Le déconfinement va dessiner une France en vert et rouge – Le Figaro

C’est une France à deux vitesses qui va se dessiner à compter du 11 mai, date à laquelle les premières mesures de déconfinement vont s’appliquer. Empruntant à la météo les couleurs vert et rouge qui évoquent le beau ou le mauvais temps, Édouard Philippe compte répartir les départements en deux catégories. Ceux qui sont peu touchés par l’épidémie vont être estampillés verts et pourront piocher dans les différentes mesures de déconfinement annoncées. Les autres, au contraire, car frappés plus durement par le coronavirus, seront rouges et devront s’astreindre à un régime plus strict.

Même si des questions se posent autour de cette méthode, Édouard Philippe a livré ce mardi des précisions. Élaborés par la Direction générale de la santé et Santé publique France, trois critères vont permettre cette classification qui sera arrêtée le 7 mai prochain. Ainsi le bulletin de santé d’un département sera mauvais donc rouge si, sur son territoire, «la circulation du virus reste active», si encore «les capacités hospitalières en réanimation restent tendues» et si également «le système local de tests et de détection des cas contacts» n’est pas suffisamment prêt. Les départements du Grand Est et ceux de l’Île-de-France, touchés de plein fouet par l’épidémie, rejoignent aujourd’hui de toute évidence cette catégorie rouge, tandis que ceux du Sud-Ouest, épargnés par la crise sanitaire, sont rassemblés dans l’autre.

C’est à compter de ce jeudi que ces «bulletins de santé» vont être rendus public. Le directeur général de la santé va, en effet, présenter tous les soirs la carte avec ces résultats, département par département a indiqué Édouard Philippe devant les députés. Puis, le 7 mai prochain, le verdict tombera: ces territoires sauront quelle couleur revêtir et définiront les mesures à prendre en fonction de leur situation. Et «si les indicateurs ne sont pas au rendez-vous, nous ne déconfinerons pas le 11 mai» ou alors «plus strictement», a aussi prévenu le chef du gouvernement, qui prévoit ensuite d’analyser la situation fin mai. Le 2 juin et en fonction de l’évolution du virus, d’autres mesures pourront être annoncées.

Marge de manœuvre

En présentant l’architecture globale du plan national de déconfinement, le gouvernement entend donc accorder une marge de manœuvre aux acteurs locaux pour ajuster les mesures à leur situation. «Je veux laisser le maximum de souplesse», aux acteurs de terrain a signalé le premier ministre. Ainsi, dans les départements peu infectés, la réouverture des collèges sera envisagée dès le 18 mai. Les préfets pourront décider de maintenir fermés des centres commerciaux. En matière de transport également, chaque collectivité responsable dans ce domaine, va devoir s’atteler à la tâche pour redémarrer à un rythme plus soutenu les métros, les bus et les trains. Tout en tenant compte de l’évolution de l’épidémie sur leur territoire, ils devront aussi se plier aux consignes générales délivrées par le gouvernement. Parmi elles: limiter le flux des passagers ou encore imposer la distanciation sociale.

Mais si, dans le cadre de ce plan, le sur-mesure local est autorisé, des limites strictes sont imposées. Si ce 11 mai sonne la fin des attestations de sortie, la liberté de circulation restera restreinte… jusqu’à 100 km de son domicile. Et «la vie d’avant» est loin de reprendre. Les grands événements populaires restent suspendus au moins jusqu’en septembre et les plages restent aujourd’hui interdites. Côté sport, bien des activités sont annulées. «La saison 2019-2020 de sport professionnel, notamment de football, ne pourra pas reprendre», a indiqué le premier ministre. Quant aux activités sportives de loisirs, elles resteront interdites dès qu’elles se pratiquent dans des lieux couverts ou encore quand elles sont collectives. Également, la culture va fonctionner au ralenti. Si les médiathèques et les bibliothèques vont pouvoir rouvrir leurs portes, ce ne sera pas le cas pour les cinémas, les théâtres et les grands musées.

