Le « mois sans alcool » reprend, toujours sans aides publiques – Le Monde

Objectif : pas une goutte d’alcool ce mois-ci. Pour la troisième année de suite en France, des volontaires s’attellent à partir du samedi 1er janvier au défi du « Dry January » (« janvier sec », en français), un « mois sans alcool » lancé sur le modèle d’opérations dans les pays anglo-saxons et scandinaves.

Une opération de santé publique, sans l’aide de Santé publique France. « On n’a pas d’aide gouvernementale. On est toujours sans moyens », regrette la juriste Claude Rambaud, vice-présidente de la fédération d’associations France Assos Santé, qui chapeaute cette campagne. Cette année encore, l’opération n’aura pas de soutien de l’Etat, qui s’est brutalement retiré de l’opération à la fin de 2019, cédant au lobbying actif des alcooliers.

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Effet durable

Si janvier est une période propice pour faire une pause, après des fêtes souvent marquées par une importante consommation d’alcool, le but de l’opération n’est pas seulement de laisser du répit à son organisme, c’est aussi de se rendre compte par soi-même de ce qui change dans un quotidien sans alcool.

« L’idée, c’est d’essayer de faire cette pause, mais la campagne ne se veut pas du tout moralisatrice : chacun peut essayer de mesurer son rapport à l’alcool pendant ce mois-là », explique Mme Rambaud. Ce type de campagne fait de plus en plus ses preuves en matière de santé publique. Au lieu de mettre l’accent sur les risques représentés par une substance – ici, l’alcool –, on insiste sur les avantages à ralentir sa consommation. Les participants sont aussi stimulés par un défi qui rassemble de nombreuses personnes au même moment.

« Beaucoup de gens qui font cette pause continuent ensuite » à moins consommer d’alcool, rapporte Mme Rambaud, sur la foi d’études faites dans des pays anglo-saxons. « Ça lance un élan », insiste-t-elle.

Pas de moyens

Sur le même principe que le Mois sans tabac, lancé chaque année à l’automne, le « Dry January » n’a pourtant pas accès aux mêmes moyens. Le Mois sans tabac est soutenu depuis des années par l’Etat, via l’agence Santé publique France, alors que le « Dry January » n’est le fait que d’associations, certes rejointes par plusieurs municipalités comme celle de Lyon. « Ça n’a rien à voir avec ce qui se passe au Royaume-Uni, où ils sont extrêmement soutenus par le gouvernement », regrette Mme Rambaud.

Les associations reprochent à l’Etat de céder aux lobbys de l’alcool, en premier lieu les viticulteurs, qui agitent le spectre d’une campagne hygiéniste et inadaptée à « l’art de vivre » à la française.

Du côté de Santé publique France, qui avait failli se lancer dans la campagne pour sa première année, en 2020, mais y avait renoncé in extremis, le jeu d’équilibriste perdure. L’agence, qui dépend du ministère de la santé, ne cache pas son intérêt pour le « Dry January » ; elle a mené plusieurs enquêtes sur son déroulement et son vécu par les participants. Mais elle se tient éloignée d’une implication directe.

Risques pour la santé mal appréhendés

Santé publique France se place « en soutien » des organisateurs du « Dry January », expliquait à l’automne sa directrice générale, Geneviève Chêne, mettant l’accent sur d’autres campagnes de l’agence contre les risques liés à l’alcoolisme. Ces opérations publiques sont, toutefois, plus axées sur les risques liés aux comportements – agressivité, danger sur la route – que sur ceux qui touchent directement la santé des buveurs.

Or ces risques pour la santé sont souvent mal appréhendés, comme en témoigne une incompréhension fréquente sur le « Dry January ». La campagne ne concerne pas que les gros buveurs, car une consommation modérée mais régulière représente aussi un risque pour la santé.

« Pour les non-participants, la cible de l’opération est en priorité constituée des personnes dépendantes ou des jeunes consommateurs qui ne maîtriseraient pas leur consommation », explique une étude réalisée par Santé publique France à partir d’entretiens individuels, et publiée en décembre dans la revue Alcoologie et addictologie. « Ils ne se sentent donc pas concernés », concluent les auteurs, estimant qu’il y aurait tout à gagner à mieux médiatiser le « Dry January ».

Mortalité plus importante en France

Dans une expertise collective publiée le 4 juin, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) rapportait que « la mortalité attribuable à l’alcool est plus élevée en France qu’ailleurs en Europe ». L’alcool est « une drogue, une molécule cancérigène et toxique pour de nombreux organes (…), responsable directement ou indirectement d’une soixantaine de maladies », rappellent les experts.

Sur les 41 000 décès attribuables à l’alcool, 16 000 sont liés à des cancers, 9 900 à des maladies cardio-vasculaires, 6 800 à des maladies digestives, 5 400 à une cause externe (accident ou suicide) et plus de 3 000 à une autre pathologie (maladies mentales, troubles du comportement, par exemple).

En France, selon l’expertise de l’Inserm, « environ 23 % de la population [adulte] auraient une consommation à risque ponctuel, et environ 7 % une consommation à risque chronique ou présentant la possibilité d’une dépendance », résume l’expertise. Parmi les hommes, 24 % ont une consommation à risque ; parmi les femmes adultes, 9 % – chez les 18-35 ans, ce sont 30,7 % des hommes et 12,9 % des femmes, et chez les plus de 50 ans, 35 à 37 % des hommes et 13 à 14 % des femmes.

L’impact du Covid-19 n’a pas été analysé dans cette expertise, achevée avant la pandémie. Néanmoins, cette dernière semble avoir favorisé les consommations à risque, et plus encore pour les femmes, au vu de la hausse des consultations dans les centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie.

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Le Monde avec AFP

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