Le protocole Moleskine pour guider ses collaborateurs dans le télétravail

Le protocole Moleskine pour guider ses collaborateurs dans le télétravail

Basé à Milan, en Italie, le papetier et concepteur de carnets Moleskine externalise la plupart de sa fabrication en Chine et a son plus grand marché aux Etats-Unis, ce qui signifie que depuis janvier, il a dû faire face au coronavirus sur trois fronts différents.

La première chose a été le passage immédiat au télétravail, mis en place le plus rapidement possible. « Nous sommes passés de rien à tout », témoigne Peter Jensen, directeur de la marque et de l’innovation de l’entreprise, à ZDNet. « Nous n’avons pas pu nous adapter progressivement, en renvoyant le personnel à domicile deux jours par semaine, puis trois jours par semaine. C’était tout le monde, et du jour au lendemain. »

Ce changement est encore plus compliqué : alors que Peter Jensen lui-même vit à Copenhague, la grande majorité du personnel qu’il a dû gérer au cours des trois derniers mois est basée en Italie. L’Italie a l’une des plus faibles proportions de salariés familiarisés avec le travail à distance en Europe, avec seulement 1,1 %. En revanche, plus de 20 % des travailleurs du Danemark, pays natal de Jensen, déclarent travailler « parfois » à domicile.

Peter Jensen : « Il faut définir un protocole selon une démarche ascendante » (Image : Moleskine)

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Une transition numérique amorcée

Heureusement, Moleskine était, comme beaucoup d’autres, sur le point de lancer sa transformation numérique. Au début de l’année 2020, les responsables déployaient lentement Dropbox, Slack et Zoom, et Office 365 était déployé dans toute l’organisation.

L’idée était de lancer un processus d’innovation pour l’entreprise, et à la mi-janvier, l’équipe de Peter Jensen était en train de mettre en place des pilotes pour les nouveaux outils. « Puis, d’un jour à l’autre, nous nous sommes retrouvés à nous dire “OK, le pilote est terminé” », explique-t-il. Avec tout le monde soudainement enfermé à la maison, le pilote devenait une réalité immédiate, il fallait donc qu’il réussisse.

Au moins, le travail a été fait. Nous n’avons pas perdu de temps pour décider quelle plateforme serait optimale ou quels services seraient préférables ; l’infrastructure était déjà là et, dans certains cas, il a suffi de la mettre à l’échelle. Bien entendu, la première étape consistait à assurer la continuité des activités grâce à des VPN plus puissants et à une messagerie ou un partage de fichiers sécurisés–  « vous devez vous assurer que votre plomberie est en bon état » – mais il est rapidement apparu que le défi ne serait pas purement technique.

Au-delà des défis techniques

Une fois les obstacles informatiques surmontés, le directeur a dû faire face à la réalité de ses employés, qui étaient désormais chez eux et, dans la plupart des cas, n’avaient pratiquement aucune expérience du travail à distance. Son premier réflexe a été de faire appel à une équipe pour définir les lignes directrices de la nouvelle normalité. C’est ainsi qu’est née la “Smart Working Etiquette” de Moleskine.

Ce document de 12 pages n’a rien de sorcier. « Ce sont des déclarations de base qui ne vont pas très loin », détaille-t-il, « mais cela a mis tout le monde sur la même longueur d’onde. Dans une entreprise qui a si peu recours au télétravail, il faut définir un protocole par un processus ascendant, plutôt que d’agiter un gros doigt et de dire qu’il faut se comporter d’une certaine manière ».

Les rappels « le matin, changez de pyjama » ou « assurez-vous de vous connecter aux outils de l’entreprise » comme Skype, Teams ou Slack pendant les heures de travail peuvent sembler évidents, mais Jensen est catégorique : ils étaient nécessaires.

“Smart working”

Le protocole de Moleskine inclut désormais « mettez-vous en muet lors des réunions virtuelles pour éviter les bruits de fond », « mettez à jour votre profil Outlook avec votre photo et le numéro de téléphone de votre entreprise » ; ainsi que des conseils pour installer son nouveau bureau « dans l’endroit le plus lumineux et le plus confortable de votre logement ».

Le nouveau guide de l’entreprise est conçu pour permettre une meilleure communication entre les équipes : les conseils portent non seulement sur la nécessité de s’assurer que le personnel est joignable pendant les heures de travail, mais aussi sur la mise en place de contacts réguliers entre managers et membres de l’équipe, afin de partager les activités et les délais, mais aussi les résultats et les aboutissements.

Et une grande partie du protocole de “smart working” de Moleskine est, de manière assez prévisible, orientée vers le bon déroulement des réunions virtuelles. Veiller à ce que les réunions soient conformes aux horaires et aux fuseaux horaires des participants, toujours répondre à une invitation du calendrier, n’inviter qu’un nombre minimal de personnes… autant de recommandations pour mieux préparer les conférences. Pendant les réunions, le personnel est tenu de rester clair et concis et d’éviter le multitâche, même pour la vérification rapide occasionnelle des e-mails. Une fois la réunion terminée, les employés doivent partager leurs notes et les étapes suivantes par courriel, et ne pas oublier d’envoyer un récapitulatif des notes de la réunion à ceux qui n’ont pas pu y assister.

