionner, affirmant que les communautés avaient perdu confiance en son autorité. Arlene Foster a affirmé que l’adhésion de la population aux restrictions était menacée en raison de la perte de confiance dans la loi et l’ordre causée par la décision de ne pas poursuivre les membres du Sinn Fein.

Enfin, des opérations de police contre le trafic de drogue dans le comté d’Antrim, sur lequel l’Ulster Defence Association (UDA, organisation paramilitaire protestante loyaliste impliquée dans le conflit nord-irlandais) a la mainmise, ont contribué à attiser les tensions dans la province.

  • Les appels au calme se multiplient

« La façon de résoudre les différends est par le dialogue et non par la violence ou la criminalité », a tweeté Boris Johnson tard mercredi tout en faisant part de sa « profonde préoccupation ».

De son côté, Micheal Martin, le premier ministre irlandais, a appelé les dirigeants de Dublin, Belfast et Londres à unir leurs forces pour y mettre fin.

Le chef de la diplomatie irlandaise, Simon Coveney, a été encore plus explicite. Sur la chaîne publique RTE, il a déclaré, jeudi :

« Cela doit cesser avant que quelqu’un soit tué ou gravement blessé. Ce sont des scènes que nous n’avions pas vues en Irlande du Nord depuis très longtemps, ce sont des scènes que beaucoup de gens pensaient appartenir à l’Histoire et je pense qu’un effort collectif est nécessaire pour faire retomber la tension. »

Sur Twitter, Jennifer Cassidy, chercheuse irlandaise en diplomatie à l’université d’Oxford, s’interroge sur le relatif silence des médias britanniques :

« Si ces violences avaient lieu dans n’importe quelle autre partie du Royaume-Uni, il y aurait une couverture médiatique 24 heures sur 24, des appels au calme, à la paix, des discours pendant des heures au Parlement. Mais parce que c’est l’Irlande du Nord, vous pensez que dire : ne faites pas ça suffira ? Réagissez. »

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