Les GAFAM en France: un lobbying aidé par un Etat faible ou séduit

Image: Pixabay (CC0)

L’Observatoire des multinationales, média en ligne dédié aux pouvoirs économiques, a publié un rapport sur le lobbying des GAFAM, signalé par l’April (qui a été consultée). Ce document de 29 pages se penche sur les pratiques de Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft, ainsi résumées: «Dépenses de lobbying en augmentation rapide, débauchage de hauts fonctionnaires, contacts à l’Élysée, partenariats financiers avec des médias, des think tanks et des institutions de recherche…»

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Des moyens d’une ampleur inédite

Les auteurs du rapport «GAFAM Nation. La toile d’influence des géants du web en France», les journalistes Chiara Pignatelli et Olivier Petitjean, le soulignent, «les “GAFAM” apparaissent comme des multinationales comme n’importe quelles autres, utilisant les mêmes stratégies d’influence. Mais ils se distinguent aussi de plusieurs manières. D’abord par l’ampleur des moyens financiers et des ressources à leur disposition. Ensuite par leur capacité à jouer de leviers d’influence que d’autres multinationales n’ont pas à leur disposition, à travers notamment leurs liens avec tous les médias ou encore leur base d’usagers d’une envergure totalement inédite. Enfin par la spécificité de leur modèle économique qui requiert des approches et des formes de régulation nouvelles, constituant autant de nouveaux champs de bataille de lobbying.»

Parmi les nombreux points de ce rapport:

– Les dépenses déclarées de lobbying des GAFAM en France ont été multipliées par trois entre 2017 et 2021, passant de 1,350 million d’euros annuels à 4,075 millions. Les GAFAM «ont également déclaré un total de 72 activités de lobbying (rendez-vous avec des décideurs publics, échanges téléphoniques…) en 2021, contre 15 en 2017. Ces ordres de grandeur situent les GAFAM au même niveau que les plus actifs des groupes du CAC40 en matière de lobbying en France.»

– Les GAFAM s’assurent en même temps les services de nombreux cabinets de lobbying: au moins 8 à Paris et 10 à Bruxelles pour Google par exemple selon les données des registres de transparence.

– «Les lobbys sectoriels du secteur numérique, qui représentent environ 1,5 million d’euros de dépenses supplémentaires de lobbying, comptent tous des GAFAM parmi leurs membres, ce qui empêche de distinguer entre les intérêts du GAFAM et ceux du reste du secteur numérique.» Le rapport mentionne Numeum, l’AFNUM, l’ASIC et d’autres encore.

Un agenda ministériel très discret

– «La plus grande opacité continue de régner sur les rendez-vous entre dirigeants politiques français et représentants des GAFAM.» On sait très peu de choses là-dessus, alors qu’au niveau européen plus de données sont disponibles: «On sait ainsi que Google a bénéficié de pas moins de 72 rendez-vous avec la Commission présidée par Ursula von der Leyen depuis son entrée en fonction en 2019 . Meta en a eu 66, Microsoft 65, Apple 32 et Amazon 27. Sans oublier le principal lobby européen du secteur numérique, Digital Europe, qui en a eu 53.»

Du côté des responsables publics français, «la mise à jour et la publicité de leur agenda est complètement aléatoire. L’agenda de Jean-Noël Barrot, l’actuel ministre délégué chargé de la Transition numérique et des Télécommunications, semble par exemple vide ou pratiquement vide.»

– «Les GAFAM, à commencer par Google, ont débauché des dizaines d’anciens hauts fonctionnaires ou responsables d’autorités de régulation pour les aider dans leur travail d’influence.» «Selon le décompte de Corporate Europe Observatory et de Lobbycontrol, 70% des lobbyistes de Google et Meta ont travaillé précédemment dans des institutions publiques au niveau national et/ou européen» (le rapport cite plusieurs exemples de haut niveau de cette pratique des «portes tournantes» – dont, hors GAFAM, l’ancien ministre Jean-Louis Borloo chez Huawei).

– «Les géants du web ont conclu des partenariats avec des think tanks, des médias, des grandes écoles et institutions de recherche représentant des millions d’euros en France.» Exemples: «Entre autres multinationales, l’Institut Montaigne compte parmi ses financeurs Amazon, Doctolib, Google, Microsoft, ou encore Uber.»
«L’Institut Choiseul est également un think thank de poids en France qui s’est récemment positionné sur les enjeux de “souveraineté”. Amazon, Google, Microsoft, Thales et CDiscount figurent parmi ses financeurs. En collaboration avec France Digitale, il a notamment publié un rapport “Pour des champions européens du numérique et de l’innovation”, soutenu par Google, Microsoft, Capgemini et CDiscount, qui a été présenté à Mariya Gabriel, commissaire européenne à l’Innovation, la Recherche, la Culture, l’Éducation et la Jeunesse.»

Macron et le gouvernement en appui

Le storytelling des GAFAM, malgré des résistances, est renforcé par les «orientations politiques affirmées et assumées au sommet de l’État. Emmanuel Macron et le gouvernement français continuent de faire des récits et des critères de succès construits par la Silicon Valley l’alpha et l’oméga de leurs politiques économiques. De la “start-up nation” de 2017 aux “100 licornes françaises” de 2022, on nous somme d’entrer en compétition sur un terrain construit par les GAFAM, selon des règles conçues par eux. Les géants étatsuniens promeuvent une version de la “transition numérique” qui justifie les politiques de privatisation, de réduction des dépenses dans les services publics, de “disruption” du modèle social établi.

Dans le même temps, les États – et en particulier l’État français – semblent de plus en plus hypnotisés par les possibilités de contrôle et de surveillance ouvertes par les outils et les infrastructures des GAFAM, au risque d’en oublier le respect des libertés civiles. Depuis quelques mois, les pouvoirs publics français se gargarisent de “souveraineté numérique », mais cette revendication fait fond sur une vision du monde et des intérêts partagés – ce qui explique sans doute que cette “souveraineté” se traduise concrètement, en matière de “cloud” par exemple, par de nouveaux partenariats avec les GAFAM.»

En matière de choix entre logiciels libres et logiciels propriétaires, le rapport de l’Observatoire des multinationales revient sur le cas de l’Education nationale et de ses partenariats répétés avec Microsoft (un point en évolution?), puis Amazon.

«Deux exemples récents sont venus illustrer la propension de l’État français à confier des missions pourtant stratégiques ou sensibles à des groupes comme Microsoft ou Amazon, malgré ses professions de foi en matière de souveraineté. Les deux affaires illustrent aussi les relations étroites qui existent entre ces groupes et l’administration, qui n’a pas hésité à leur confier des marchés sans appel d’offres.» Il s’agit du Health Data Hub (HDH, ou Plateforme des données de santé, PDS), et des partenariats entre la banque publique d’investissement BpiFrance et Amazon.

Le rapport se conclut par des recommandations, demandant un meilleur encadrement du lobbying en France. Et pour l’Etat: «Il est plus que temps pour les pouvoirs publics de muscler leur expertise dans le domaine numérique, de soutenir véritablement les alternatives aux GAFAM, et de favoriser la montée en puissance de la société civile sur ces sujets.»

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