Les 5 défis numériques de l’administration Biden-Harris : épisode 1

Quoi que puisse tweeter Donald Trump, la voix des urnes est claire : le challenger Démocrate a gagné les élections présidentielles américaines. La passation de pouvoirs ne s’annonce pas de tout repos. Les défis constitutionnels sont fascinants si ça en arrivait là. Cela dit, je veux traiter ici des aspects tout aussi fascinants : quelle(s) stratégie(s) du numérique pour le nouveau duo présidentiel ?

Point vocabulaire : je parle sciemment de “numérique” plutôt que de la seule “cybersécurité”. Cette dernière n’existe pas dans une bulle, bien au contraire. Ainsi, même si d’aucuns peinent toujours à le voir, les enjeux du numérique sont (trop ?) souvent liés à la cybersécurité. Laquelle partage de nombreux défis avec les questions de conformité (par ex. au RGPD) et de plus en plus avec celles relatives à l’informationnel. Je pense, dans ce dernier cas, aux aspects régulation des plateformes, que ce soit par le prisme “concurrence” (coucou, Digital Services Act) ou désinformation et haine en ligne.

Revenons à l’essentiel. Joe Biden, malgré ses sobriquets peu flatteurs, est un animal politique de renom en matière de relations internationales. Six fois sénateur du Delaware, “Joe la Gaffe” a aussi une propension certaine pour les déclarations hors script en live. Même si des aspects liés au numérique lui échappent, il sait bien s’entourer, en saisit pleinement les enjeux et a quelques marronniers en la matière. Kamala Harris, pionnière dans tout un tas de domaines, apporte du frais, un engagement diversité qui manquait quelque peu jusqu’ici et une solide expertise en matière de numérique. J’attire ton attention, cher lecteur, sur le passé assez dense de Mme Harris en matière législative dans ce domaine. Bon, elle aussi est peu loquace sur les orientations à venir du numérique US. Mais peut-on leur en vouloir en pleine crise COVID-19 avec un Trump qui refuse de concéder sa défaite ? (Pour la #TeamPremierDegré, c’est une question rhétorique.)

J’ai donc fait un Top 5 des sujets les plus préoccupants que la présidence Biden-Harris aura à gérer (le 3e va vous étonner). Il y a une bonne dose de géopolitique dans ce qui suit : c’est le seul angle de lecture qui fasse sens quand on parle d’immatériel et qui, de prime abord, transcende des logiques nationales, mais avec de vrais impacts sur ces mêmes territoires. Qui plus est, le numérique reste – pour l’instant – l’un des seuls sujets apolitiques avec des répercussions très politiques. Cet aspect est important à garder à l’esprit : Biden a déjà soutenu certaines actions de Trump en matière de cyber car elles sont apolitiques. 

Comme il y a beaucoup de choses à dire, j’ai découpé ce qui suit en trois parties :

  • La première que vous lisez en ce moment introduit le sujet et présente le défi n°5 ;
  • La deuxième, à paraître la semaine prochaine, parlera des défis n°4 et 3 (vie privée, surveillance, interférence étrangère) ;
  • Enfin, la troisième et dernière abordera les défis n°2 et 1 (relations internationales, stratégie globale dont hack back).
publicité

Défi n°5 : Innovation et technologies de rupture

En quatre ans, certains sujets ont bien évolué, aussi bien dans les perceptions qu’on en a que technologiquement. Ainsi, pour son retour à la Maison Blanche, cette fois en tant que Président, Biden devra rattraper 2-3 trucs, que ce soit sur le spatial ou encore l’IA. Le modèle économique de l’investissement américain – misant sur les technologies à double usage – semble s’essouffler. A côté de ce constat, un consensus semble se dégager parmi Démocrates et Républicains que le gouvernement fédéral doit davantage investir dans l’innovation, notamment à travers une stratégie (par opposition à l’approche ad hoc actuelle). De plus, il n’existe pas d’organisme national qui piloterait les initiatives de façon cohérente. Ce qui crée une hétérogénéité importante dans les prises d’initiatives et leurs financements, ces aspects dépendant de chaque administration. Les gars à deux doigts d’inventer le gouvernement centralisé, diraient certains.

Des esprits chagrins pourraient crier au buzzword proscrit mais les défis de l’innovation numérique sont autant de défis de la cybersécurité. Oui, l’expression “intelligence artificielle” est galvaudée, les débats autour de ce sujet se transformant trop souvent en pugilats de gens souhaitant exister médiatiquement. Ce n’est pas pour autant qu’il faut éviter ces sujets, qu’il s’agisse de la transparence des algorithmes, de la robotique, de la protection des actifs spatiaux ou encore de l’IA. Ignorer, pire, conspuer ces sujets, c’est se condamner à ne pas évoluer.