«Déclaration de guerre»

Dans le milieu épiscopal, le nouveau report de la date de la reprise des cultes, et la place donnée à cette question, en fin de discours, juste après le sport, est «inadmissible», témoigne un prélat français d’importance, qui y voit une forme de «déclaration de guerre»: «On ouvre les médiathèques mais on maintient fermées les églises, s’insurge-t-il. Et même pas un signal pour des messes qui aurait pu être autorisées dans les départements verts peu touchés par le virus! Aucun geste, non plus, pour faire passer par exemple, de vingt à trente le nombre de personnes pour les obsèques…»

Ambiguïté du discours

Plus feutré, mais très ferme, un communiqué officiel de la Conférence des évêques, publiée mardi en fin d’après-midi, a qualifié de «sévère» le confinement imposé aux religions. C’est «au nom de tous les évêques» que le Conseil permanent de la Conférence des évêques de France «prend acte avec regret de cette date qui est imposée aux catholiques et à toutes les religions de notre pays».

Cette instance de gouvernement de l’Église catholique en France explique: «Nous voyons mal que la pratique ordinaire de la messe favorise la propagation du virus et gène le respect des gestes barrières plus que bien des activités qui reprendront bientôt.» Rappelant l’importance de la «dimension spirituelle et religieuse» de l’homme dans l’épreuve, et de «la liberté de culte, un élément constitutif de la vie démocratique», les évêques demandent officiellement «une rencontre avec les pouvoirs publics».

Personne, à vrai dire, ne s’attendait, dans le milieu religieux, à une reprise franche du culte, dès le 11 mai. La colère gronde toutefois, surtout dans le milieu catholique, face à ce refus massif et unilatéral sur la question du culte et le cousu main adapté aux territoires pour les autres réalités sociétales. D’autant que les diocèses et les paroisses catholiques s’organisaient déjà pour multiplier des messes dominicales, à places limitées, selon les lieux. La reprise du culte, après «la barrière du 2 juin» selon les termes du premier ministre, signifiera cette fois douze dimanches sans messe pour les croyants. Et sans «une petite concession», déplore encore un prêtre, pour le dimanche 31 mai, «avant-veille du 2 juin», grande fête de la Pentecôte…

D’où le questionnement de plusieurs membres du clergé, impatients de pouvoir servir des fidèles qu’ils décrivent comme «exaspérés» à propos l’une des dernières phrases ambiguës du premier ministre: «Les rassemblements organisés sur la voie publique ou dans des lieux privés seront donc limités à dix personnes.» Est-ce que cela signifie, se demandent-ils, que des messes puissent être célébrées dans cette limite, en dehors des églises? Autre ambiguïté du discours, questionnent-ils, les mariages, renvoyés d’un revers de main «à jours meilleurs» alors que les salles des fêtes rouvriront le 2 juin.

Parents et enseignants demandent encore à être convaincus

Les collégiens de sixième et de cinquième reprendront à partir du 18 mai, mais uniquement dans les régions «vertes». THEO ROUBY/AFP

Priorité aux enfants les plus jeunes, ceux qui ne sont pas autonomes pour le travail scolaire, qui ne peuvent pas se garder seuls et empêchent leurs parents de travailler. Édouard Philippe l’a bien dit, les crèches rouvriront à partir du 11 mai, dans la limite de 10 enfants maximum par espace. Le chef du gouvernement demande aux gestionnaires de privilégier les familles monoparentales, les enfants de soignants et de professeurs ainsi que les couples qui doivent être physiquement présents au travail.

«Le port du masque sera obligatoire pour les professionnels de la petite enfance, puisque les règles de distanciation physique ne peuvent pas y être appliquées», a-t-il précisé. De leur côté, toutes les classes des écoles maternelles et primaires rouvriront également, partout sur le territoire, dans la limite de «15 élèves par classe», à partir du 11 mai. Les écoliers n’auront pas à porter de masque, lequel est même «prohibé» chez les moins de 6 ans. Les directeurs d’école auront néanmoins accès à des stocks de masques chirurgicaux de taille enfant, à utiliser si un écolier présentait soudain des symptômes faisant craindre le Covid-19.

