Les principaux articles de la loi « sécurité globale », définitivement adoptée par l’Assemblée nationale – Le Monde

Sécurité privée, police municipale, port d’arme en dehors du service, déploiement de drones, accès élargi aux images de vidéosurveillance et des caméras piétons : la loi pour « une sécurité globale préservant les libertés » a été adoptée, jeudi 15 avril, par un ultime vote (75 voix pour et 33 contre) à l’Assemblée nationale.

Le groupe parlementaire du Parti socialiste (PS) a d’ores et déjà annoncé saisir le Conseil constitutionnel sur l’ensemble du texte. Largement conçu par le ministère de l’intérieur, il aspire à créer un « continuum de sécurité » en France par le renforcement des prérogatives des agents de police municipale et de sécurité d’une part, l’encadrement et l’accès facilité à des moyens techniques (drones, caméras-piétons, vidéosurveillance) d’autre part.

L’autorisation d’un port d’arme en dehors du service dans les établissements recevant du public prolonge cette extension des possibilités d’interventions des forces de sécurité, principal changement prévu par la loi dont les sénateurs ont, par ailleurs, tempéré l’ambition de donner à la police plus de moyens dans la « bataille des images » autour du maintien de l’ordre.

La diffusion de photos de forces de l’ordre n’est plus explicitement condamnée et les vidéos tournées par les caméras-piétons (des caméras portées par les policiers afin de filmer leurs interventions) ne pourront pas être rendues publiques, comme le souhaitaient les députés La République en marche (LRM) Jean-Michel Gauvergue et Alice Thourot. Passage en revue de sept des principales mesures du texte.

  • Un délit de « provocation à l’identification » des forces de l’ordre et de leurs proches

L’article 24 crée dans le code pénal un nouveau délit, qui sanctionne d’une peine de cinq ans d’emprisonnement toute « provocation [dans le sens d’inciter, d’appeler] à l’identification » d’un gendarme, d’un policier, d’un agent des douanes ou de leurs proches, « dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique ».

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Les sénateurs ont écarté toute mention explicite à la diffusion d’images des forces de l’ordre, notamment à l’origine de nombreuses manifestations contre le texte à l’automne, et ont sorti la disposition du cadre de la loi de 1881 sur la presse. Au risque d’aboutir à une notion juridique « floue », comme l’a qualifiée la sénatrice socialiste Eliane Assassi pendant les débats.

La diffusion d’information « dans le but d’exposer » une personne figure, par ailleurs, dans l’article 18 du projet de loi « confortant le respect des principes de la République », sur lequel sont en train de se mettre d’accord les parlementaires au sein d’une commission mixte paritaire. Cet autre nouveau délit du code pénal prévoit une circonstance aggravante si la personne visée est un agent public et une exception pour les journalistes, qui seraient, eux, poursuivis sous le régime de la loi de 1881.

  • Un cadre légal inédit pour l’utilisation des drones par les forces de sécurité en France

Le président de la République, Emmanuel Macron, assiste à une présentation de drône à la frontière espagnole, au Perthus, le 5 novembre 2020.

L’article 22 institue, pour la première fois, un cadre législatif détaillé à l’utilisation de caméras embarquées par les forces de l’ordre. Il est très large : des drones pourront être utilisés sur décision du préfet à des fins de prévention de délits (dans « des lieux exposés » à des risques d’agression, de vol, de trafic de stupéfiants, autour de zones frontalières, pour « lutter contre leur franchissement irrégulier »), ainsi que lors d’opérations de maintien de l’ordre, mais aussi dans le cadre de poursuites pénales sur décision du procureur ou du juge d’instruction.

Les images pourront être utilisées en direct (dans une salle de commandement par exemple) ou conservées le temps de leur exploitation dans une procédure judiciaire. La mesure fait entrer dans le droit une pratique déjà expérimentée depuis plusieurs années et présentée comme « inéluctable » dans la modernisation des pratiques par les représentants de la profession.

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Cependant, de nombreux parlementaires ont désapprouvé la brièveté des débats à propos d’un dispositif qui soulève de nombreuses questions concernant la protection de la vie privée. La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a insisté, dans son avis sur le projet de loi, sur le « changement de paradigme » que l’arrivée de cette pratique représente. Un exemple : l’information du public et le respect des espaces privés, principes fondamentaux du traitement de telles informations par la vidéosurveillance en France, sont difficiles à appliquer lors de l’utilisation de drones.

Certains garde-fous ont été adoptés au Sénat : l’interdiction de toute reconnaissance faciale automatisée est rappelée et le croisement des données recueillies avec d’autres fichiers de l’administration écarté sans exception. La publication d’une « doctrine d’emploi des drones », sous contrôle de la CNIL, a aussi été imposée au ministère de l’intérieur par les sénateurs pour préciser les conditions d’usage, de formation des agents habilités et les caractéristiques des appareils utilisés.

