Les mauvaises résolutions

Les mauvaises résolutions

Le Président de la République et le Gouvernement ont décidé de jouer les Grinch en faisant commencer l’année politique, par un texte transformant le passe sanitaire en passe vaccinal.

Un problème de communication

Au sein du Gouvernement, une fonction, en particulier, est hasardeuse : celle de porte-parole. Le livre « Profession paratonnerre » de la journaliste Anne Saurat-Dubois est très éclairant sur ce sujet. De ministre contrôlant les médias et la parole journalistique, à paratonnerre des bourdes présidentielles et gouvernementales, la fonction demande une certaine souplesse.

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À notre époque, en politique, il ne s’agit plus de faire, mais également de faire savoir. On aurait pu croire que la nouvelle génération de politiques, née après la disparition de l’ORTF, avait compris ce paradigme. La récente interview — qui n’a d’interview que le nom — du Président de la République montre que l’exercice n’est toujours pas maîtrisé.

Les Français attendent-ils vraiment d’un Président de la République, que ce dernier parle vrai au point de tomber dans la vulgarité ? Aux sondeurs de sonder les 1000 cœurs qui se soumettront à leurs études. On a presque envie de dire qu’il n’en est pas vraiment question. On peut s’amuser à comparer avec les propos du nouveau chancelier Olaf Scholz : les Allemands seront « vaccinés, guéris ou morts ».

Un style différent, une culture différente, mais un message finalement identique : appeler les gens à se faire vacciner, au moins pour éviter pour soi-même les formes graves de la maladie. On peut être vacciné et « attraper » la maladie et la transmettre. Néanmoins, un passage en réanimation n’a rien d’un séjour dans un spa quatre étoiles.

Le mot qui fâche et un problème de cible

À ce stade de la lecture, vous vous demandez pourquoi Zapping Décrypté parle de ce sujet, plutôt que d’un spectacle, un film, une série ou un livre. En premier lieu, l’auteur de ces lignes a dû mal à cacher son agacement profond de commencer l’année par l’examen d’un texte sensible et volcanique. Notons également que le rallongement des débats est en bonne partie dû à la fameuse interview du Président de la République. Évacuons la mécanique parlementaire, vous avez le Projet Arcadie pour ce sujet.

On peut comprendre le désarroi des Français qui doivent supporter certaines restrictions, en raison d’un noyau de personnes non vaccinées. On a envie de rétorquer « la faute à qui ? » Comme toujours, Internet fait figure de bouc émissaire bien commode pour camoufler — tel un vernis à ongles foncé sur un ongle pourri — les errements, les fourvoiements et les fautes commises en premier lieu par certains médias et par certaines personnalités politiques. Chacun fustigeant les réseaux sociaux, les sites Web, le tonton bourré qui fait des posts sur Facebook, etc.

Chose rare dans ces colonnes, je vais vous raconter une anecdote familiale. Discussion avec mon père pendant le week-end de Noël. Ce dernier me demande ce qu’il en est de la crédibilité d’une personne, issue de la profession médicale, invitée sur le plateau de CNews. Je lui explique qu’il ne faut pas lui accorder un crédit quelconque et que de manière générale, les personnes invitées sur CNews ne sont pas à prendre au sérieux.

Mon père n’est pas un accro des réseaux sociaux. Il ne passe pas sa vie à lire les informations sur le Web. Il n’a ni page Facebook ni compte Twitter. Il lit beaucoup de livres, regarde beaucoup de films. Quand il a fini sa journée de « travail » (plus connu sous la dénomination « tester les outils de chantier jusqu’à ce qu’ils se cassent » – bref, il fait des travaux dans la maison), il met les chaînes d’information en continu pour une vingtaine de minutes. Pour lui, comme pour d’autres personnes, pas uniquement de sa génération, être invité sur un plateau télé pour s’exprimer est un gage de sérieux et de compétence. Il part du postulat que les personnes sont choisies finement, sur la base de travaux sérieux et que si on leur tend un micro, c’est qu’elles ont une expertise dans le domaine sur lequel elles s’expriment. L’exemple choisi ici est CNews, mais la quasi-totalité des médias, dans un domaine ou un autre, fait preuve de la même turpitude. Les techs le savent très bien : le premier débile qui explique qu’un mail crame plus de Co² qu’un voyage en avion Paris-New York a droit aux mêmes honneurs dans certains titres. On n’abordera surtout pas le sujet des relations internationales, ça va tous nous énerver.   