Quant au personnel scolaire, il recevra des masques, tant dans les écoles que dans les collèges. C’était une des grandes demandes des enseignants. Les collégiens de sixième et de cinquième reprendront à partir du 18 mai, mais uniquement dans les régions «vertes». En Île-de-France et dans le Grand Est, par exemple, les collégiens devraient rester chez eux. Les autres classes des collèges et des lycées pourraient rouvrir à partir de juin, «Avec une priorité pour les lycées professionnels», a souligné Édouard Philippe. Mais il n’est pas exclu qu’elles «restent fermées jusqu’au mois de septembre», a expliqué le ministre de l’Éducation nationale mardi soir.

Les familles pourront choisir de garder leurs enfants à la maison si elles le souhaitent, le premier ministre a précisé que ce retour à l’école était «sur la base du volontariat». Les professeurs, eux, devront revenir «sauf si ce sont des personnes à risques ou si quelqu’un l’est dans leur entourage, précise-t-on au ministère de l’Éducation. Tous les autres continueront à les accompagner à distance».

Le plan présenté diffère des pistes évoquées par Jean-Michel Blanquer la semaine dernière. Ce dernier entendait donner la priorité à certaines classes et rouvrir les lycées plus vite. Les dernières données épidémiologiques, tendant à démontrer que les enfants de moins de 10 ans sont faiblement malades et peu contagieux, ont joué pour une réouverture totale et plus précoce des écoles. «On peut aussi considérer que les apprentissages fondamentaux se jouent dans les petites classes», analyse Hubert Salaün, de la Peep, fédération de parents d’élèves du public. Le responsable du principal syndicat de chefs d’établissement, Philippe Vincent, du SNPDEN-Unsa, estime avoir été «plutôt entendu», puisque collèges et lycées ne rouvriront pas ou peu…

Quant aux syndicats d’enseignants du primaire, c’est une autre tonalité. Le plus important, le SNUipp-FSU, déclare «ne pas être prêt». Stéphane Crochet, du SE-Unsa, considère que «la reprise présentée par le premier ministre est inacceptable et impossible». Reste une inconnue: dans quelle mesure les maires accepteront-ils de faire travailler leur personnel périscolaire et de nettoyage, indispensable pour rouvrir les écoles?

Pour les seniors, une vie sociale limitée

La perspective de la poursuite du confinement au-delà du 11 mai pour les seniors avait soulevé une vague de protestation mi-avril. François BOUCHON/Le Figaro

Un confinement volontaire pour les seniors. Une vie sociale et des sorties limitées mais non interdites. Le premier ministre a insisté mardi sur la poursuite des mesures de prudence pour les plus de 65 ans. Il a appelé cette population plus à risque face au Covid-19 à respecter un confinement prolongé. Mais sans obligation formelle.«Il n’y aura pas de contrôle, pas d’attestation de sortie pour les plus âgés et les plus fragiles mais je leur demande de la patience. Ils devront prendre beaucoup de précautions», a précisé Édouard Philippe. «Les visites privées, quand elles reprennent, doivent être entourées de précaution, comme les sorties», a-t-il recommandé après avoir exprimé «une pensée pour les personnes âgées qui vivent la solitude à domicile et dans les Ehpad ».

«Nous saluons cette prise de position. Il ne devait pas y avoir de mesures spécifiques pour les plus de 65 ans. L’appel à la prudence est la bonne formule. Ces personnes sont responsables de leur santé. Il faut leur tenir un discours de citoyens et non les infantiliser», commente Pascal Champvert, président de l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA). Selon lui, l’équilibre «santé physique et psychique», entre «sécurité sanitaire et liberté» a été respecté par le premier ministre. Les Ehpad – où les visites familiales ont repris depuis le 20 avril au compte-gouttes – ne doivent cependant pas être «rebouclés» à la moindre suspicion, avertit Pascal Champvert. Enfin, l’AD-PA réclame «des tests en nombre suffisant pour toutes les personnes âgées et toutes les personnes qui les aident à domicile ou en établissement».

