Le président russe, Vladimir Poutine, remporte son référendum – Le Monde

Vladimir Poutine a voté à Moscou, mercredi 1er juillet.

Au cours d’un scrutin inédit par sa forme, taillé sur mesure pour une victoire du oui, les Russes ont approuvé une réforme de leur Constitution qui permet à Vladimir Poutine de rester au pouvoir après la fin de son mandat en 2024. Jamais, auparavant, la Loi fondamentale n’avait été réécrite au profit d’un seul individu, et M. Poutine avait à plusieurs reprises, ces dernières années, exclu cette hypothèse.

Cette mesure – la « remise à zéro » des mandats présidentiels – était noyée dans une longue liste de quarante-six amendements constitutionnels soumis à l’assentiment des électeurs. Selon des résultats encore partiels, plus de 77 % d’entre eux se sont prononcés en faveur de la réforme. La participation, principale crainte des autorités, s’établit à 65 %, proche de l’objectif de 70 % fixé selon de nombreuses sources aux responsables régionaux.

Les clés de ce succès, pour le pouvoir, sont multiples : popularité réelle de M. Poutine, soif d’une stabilité qui s’est imposée comme la valeur cardinale de la politique russe, mais aussi un marketing électoral aussi retors qu’efficace et des arrangements importants avec les standards d’un scrutin démocratique.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi La Russie aux urnes pour un référendum permettant à Vladimir Poutine de rester au pouvoir au-delà de 2024

Irrégularités et fraudes

De fait, l’histoire retiendra probablement, autant que son résultat ou ses conséquences, les conditions dans lesquelles ce scrutin aura été organisé. Dès l’origine, les autorités ont rejeté l’utilisation du référendum, prévu par la Constitution mais aux règles trop contraignantes. Elles ont conçu une procédure ad hoc, sans possibilité d’un débat entre le oui et le non, et qui a permis toutes les fantaisies.

Toute la semaine, sur les réseaux sociaux, les Russes se sont amusés à recenser les bureaux de vote les plus baroques installés en pleine rue : coffre de voiture, souche d’arbre, charriot de supermarché… Et, le plus souvent, simples bancs disposés face aux sorties d’immeubles, une pratique à la limite de la légalité mais qui aura été efficace pour obtenir le vote du plus grand nombre. Les commissions électorales ont aussi pratiqué le porte-à-porte, interdit d’ordinaire. Enfin, des pressions ont été exercées sur les fonctionnaires et les employés des grandes entreprises.

Des irrégularités et des fraudes plus traditionnelles ont aussi été constatées – votes multiples, bourrages d’urnes – alors que les observateurs avaient été désignés selon une procédure nouvelle. Selon l’organisation non gouvernementale (ONG) de supervision électorale Golos, les fortes disparités régionales en matière de participation sont le signe de falsifications. Le vote électronique, autorisé à Moscou et Nijni-Novgorod, a eu un succès particulier – et suspect – auprès des retraités.

Pour autant, ce vote si particulier n’a que peu suscité de débats dans la société russe. L’opposition, elle, s’est divisée entre appels au boycottage et à voter contre, mais sans passion particulière.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi En banlieue de Moscou, petits arrangements électoraux et plébiscite par défaut

Difficile de savoir sur quoi les électeurs ont voté

Lors du dépouillement dans un bureau de vote à Saint-Petersbourg, mercredi 1er juillet.

De nombreux observateurs craignent toutefois que cette élection ne constitue un précédent, et que les normes retenues pour son organisation ne s’appliquent désormais aux scrutins traditionnels. La présidente de la commission électorale a ainsi d’ores et déjà proposé d’étendre la pratique du vote sur une semaine, mise en place en raison des risques liés au coronavirus, aux scrutins habituels.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi En Russie, l’étoile pâlie du pouvoir face au coronavirus

Dans ces conditions, les enseignements de ce scrutin sont délicats à tirer. D’autant plus qu’il est difficile de savoir sur quoi les électeurs ont réellement voté. Les autorités ont tout fait pour effacer des débats la question des mandats présidentiels, et dissimuler ainsi le sujet principal du scrutin. La campagne d’« information » officielle, tout comme les documents distribués donnés aux électeurs, ne mentionnait même pas la remise à zéro des mandats présidentiels.

Au contraire, ce sont les mesures les plus symboliques, principalement d’inspiration conservatrice, qui ont été mises en avant : protection de la « vérité historique », défense de la souveraineté territoriale, définition de la famille comme institution hétérosexuelle…

Les quelques mesures sociales contenues dans le nouveau texte semblent aussi avoir joué un rôle majeur, en particulier « l’indexation annuelle des retraites », qui n’introduit pourtant aucune nouvelle obligation pour l’Etat.

Chacun a pu, en quelque sorte, trouver ce qu’il voulait dans cette nouvelle Constitution, jusqu’à de vagues proclamations concernant la protection des animaux. Sans compter l’attrait exercé par les animations aux abords des bureaux de vote, les cadeaux distribués, les loteries proposant smartphones, voitures, bons alimentaires ou places de cinéma.

Vladimir Poutine laisse toutes les options ouvertes

Ce vote éclaire-t-il au moins l’avenir personnel de M. Poutine ? Pas vraiment. Les hypothèses existantes avant le vote restent valables. Pour les uns, le président a réussi son pari et compte bien utiliser son droit nouvellement acquis de rester au pouvoir plusieurs années supplémentaires. Autrement dit, celui de devenir « un satrape centre-asiatique », selon les mots de l’écrivain Dmitri Gloukhovski.

Une autre hypothèse veut que M. Poutine ait surtout cherché à donner un souffle nouveau à son mandat et à renforcer son autorité et sa légitimité à l’heure d’organiser sa succession. La seule fois où il a évoqué le sujet, au cours d’un entretien diffusé au début du vote, le président de 67 ans a ainsi dit « ne pas exclure » de se représenter en 2024, mais en expliquant avant tout vouloir « éviter que tout le monde soit occupé à chercher des successeurs au lieu de travailler ».

Son porte-parole, Dmitri Peskov, a lui aussi estimé que l’ensemble du processus visait à « cimenter le système », une formule qui résonne étrangement si l’on se souvient que M. Poutine avait lancé sa réforme, en janvier, au nom des « changements » réclamés selon lui par les Russes.

De là viendrait également le souci de graver dans le marbre constitutionnel ce que le président considère être son héritage politique et idéologique. « Poutine renforce les bases de ce qu’il voit commel’Etat poutinienet remet à plus tard la décision sur son avenir, assure la politiste Tatiana Stanovaya. Cela ne veut pas dire qu’il partira en 2024, mais en attendant il laisse toutes les options ouvertes. Et renforce les pouvoirs présidentiels pour lui-même ou pour son successeur. »

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Poutine-2024, signe de faiblesse et aveu d’échec

Leave a Reply

Discover more from Ultimatepocket

Subscribe now to keep reading and get access to the full archive.

Continue reading