Le leader de l’opposition russe, Alexeï Navalny, hospitalisé dans un état grave – Le Monde

Navalny, lors d’un rassemblement marquant le 5e anniversaire du meurtre de l’opposant à Poutine Boris Nemtsov, à Moscou, le 29 février 2020.

L’opposant politique russe Alexeï Navalny a été hospitalisé, jeudi 20 août, après avoir été empoisonné, selon sa porte-parole, qui s’est exprimée sur Twitter. Il est désormais inconscient, dans un état grave, et a été placé dans une unité de soins intensifs de l’hôpital d’Omsk, en Sibérie, selon l’agence de presse d’Etat TASS.

Navalny était dans un vol rejoignant Moscou depuis Tomsk, une ville de Sibérie, quand son état de santé s’est subitement dégradé. « Alexeï a été empoisonné, intoxiqué », et « se trouve désormais en soins intensifs », a écrit sa porte-parole, Kira Iarmich. « L’avion a fait un atterrissage d’urgence à Omsk. (…) Nous supposons qu’Alexeï a été empoisonné avec quelque chose de mélangé dans son thé. C’est la seule chose qu’il ait bue depuis le matin. Les médecins disent que la toxine a été absorbée plus rapidement par le liquide chaud », a poursuivi Mme Iarmich, qui précise que M. Navalny a été placé sous respirateur artificiel. « Nous avons exigé que la police vienne à l’hôpital », a-t-elle ajouté.

Sur les réseaux sociaux, des théories circulent. Des dizaines de comptes mettent ainsi en avant la toxicomanie supposée d’Alexeï Navalny, qui n’a jamais été plus qu’une légende. Le quotidien Moskovski Komsomolets assure de son côté que « Navalny avait bu de l’eau-de-vie avant le vol ». Selon une source anonyme citée par l’agence de presse russe TASS, au sein des services de sécurité, la version de l’empoisonnement « n’est pas prise en compte ».

Le médecin traitant de Navalny demande son évacuation

Un des médecins de l’hôpital central d’Omsk s’est adressé aux journalistes réunis devant l’établissement. Sans exclure l’hypothèse d’un empoisonnement, il a évoqué « d’autres causes possibles », sans donner plus de détails. Les praticiens de cet établissement ont retardé à plusieurs reprises leur lecture d’un premier diagnostic. Selon le médecin, l’état de M. Navalny est « stable » et les équipes de l’hôpital « font tout pour lui sauver la vie ».

Dans une interview à Novaya Gazeta, l’un des médecins traitants d’Alexeï Navalny, Iaroslav Achikhmin, demande son évacuation d’Omsk. Selon lui, il en va de sa survie, en raison des équipements limités de l’hôpital de cette ville de Sibérie. Cette évacuation permettrait aussi de savoir avec certitude s’il y a eu empoisonnement.

M. Achikhmin donne ainsi sa préférence pour un transport vers un hôpital en Europe, citant plusieurs villes, dont Strasbourg, Hanovre ou Salisbury (ville britannique où l’ancien espion Sergueï Skripal avait été victime d’une tentative d’empoisonnement en mars 2018).

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La question d’une évacuation vers l’Europe rappelle aussi le cas de l’activiste Piotr Verzilov, membre des Pussy Riot, qui avait pénétré sur la pelouse le soir de la finale de la Coupe du monde, en 2018. Deux mois plus tard, il était tombé subitement malade, après une convocation au tribunal. Au bout de plusieurs jours, il avait été transféré en Allemagne, où les médecins avaient jugé hautement probable l’hypothèse d’un empoisonnement.

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Dépôt d’une plainte

Des images diffusées par les membres de son équipe ont montré M. Navalny, 44 ans, évacué sur une civière sur le tarmac de l’aéroport d’Omsk. Dans une autre vidéo, tournée à bord de l’avion, on peut entendre des râles de douleur venant de sa place.

Son plus proche lieutenant, Leonid Volkov, a confirmé au Monde qu’une plainte avait été déposée au Comité d’enquête, à Moscou, pour des faits d’empoisonnement. La police et des membres du Comité d’enquête, chargé des importantes affaires criminelles, sont arrivés à l’hôpital d’Omsk, a annoncé Mme Iarmich.

Viatcheslav Guimadi, le directeur juridique du Fonds de lutte contre la corruption de M. Navalny, a écrit sur Twitter qu’il n’y avait « aucun doute que Navalny a été empoisonné pour ses activités et ses positions politiques ».

Il a réclamé l’ouverture d’une enquête pour « tentative d’assassinat sur une figure publique ». Alexeï Navalny était à Tomsk pour son travail, a ajouté Kira Iarmich au micro de la radio Echo de Moscou.

Lors de son point presse quotidien, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a souhaité à Alexeï Navalny de se rétablir, « comme à n’importe quel citoyen ». Il a aussi promis son aide pour une évacuation vers l’étranger, si une telle demande était formulée. Selon M. Peskov, Vladimir Poutine n’a pas été informé « spécifiquement » de l’hospitalisation de M. Navalny mais via sa revue de presse. Pour mémoire, durant son règne au Kremlin, M. Poutine n’a jamais consenti à prononcer le nom de l’opposant.

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Interpellations et pressions régulières

Principal opposant au président Vladimir Poutine depuis l’assassinat de Boris Nemtsov en 2015, cet avocat de 44 ans, dont les publications anticorruption sont abondamment partagées sur les réseaux sociaux, a déjà souffert d’attaques physiques dans le passé. Il avait eu notamment les yeux aspergés par un produit désinfectant à la sortie de son bureau en 2017. Lors de l’une de ses dernières détentions, à l’été 2019, Navalny avait également accusé le pouvoir de l’avoir empoisonné, après l’apparition inexpliquée d’un gonflement des paupières et de multiples abcès au cou, au dos, au torse et aux coudes. Mme Iarmich a assuré être « sûre que la même chose est arrivée aujourd’hui ». « Ce sont des symptômes différents, manifestement un autre produit », a-t-elle précisé.

M. Navalny, ses partisans et leurs familles font régulièrement l’objet d’interpellations, de perquisitions et de pressions policières dans toute la Russie. Navalny a par ailleurs purgé de nombreuses peines de prison ces dernières années pour avoir organisé des manifestations, au point que la Cour européenne des droits de l’homme condamne ses placements en détention de 2012 et 2014, qu’elle a jugés politiquement motivés.

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Le Monde avec AFP, AP et Reuters

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