La perspective de la poursuite du confinement au-delà du 11 mai pour les seniors avait soulevé une vague de protestation mi-avril. Pour couper court à la polémique, l’Élysée avait assuré dès le 17 avril qu’il ne souhaitait «pas de discrimination» des personnes âgées dans le déconfinement, invoquant «la responsabilité individuelle». Le Conseil scientifique avait recommandé que les plus de 65 ans, ou ceux présentant des pathologies chroniques, respectent «un confinement strict et volontaire, qui les protège de risques de contamination». L’Académie de médecine avait de son côté alerté sur le risque de voir les aînés «s’étioler dans une solitude sans espoir ».

SNCF et RATP face au casse-tête du respect de la distanciation dans les transports

Le maintien de la distanciation sociale dans les transports en commun suscitait beaucoup de questions sans réponse mardi soir. MIGUEL MEDINA/AFP

La RATP contrainte de changer de pied. «Nous allons travailler pour réadapter l’offre et limiter les flux afin de rendre possible la distanciation sociale en particulier aux heures de pointe, a réagi mardi soir le groupe aprèsle discours du premier ministre. La mise en application concrète d’une telle mesure, sur un réseau qui en temps normal produit 12 millions de voyages par jour, est en effet conditionnée à la capacité de limiter drastiquement les flux sur l’ensemble des lignes.» Si la SNCF n’a pas souhaité faire de commentaire, la RATP en appelle à «la compréhension et au civisme de ses clients pour limiter leurs déplacements au strict nécessaire».

Il faut dire que le gouvernement a pris une position beaucoup plus stricte qu’attendu. L’exécutif avait prévenu que le port du masque s’imposerait. Ce sera le cas dans tous les transports (métro, train…). Selon nos informations une amende de 135 euros devrait être infligée aux contrevenants. Les contrôleurs à bord des trains, métros et bus pourraient avoir le droit de dresser ces contraventions. L’obligation de maintenir la distanciation sociale dans les transports constitue une surprise. «Il faudra condamner un siège sur deux», a résumé le premier ministre. Bref, continuer à faire, comme pendant le confinement sur les TGV où seulement 50 % des sièges sont réservables.

«La France est le seul pays européen à cumuler à la fois le port du masque et la distanciation sociale dans les transports en sortie de confinement, souligne un expert. Seule la Chine avait pris ce parti jusqu’ici.» Une mesure très rigoureuse, même si le gouvernement a mis un peu d’eau dans son vin: condamner une place sur deux revient à établir une distance de 50 cm entre les passagers, pas d’un mètre. La même rigueur s’appliquera sur les déplacements longue distance avec une réservation obligatoire en train et l’obligation, au-delà d’un trajet de plus de 100 km (en voiture ou par un autre moyen) de fournir une attestation justifiant l’escapade pour un motif professionnel ou familial impérieux.

Le maintien de la distanciation sociale dans les transports en commun suscitait beaucoup de questions sans réponse mardi soir. Alors que le gouvernement prône un déconfinement différencié suivant le niveau de propagation du virus dans les départements, la condamnation d’un siège sur deux s’appliquera-t-elle dans les trams de Bordeaux, une ville peu touchée par la pandémie? La mise en place de cette politique risque d’être compliquée pour les opérateurs de transport. «Il faudra favoriser par des marquages au sol la bonne répartition sur les quais et se préparer à limiter les flux en cas d’affluence», a précisé Édouard Philippe. Faudra-t-il introduire des contrôles à l’entrée des gares, voire sur chaque quai? Comment éviter les attroupements? Faut-il compter les passagers voyageant debout?

Une des pistes pourrait être d’indiquer sur une appli quand une station est bondée pour en détourner les voyageurs. «Filtrer l’accès à une rame ou un tramway nécessitera des moyens humains qui coûteront cher aux opérateurs, alors qu’ils ont des recettes en chute», estime Gilles Savary, expert des transports.

Pour faire respecter la distanciation sociale, l’exécutif va augmenter l’offre de transport avec, dès le 11 mai, 70 % du trafic sur les réseaux de la RATP contre 30 % aujourd’hui. Et faire baisser la demande en favorisant le télétravail et en étalant les horaires. Cela dépendra du bon vouloir des employeurs et des salariés.

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