Le mauvais exemple

Les médias ont une bonne excuse — sans ironie aucune — dans leurs errements. Ils suivent l’exemple des politiques, en particulier, le premier de tous : le Président de la République. Dans le domaine de la santé, le Sénat invite des charlatans — on ne donne pas les noms pour éviter d’éventuelles poursuites judiciaires — pour qu’ils soient auditionnés et donner leurs avis. Le Président de la République lui-même a adoubé Didier Raoult. Dans un autre domaine, les députés ouvrent grandes les portes de l’Assemblée nationale, à des ahuris qui font la promotion de dérives sectaires. On pourrait énumérer les exemples à l’infini, mais il suffit de consulter le Journal officiel pour avoir une idée de la quantité d’escrocs qui ont l’oreille de nos décideurs publics.

Plus amusant encore : certains sites sont reconnus, à la fois par le Ministère de la Culture et la profession des journalistes, comme services de presse en ligne alors qu’ils participent pleinement à des mesures actives d’intoxication. Ces sites bénéficient d’exemptions fiscales. On a beau jeu de dire que les personnes non vaccinées sont idiotes, mais tout est fait pour donner la parole à des gens qui les désinforment.

Quand une personne, qui ne passe pas sa vie sur les sites d’information ni sur les sites parlementaires, voit qu’une personnalité est écoutée par les décideurs publics ou invités par des médias dits mainstream, son postulat de départ sera de penser que cette personnalité est digne d’attention. Elle va donc prendre au sérieux ses assertions. Elle ne sait pas que les chaînes d’info en continu, ont un carnet d’adresses de gens dont la première qualité est juste d’être disponible à n’importe quel moment. Elle ne sait pas qu’au sein des chambres parlementaires, le « casting » des auditions est parfois fait par des administrateurs, qui ressortent les mêmes noms année après année. Elle ne sait pas que certains médias sont financés, parfois directement par des puissances étrangères, qui ne sont pas des démocraties. Dès lors, pourquoi lui reprocher à elle de croire un Youtubeur sur parole, quand ledit Youtubeur utilise des sources qui ont reçu une sorte de blanc-seing de la part des décideurs publics ?

Elle ne sait pas non plus qu’il y a tout une économie autour des mesures actives d’intoxication. Désinformer rapporte de l’argent. Beaucoup d’argent. Il existe certains outils permettant d’estimer les revenus publicitaires d’une chaîne YouTube et les chiffres donnent le tournis. Sans parler des revenus publicitaires, des revenus générés par l’affiliate marketing, par les pyramides de Ponzi, etc. Combattre la désinformation suppose de remettre de la complexité dans l’équation et pas simplement de jeter l’opprobre, surtout quand on est le premier des Français.

Dans son ouvrage Anne Saurat-Dubois revient notamment sur un des éléments du succès populaire d’Édouard Philippe. Dans ses prises de position, il est concis et quand il ne savait pas, il le disait « à ce stade », « pour le moment », « en l’état actuel des connaissances », etc. Or, une épidémie ne donne pas un agenda précis. On doit supporter une dose d’incertitude assez forte. C’est quelque chose de très déstabilisant pour les personnes qui ont une vie bien cadrée. Rien ne fait plus mal à la politique que les déclarations très affirmatives, car il n’a jamais été aussi facile que de les extraire. Pour que les gens intègrent le fait qu’on n’a pas forcément toutes les réponses à l’instant T, chacun doit apprendre ou réapprendre à prendre des précautions oratoires. À la prochaine génération d’élus, on fera donc les recommandations suivantes :

  • Arrêter de faire d’Internet le responsable de tous les maux ;
  • N’invitez pas n’importe qui ;
  • Faites preuve de prudence.

Bonne année 2022.    

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