Le général Lecointre quitte ses fonctions de chef d’état-major des Armées : les raisons d’un départ amer – Le Parisien

Quelques jours après la décision d’Emmanuel Macron d’arrêter l’opération Barkhane, l’annonce du départ du général François Lecointre de son poste de chef d’état-major des armées (CEMA) a créé la surprise. Pourtant, ce changement était planifié et ne serait pas une conséquence directe du retrait programmé du Sahel ; pas davantage, officiellement du moins, du malaise suscité au sein de l’armée par la publication des deux récentes tribunes de militaires au ton factieux publiées dans Valeurs actuelles. Il n’empêche, cet épisode a affecté le militaire qui a pu ressentir un certain isolement au sein de l’appareil politico-militaire. Dimanche, en tout cas, l’Elysée et l’état-major ont orchestré la sortie du CEMA.

« Le général Lecointre a soumis il y a plusieurs mois au président de la République sa demande de quitter le service actif après le 14 juillet 2021 », indiquait un communiqué du Palais… quelques minutes avant que l’intéressé, invité du « Grand Jury RTL, LCI-Le Figaro », ne commente lui-même son « souhait de partir ». Précisant même la date de passage du témoin à son successeur, le général Thierry Burkhard, actuel chef d’état-major de l’armée de terre, « le 21 juillet ».

Pourquoi cette détermination alors que l’officier, âgé de 59 ans mais prolongé dans son grade par un décret spécial en mars, s’était vu demander par le chef de l’Etat « de rester plus longtemps » ? En clair, jusqu’à la fin du mandat présidentiel. « Je ne souhaitais pas qu’un chef d’état-major des armées soit associé à un politique », a-t-il répondu. Le souvenir des conditions agitées dans lesquelles lui-même succéda en 2017 au général Pierre de Villiers qui venait de démissionner avec fracas, a joué. François Lecointre avait alors éprouvé, confie-t-il en privé, le sentiment de rétablir la normalité dans la relation militaire-politique, en particulier « la stricte subordination, revendiquée, du militaire au politique ».

«Carpette pro-Macron»

Il tient d’autant plus à passer la main dans des conditions normales, fluides, que des esprits sont à nouveau échauffés. Pour avoir sévèrement rappelé à l’ordre (dans notre journal) les généraux en retraite signataires de la tribune, il a été traité par certains de « traître » ou autre « carpette pro-Macron ». L’un des meneurs, l’ex-général de la Légion étrangère Piquemal, appelant ses fans à « lâcher les chiens » ! Ces outrances viennent certes de cercles politiquement engagés et ne reflètent pas l’opinion de l’immense majorité des soldats engagés en OPEX (opérations extérieures). Au sommet de la hiérarchie existe néanmoins la crainte qu’un poison s’infiltre dans les esprits, chez les jeunes officiers notamment : l’idée qu’un chef courageux, c’est celui qui pose son képi et s’oppose au pouvoir politique.

Sur le front sahélien aussi, les derniers mois ont été rudes, au gré des virements stratégiques du chef de l’Etat. Le général Lecointre aura d’abord été l’homme du « surge », (NDLR : le sursaut) le renforcement de Barkhane en 2020 de 4 600 à 5 100 hommes, qui a abouti à des succès tactiques et à l’affaiblissement des djihadistes de l’Etat islamique au Grand Sahara. Mais d’autres katibas, affiliées à Al-Qaïda, sont apparues et descendent désormais du Sahel vers les Etats côtiers d’Afrique de l’ouest. Pis, entre coups d’Etat au Mali et succession délicate du maréchal président Déby au Tchad, la situation politique se dégrade, la démocratie est bafouée, les populations sahéliennes restent abandonnées de leurs Etats. Parfois, l’entourage du CEMA s’agace d’un manque de créativité des diplomates français, de leur extrême prudence, qui empêcherait Paris de peser de tout son poids en faveur d’une solution politique. Alors qu’il ne peut pas y avoir de « victoire militaire décisive », répétait Lecointre.

S’il est une chose qui a peiné ce Saint-cyrien engagé dans les troupes de marine et choqué son entourage, c’est la remise en cause, par les plus excités, des frondeurs de sa valeur combattante. Avec sa haute prestance, son port flegmatique et réservé, son côté intello animateur de la revue stratégique Inflexions, l’homme est connu comme le héros de Vrbanja, ce pont de Bosnie qu’il reconquit en 1995 aux forces serbes, alors jeune capitaine à la tête de ses « Marsouins » baïonnette au canon.

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