Trois grands sujets se dégagent lorsqu’on parle d’innovation et technologies de rupture : l’IA (j’y inclus la robotique), la 5G et le spatial. Ces sujets importent à plusieurs niveaux. D’une part, avec le développement et la sophistication technologique croissante, viennent des questions de compétences et d’usages. De même, viennent à l’esprit les frayeurs liées à l’automatisation de beaucoup de métiers et à la précarisation de nombreuses personnes. Ces sujets sont récents, leur impact sur le tissu économique et social commence à peine à être évalué (et peut parfois surprendre).

D’autre part, d’un point de vue stratégique, les technologies de rupture sont directement liées à une suprématie technique et ont de forts enjeux de sécurité. On pense tout de suite à la 5G, l’un des visages visibles des bisbilles entre les US et la Chine. Joe Biden s’est déjà engagé à coopérer avec des alliés américains pour développer le réseau 5G, ainsi que d’autres technologies de rupture, et les protéger contre les tentatives d’intrusion d’ennemis des US.

Ainsi, les questions d’organisation et de dotation de ces technologies de rupture exigent des réponses aujourd’hui. Les efforts sont éparpillés, chaque Etat faisant comme il veut (et peut), sans direction claire au niveau fédéral. De nombreuses voix se sont élevées pour demander la création d’un bureau fédéral dédié. L’administration Trump a tenté un engagement sur l’IA, mais les moyens et les objectifs concrets n’ont jamais été au rendez-vous. Définir des principes fondateurs pour le développement de l’IA est à la fois un obstacle et une opportunité pour les relations transatlantiques. Aussi bien M Biden que Mme Harris sont plutôt ouverts à l’idée de ne pas trop contraindre le secteur pour ne pas tuer l’innovation. Cela dit, Mme Harris s’intéresse de près à l’aspect biais algorithmique, et un engagement existe à “assurer le développement de technologies du futur telles que l’IA en accord avec la loi et l’éthique”. On reparlera (brièvement) de ce sujet quand on abordera les défis de reconstruction des relations avec les alliés.

La situation est similaire avec d’autres technologies de rupture. On peut ne pas apprécier le Space Kraken aka Elon Musk, toujours est-il qu’il est un levier considérable dans le domaine de l’innovation, qu’il s’agisse de voitures ou d’exploration spatiale. Or, légiférer sur les véhicules autonomes est l’apanage de chaque Etat individuel, ce qui ne tardera pas à mettre le boxon sur les routes.

Quant au spatial, le sujet semble totalement ignoré par beaucoup, réduit à des gloussements gênants sur la Space Force chère à Trump. Je rappelle, à toutes fins utiles, que sans satellites, une énorme partie de nos activités quotidiennes ne serait pas possible (GPS, propagation du temps, etc.). Le spatial est aussi crucial pour la défense, qu’il s’agisse de précision dans le guidage balistique ou de la surveillance de zones/cibles. Quand on pense que l’opération d’objets artificiels spatiaux dépend d’une connexion Internet et, donc, d’infrastructures terrestres, on comprend encore mieux les besoins de renforcer la sécurité de ces installations. S’y ajoutent les proclamations belliqueuses américaines que “l’espace est un domaine où on fait la guerre”, déclaration tout à fait sérieuse et qui s’inscrit dans un développement militarisé du spatial côté Russie et Chine. On s’oriente ainsi vers un besoin pressant de corégulation pour comprendre comment le droit de la guerre s’appliquerait au domaine spatial.

Il n’est pas encore clair comment le duo Biden-Harris prendra ces défis à bras le corps. Il est, certes, encore un peu tôt (rappel : pandémie mondiale). Mon ressenti est que l’approche sera en deux temps, sur le volet législatif d’une part (entraîné par Mme Harris) et sur le volet diplomatique d’autre part (le domaine de prédilection de M Biden). On entendra probablement parler de l’aspect diplomatique bien plus, ne serait-ce que de fait de l’attachement atlantiste de M Biden et son ambition à poursuivre et renforcer le travail de l’OTAN. La suite au prochain épisode 😉

Drop here!

Leave a Reply

Discover more from Ultimatepocket

Subscribe now to keep reading and get access to the full archive.

Continue reading