  • Des pouvoirs étendus pour la police municipale, qui fait son arrivée à Paris

Le titre premier (articles 1er à 6) de la loi ouvre une expérimentation dans les services de police municipale comptant au moins quinze agents : pendant cinq ans, ceux-ci pourront procéder à des constats de délits ou des actes de procédures jusqu’ici réservés aux officiers de police judiciaire.

Sans aller jusqu’à un tel niveau d’habilitation – les agents restant sous la responsabilité du maire, pas de la justice – les policiers municipaux pourront notamment constater la vente à la sauvette, la conduite sans permis ou sans assurance et la consommation de stupéfiants. Ils auront également la possibilité de recueillir sur procès-verbal les déclarations spontanées, lors d’un contrôle d’identité par exemple, ce qui demande aujourd’hui une convocation par un enquêteur, et de procéder à des saisies d’objets. Le domaine de la sécurité privée fait, par ailleurs, l’objet des articles 7 à 19, définissant un nouvel encadrement du recrutement et la sous-traitance, notamment dans la perspective des Jeux olympiques de 2024.

A Paris, les actuels 3 300 agents de surveillance de Paris (ASP), inspecteurs de sécurité de la Ville de Paris (ISVP) et agents d’accueil et de surveillance de la Ville de Paris (AAS) vont recevoir une formation complémentaire les élevant au même rang que les policiers municipaux partout en France et profiteront de l’extension des prérogatives prévues par le texte. La fin d’un particularisme datant de 1800 dans la capitale, qui était l’une des deux seules grandes villes de France à ne pas disposer de policiers locaux : Brest, par choix, est désormais la dernière.

  • Elargissement de l’accès à la vidéosurveillance

L’article 20 élargit le droit de consultation des images de caméra de vidéosurveillance aux policiers municipaux et aux contrôleurs de la Préfecture de police de Paris. Le texte facilite aussi la transmission en temps réel aux forces de l’ordre des images filmées par les caméras installées dans les parties communes de certains immeubles collectifs, qui sera notamment possible en cas d’« occupation » des lieux, dans le cadre d’une convention avec le bailleur ou le syndic – celle-ci pourra aussi être décidée par les policiers et les gendarmes en cas d’urgence et après une alerte déclenchée par le gestionnaire.

  • Exploitation des images issues des caméras-piétons

L’article 21 prévoyait à l’origine que les images captées par les caméras-piétons puissent servir à « l’information du public », pour, espérait par exemple le ministère de l’intérieur, diffuser d’autres vidéos de manifestations ou d’altercations que celles publiées par les médias et sur les réseaux sociaux.

Refus net d’un corapporteur du texte au Sénat lors de la première lecture du texte : pas question, pour Loïc Hervé, d’« alimenter [la] “guerre des images” au lieu d’apaiser les relations entre la police et la population », ce qui, rappelle le sénateur, « doit être notre première préoccupation ». La version finale reflète cette dernière orientation. Les images pourront, cependant, être transmises en direct au commandement lors d’opération de maintien de l’ordre et être utilisées dans le cadre de procédures judiciaires.

  • Suppression des réductions de peines pour les détenus condamnés pour violence contre les forces de l’ordre

Le Sénat a aussi abaissé les ambitions de l’article 23, dont l’objet était d’exclure du régime des réductions de peines automatiques les détenus condamnés pour toute infraction menée contre un membre des forces de l’ordre, un élu ou un pompier.

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Dès les débats en première lecture, les sénateurs ont décidé de restreindre cette mesure aux condamnés pour les faits les plus graves. Une manière de ne pas peser trop lourdement sur un dispositif très utilisé par l’administration pénitentiaire comme outil disciplinaire : la perspective d’une suppression de cette réduction de peine – et donc d’un allongement de la durée de détention – est souvent brandie par les surveillants pour demander à un détenu d’améliorer son comportement.

  • Un port d’arme autorisé dans les établissements publics

« Le fait pour un fonctionnaire de la police nationale ou un militaire de la gendarmerie nationale de porter son arme hors service ne peut lui être opposé lors de l’accès à un établissement recevant du public », stipule l’article 25 de la loi, qui renvoie les précisions de cette mesure à la publication d’un « décret en Conseil d’Etat ».

La proposition est une extension du droit au port d’arme en dehors du service obtenu par les policiers après le meurtre d’un couple de policiers à Magnanville, en 2016. La mesure, acceptée sans modification par le Sénat, a été critiquée par des représentants des établissements culturels, inquiets de la difficulté à vérifier si les personnes se présentant armées sont bien policiers ou gendarmes.

« Doit-on craindre des égarements potentiels ou permettre une réactivité sur-le-champ, maîtrisée et professionnelle, de membres des forces de sécurité ? », s’est demandé en séance la sénatrice Françoise Gatel. L’enjeu posé par l’article est à l’image du difficile équilibre à trouver pour atteindre le « continuum de sécurité » voulu par le projet de loi. Saisi par l’opposition de gauche sur l’ensemble du texte, le Conseil constitutionnel pourrait apporter une première réponse.

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