Confiance mutuelle

Qu’il l’ait fait sciemment ou non, en décrivant l’ABC du travail à distance, Peter Jensen a suivi les conseils des analystes qui conseillent les DSI depuis des décennies. Les experts s’accordent tous à dire que les responsables ne doivent jamais s’attendre à ce que tout le personnel connaisse les bases, car il est très peu probable que l’ensemble du personnel soit passionné par le numérique. Etablir un appel vidéo ou savoir quoi faire si leur connexion internet est instable ne sont pas des pratiques intuitives pour des employés qui ont toujours été au bureau.

Le défi a été en grande partie culturel. Peter Jensen a pris la direction d’une toute nouvelle section de l’organisation vers la mi-janvier de cette année. Selon lui, il a été très difficile d’instaurer la confiance au sein de sa nouvelle équipe, dans une culture d’entreprise qui avait été soudainement déplacée vers un monde virtuel.

« J’ai lancé des produits à succès dans le passé sans jamais rencontrer l’autre partie en personne », explique-t-il, « mais c’est différent car l’objet de la collaboration est clair, et la confiance est un facteur différent. Lorsque vous changez d’organisation et que vous devez soudainement faire tout cela à distance, c’est un grand défi. Nous le gérons, mais ça ne semble pas tout à fait normal ».

La confiance fonctionne dans les deux sens : le directeur doit encourager ses équipes à lui faire confiance, mais il se rend également compte qu’il doit relâcher sa propre emprise sur le personnel. Bien sûr, faire face aux défis commerciaux actuels de Moleskine dans trois parties du monde qui sont, ou ont été, les plus touchées par la pandémie – et tout cela sur Zoom et Dropbox – exige un certain degré de discipline. Mais il abandonne peu à peu l’idée qu’une collaboration efficace ne peut se faire que dans un bureau physique – un « mode de pensée de la vieille école », dit-il, selon lequel vous ne pouvez communiquer avec vos collègues que s’ils se trouvent juste à côté de vous.

« Je l’appelle le phénomène E.T. », dit-il, avant de s’excuser pour la référence au film rétro. « L’idée qu’il faut toucher pour ressentir une connexion. Mais ce n’est pas parce que vous voyez pas vos collègues qu’ils sont en train de boire des shots de tequila et de ne pas travailler. J’aime à penser que la discussion sur le “manque de confiance” est terminée pour nous maintenant. »

Le bon équilibre entre vie personnelle et professionnelle

Huit semaines après le début de l’expérience, le responsable de l’innovation chez Moleskine a commencé à évaluer l’aspect humain de la gestion d’une main-d’œuvre coincée chez elle. « Je constate que nous passons maintenant plus de temps sur le côté plus doux de la situation », affirme-t-il, ajoutant que l’empathie est essentielle dans le contexte d’une crise socialement dramatique qui oblige les gens à rester isolés.

« La solitude est un facteur important », explique le directeur, « et ce n’est évidemment pas quelque chose que nous avons couvert dans nos lignes directrices de travail intelligentes. C’est un énorme défi du point de vue du leadership ».

Peter Jensen s’efforce activement d’encourager le personnel à trouver un équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Comme le travail à distance brouille les frontières entre les heures de travail et les loisirs, par exemple, l’entreprise établit des règles pour institutionnaliser la durée d’une journée de travail. Cependant, il est plus problématique de préserver les moments informels qui se produisent au bureau ou, comme il le décrit, de « formaliser les moments informels ». L’entreprise fait l’essai d’un « refroidisseur d’eau numérique », mais le directeur en est encore au stade de la réflexion. « Vous devez programmer des appels où vous parlez de, je ne sais pas, votre playlist préférée et des choses comme ça », suggère-t-il.

Troisième phase

Selon le responsable de l’innovation de l’entreprise, Moleskine réfléchit actuellement à la troisième phase de son parcours. Les obstacles techniques du travail à distance ont été surmontés, et le bien-être des employés fait l’objet d’une réflexion plus approfondie ; mais Peter Jensen se penche déjà ce que sera la culture de l’entreprise après la pandémie.

Il n’est pas nécessaire d’être très prévoyant pour prédire qu’un retour à la normale est peu probable et que le télétravail est là pour rester, même dans un pays comme l’Italie, où le travail dans un bureau physique était encore très largement la norme il y a quelques mois. Même si des rencontres physiques et une certaine présence au bureau seront encore nécessaires, le “smart working” fera partie de l’identité culturelle de Moleskine – et de la plupart des entreprises.

S’il y a une chose dont Peter Jensen est sûr, c’est qu’en tant que responsable de l’innovation, il sera plus libre. La vitesse à laquelle Moleskine s’est adapté à un format de travail radicalement nouveau, si tant est qu’il y en ait eu un, a prouvé que l’innovation peut être mise en œuvre rapidement et à grande échelle. « Si on se demandait auparavant si c’était possible, il est maintenant clair que ça l’est », une devise qui sera certainement appliquée à toutes sortes de nouvelles idées à l’avenir. Les « mécanismes de contrôle et les processus de décision stéréotypés des entreprises », ajoute-t-il, appartiendront bientôt au passé.

Ce que Peter Jensen anticipe vient d’une carrière de deux décennies dans l’innovation. Mais même pour lui, la crise du coronavirus a apporté un certain nombre d’inconnues avec lesquelles il est toujours aux prises. « Nous sommes toujours en transition », dit-il. « J’ai eu 20 ans d’expérience en tant que dirigeant, et j’ai appris autant de choses du jour au lendemain. »

Source : ZDNet.com

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